Motion d’orientation adoptée par le congrès confédéral du 1er novembre 2013

Motion orientation.

1 Situation économique, sociale et syndicale en France et dans le monde.

A – La situation en France ne peut être isolée du contexte mondial qui voit l’économie capitaliste aux prises avec une nouvelle crise.
Si du fait de sa puissance économique, la France semble pour l’instant échapper au sort de la Grèce ou de l’Espagne qui connaissent un chômage record et une baisse importante de leur niveau de vie, il est probable que l’Italie, la France, l’Allemagne et le Royaume Uni ne pourront échapper longtemps aux conséquences de cette crise.
La financiarisation de l’économie apparaît comme une fuite en avant, comme une série de traites tirées sur l’avenir, tandis que tous les jours se multiplient les attaques contre les acquis sociaux et la part du salaire dans la richesse produite. Déclinée différemment suivant les pays, cette situation se retrouve pourtant partout dans le monde.

B- Face à cette restructuration du capitalisme et aux attaques menées contre les prolétaires, La fausse contestation se déploie également partout, mais là aussi se décline différemment selon les pays. En Europe, on assiste une propagande effrénée en faveur de l’intervention de l’État, censé être le garant de l’intérêt général face aux intérêts privés. Le rappel incessant des soi-disant «  trente glorieuses  » et des bienfaits de l’État providence démontre un manque cruel de réflexion et d’invention en matière économique. Pendant ce temps, une partie croissante de la population, certes de manière encore marginale, développe des projets autogestionnaires, coopératifs, démocratiques et écologiques en matière de production, de consommation, d’échange et de vie sociale.

Dans les pays dits «  émergents  » ou les pays les plus pauvres de la planète, là où les confrontations sociales sont souvent plus dures, la répression plus féroce, de nombreuses initiatives et expériences tentent de trouver là aussi des chemins alternatifs au capitalisme. Pour pallier aux manques du système économique en place, les travailleurs expérimentent directement aussi sur des bases autogestionnaires, coopératives et de démocratie directe au travers de récupération d’usine, de cantine ou bibliothèques populaires, de communes libres…

C- Du côté de la CNT Solidarité Ouvrière, les buts que nous nous sommes assignés demeurent inchangés  : défense au quotidien des travailleurs et des chômeurs, luttes pour le salaire et les conditions de travail, préparant une transformation sociale globale. Cette transformation sociale ne s’accomplira que par la suppression du salariat, par la collectivisation des moyens de production, de répartition, d’échange et de consommation, et le remplacement de l’État par un organisme géré à la base par l’ensemble de la société.

En revanche, s’il est indispensable de poursuivre notre reconstruction, de rebâtir des syndicats dignes de ce nom, il est tout aussi indispensable de réfléchir à notre mode d’intervention et d’expérimenter peut-être d’autres modes d’action si nous ne voulons pas continuer jouer les utilités syndicales et politiques.

L’important est de construire des réseaux de luttes à la base (sur l’emploi, l’environnement, la culture, etc.) anticapitalistes, contrôlant les délégués. Il est vital de recréer des liens, des collectifs au-delà des étiquettes idéologiques, des préjugés sectaires, et sur des pratiques libertaires réelles, d’écoute, de dialogue, de respect et de décisions prises en commun.

2- L’accord du 11 janvier 2013
L’accord signé le 11 janvier 2013 par le Medef et certaines organisations syndicales s’inscrit dans le mouvement idéologique d’une primauté de l’économique sur l’humain.
Il vise avant tout, à rendre l’économie française concurrente avec celle des pays émergents.
La seule variable d’ajustement possible reste le niveau des droits des salariés.
L’Accord vise donc avant tout à faciliter ou permettre aux entreprises d’adapter leurs effectifs au moindre coût et réduire les droits des salariés.
Contrats à duré déterminée, temps partiel, contrats de mission ou d’usage sont privilégiés.
Dans le même temps, les droits individuels des salariés sont réduits  : réduction du délai de prescription pour saisir les conseils de prud’hommes afin d’obtenir réparation d’un préjudice (rappel de salaires, contestation d’un licenciement).
Plus grave encore, cet accord remet en cause la possibilité, tant pour les salariés que pour une organisation syndicale de contester un plan social et d’en obtenir l’annulation devant le TGI.
La loi de transcription de cet accord dans le Code du travail n’a pas modifié l’équilibre général de ce texte.
Que le Medef ait pu trouver des syndicats, dont la CFDT, pour signer un tel accord traduit surtout une nouvelle victoire idéologique du patronat qui réussit à imposer ses logiques à certains représentants des salariés.
C’est dans ce contexte que la place et les orientations de la CNT – Solidarité ouvrière se définissent.

3- La CNT Solidarité ouvrière et ses moyens d’action
La tradition du syndicalisme révolutionnaire a depuis longtemps placé l’outil de la grève générale au centre de ses moyens d’action, à la fois comme processus moteur d’un rassemblement des prolétaires mais également comme dispositif de perturbation pour contrer les intérêts des patrons.
Si ce moyen d’action doit toujours être considéré comme un moyen privilégié, les multiples modifications juridiques du droit du travail en faveur des patrons et la transformation radicale de la société dans les pays dits développés (d’une société ouvrière à une société tertiaire, d’une société manufacturière à une société de services) nous obligent à repenser en profondeur les méthodes d’action directe dont doit disposer le syndicat. Parce que l’impact et l’efficacité de la grève générale sont aujourd’hui mis à mal, il est nécessaire de réinventer les méthodes, les moyens, les outils de l’action directe afin de renverser de nouveau les rapports de force qui nous opposent au patronat.
Cette réinvention doit se faire autant du point de vue du collectif (un ensemble de salariés d’une même branche, d’une même entreprise, ou d’un même lieu de travail comme un chantier du bâtiment ou un centre commercial, etc.) que du point de vue individuel (un salarié isolé, seul face à son patron). Pour cela, il faut notamment diversifier les moyens d’action pour rompre avec les habitudes syndicales, habitudes que les patrons ont depuis longtemps appris à déjouer. Une utilisation offensive et coordonnée du recours au juridique peut constituer une arme pour les salariés et les syndicats.
Face notamment à la multiplication des contrats précaires qui freine toute forme de lutte collective, le syndicat doit apprendre à surpasser ces contraintes par de nouvelles formes d’action telles que le boycottage ou le sabotage, tout en considérant les limites techniques et juridiques de tels procédés. L’excès de zèle, le perfectionnisme, la volonté excessive de bien exécuter son travail sont autant de manières de ralentir ou d’entamer la rentabilité d’un salarié.
Il faut en outre adapter ces moyens d’action au contexte et à la nature du travail. Intervenir dans une usine, dans des bureaux, dans une institution publique sont autant de cas par cas qui appellent des solutions différentes.
Ces moyens d’action doivent non seulement menacer les intérêts patronaux mais également surprendre et déstabiliser les rapports hiérarchiques.

Dans ce cadre les syndicats de la CNT – Solidarité ouvrière se fixent comme objectifs  :

  • de favoriser une actualisation des fondements du syndicalisme révolutionnaire et de l’ anarcho-syndicalisme, en phase avec les réalités concrètes du monde du travail et de nos projet de vie;
  • de « réinventer »l’action directe des travailleurs, c’est-à-dire l’action collective décidée par les travailleurs eux-mêmes ;
  • de réinscrire dans les pratiques du mouvement social, des modes d’action historiques du syndicalisme, tels que boycottage et sabotage.
  • de participer à la construction d’une culture propre au mouvement social dans sa diversité.

Consciente de ne pas détenir à elle seule une « vérité absolue », la CNT Solidarité ouvrière entend favoriser les convergences avec les autres forces du mouvement syndical et social, sans sectarisme et dans le respect de chacun.
Elle réaffirme son attachement à l’unité à la base, sur le fondement de la démocratie directe que constituent les assemblées générales.

4- Pour un syndicalisme global
Il est indispensable pour notre syndicalisme d’élargir les approches révolutionnaires aux grands thèmes qui traversent la vie en société.
L’anarcho-syndicalisme et le syndicalisme révolutionnaire se doivent de développer leurs réflexions sur les grandes préoccupations sociétales actuelles : l’écologie, l’urbanisme, l’éducation, le consumérisme, la santé, le chômage, le racisme, le sexisme ou encore la lutte contre toute forme de dictature.

Brève histoire de la CNT espagnole

I. De la fondation au début des années 1930

Organisation ouvrière espagnole continuatrice de la vieille Fédération régionale [de l’AIT]. Cette dernière, sous différents sigles, avait survécu depuis 1870, en dépit des péripéties de la répression. La CNT poursuit la tradition de l’aile bakouniniste de la première Internationale. C’est un mouvement ouvrier orienté qui a pour but le renversement aussi bien du système capitaliste que de toute forme d’État, qui aspire à la transformation de la société actuelle en un socialisme intégral, sans transiger sur les formules autoritaires bourgeoisies ni sur la prétendue dictature du prolétariat proposé par les écoles socialistes autoritaires.
La CNT fut fondée à Barcelone en 1910, durant le congrès de l’organisation Solidaridad Obrera, qui s’était reconnue limitée lors de la critique des événement de 1909 , durement réprimés par le gouvernement d’Antonio Maura et Juan de la Cierva.
Ses tactiques de luttes pour les revendications immédiates sont celles du syndicalisme français du début du XX siècle : l’action directe entre les parties en conflit, le boycott, le sabotage, la grève professionnelle et révolutionnaire (grève générale expropriatrice). Le syndicalisme révolutionnaire pro-pose le fédéralisme de ses syndicats et de ses fédérations comme solution fonctionnelle de la société post révolutionnaire
La CNT eut à peine le temps de tenir son premier congrès en 1911, qu’elle dut se terrer dans la clandestinité jusqu’à 1914. Lorsque la Première Guerre mondiale éclata, il y eut dans la Catalogne industrielle une expansion économique due au fait que l’Espagne, qui ne participait pas au conflit, approvisionnait les armées des alliés. Il y eut par voie de conséquence une demande de main d’œuvre non spécialisée, une forte immigration vers la Catalogne et le Pays basque d’ouvriers agricoles. L’incompréhension proverbiale de la bourgeoisie permit que les ouvriers barcelonais, déjà aguerris dans les luttes sociales, forgent leur conscience de classe.

L’élément explosif se trouva être le manque de produits alimentaires et la hausse des prix. La pesète en vint à perdre la moitié de son pouvoir d’achat, tandis que les salaires journaliers n’avaient augmenté que de 20 à 40 %. Il y eut des grèves et des agitations pour demander la baisse des prix des denrées plus que pour la hausse des salaires . La CNT fit en 1916 un pacte avec l’UGT [le syndicat dépendant du PS] et les deux centrales lancèrent la grève générale. La bourgeoisie dut céder parfois à cause de cette conjoncture exceptionnelle pour ses intérêts et les grèves victorieuses faisaient que le prestige de l’organisation montait vertigineusement.
Sous l’égide de la CNT et de l’UGT, une grève révolutionnaire éclata en août 1917. En 1917 tous les groupes politiques de gauches, poussés par les événements sensationnels qui s’étaient produit en Russie, croyaient complètement à une influence révolutionnaire sur l’armée espagnole. Le gouverne-ment fit échouer, très habilement, une assemblée de parlementaires qui étaient allé semer l’insubordination à Barcelone. Il domina la fronde militaire avec des promesses de satisfaction de leurs demandes et il provoqua autant et quand il le voulut la grève générale révolutionnaire que devaient déclencher les cheminots secondés par la CNT et l’UGT. Les militaires rebelles renouvelèrent leur attitude de discipline en mitraillant les travailleurs.
En 1918, la CNT réorganisait sa structure avec l’innovation qu’étaient les « syndicats uniques » , nouvelle formule de regroupement industriel. Mais subitement on passa à une économie d’après guerre, sans avoir de base solide. La crise commença à se faire jour. De sérieux conflits apparurent contre l’oligarchie industrielle, en faveur alors d’une intransigeance atroce. En 1919, la CNT prend de l’importance, passant de 800.000 à un million d’adhérents. L’UGT n’en contrôlait que quelques 300.000. Une grande démonstration de force et d’organisation a été le conflit à l’entreprise « Canadiense » (Riegos y Fuerza del Ebro), puissante compagnie hydroélectrique où le syndicat uni-que fut mis à l’épreuve. La bourgeoisie allait prendre sa revanche avec la déclaration d’un vaste lock-out fin 1918. La grève avait duré 44 jours paralysant 70 % de l’industrie de la province de Barcelone. Le lock-out fut de 10 semaines et toucha 200.000 travailleurs. Cette offensive patronale avait choisi le moment de la dépression économique pour concentrer contre l’organisation ouvrière toutes les forces réactionnaires de Catalogne. La bourgeoisie industrielle s’était organisée à son tour en une sorte de « syndicat unique » : la Fédération patronale, qui nommait et limogeait les préfets [gobernadores civiles]. Deux de ces préfets, créatures de la Fédération patronale furent le comte Salvatierra et le général Martínez Anido. Ce dernier devint une sorte de vice-roi de 1920 à 1922, car c’est sous ses ordres qu’eut lieu la répression anti-ouvrière la plus féroce dans l’histoire sociale espagnole. Les militants ouvriers les plus connus étaient débusqués à chaque coin de rues par des tueurs à gage payés par le patronat. Tous les jours les « actions » de ces « pistoleros » nourrissaient la chronique barcelonaise des homicides. Ces criminels étendaient parfois leur rayon d’action au reste de la région catalane, en Aragon et à Valence. L’assassinat atteignit le comble de la perfection avec la prétendue « loi de fuite », procédé qui consistait à ce que dès l’aube on sorte certains prisonniers de prison sous le prétexte de les libérer. En allant à leur domicile ils étaient criblés de balles par des tueurs postés à chaque coin de rues. Les attentats se faisaient aussi en plein jour, vu l’impunité dont jouissaient les agresseurs munis de laissez-passer officiels qui les protégeaient. Les cénétistes se défendaient courageusement, en rendant parfois coup pour coup. Ils tuèrent le policier Bravo Portillo, qui avait organisé l’assassinat du fameux militant confédéral Pablo Sabater. L’ex préfet le comte Salvatierra paya également ses crimes, tout comme le président du Conseil des ministres Eduardo Dato , qui avait nommé le monstre Martínez Anido comme vice-roi de la potence et du couteau. Mais le tribut de sang fut énorme du côté de la CNT : c’est par centaines qu’on peut énumérer ses victimes. Les pertes les plus sensibles ont été celles de Salvador Seguí et Evelio Boal, deux secrétaires régionaux de Catalogne de grande valeur.

En 1923 il y eut un coup d’État militaire suivi de l’installation de la dictature du général Primo de Rivera. Cet événement fermait un nouveau chapitre de l’histoire de la CNT. Dans cette étape, Evelio Boal et Salvador Seguí occupent une place de premier plan : le premier ayant un grand talent d’organisateur, le second, l’un des meilleurs tribuns du mouvement ouvrier. Ángel Pestaña, également orateur, du groupe des militants tenaces, avait fait un voyage en Russie en 1920, mandaté par l’Organisation. Il assista au second congrès de l’Internationale communiste où fut fondée l’Internationale Syndicale Rouge. Son rapport, très pessimiste quant au miracle rouge, eut pour effet que la CNT retire son adhésion conditionnelle du congrès de 1919 à la politique de Moscou. D’autres militants de premier plan se présentaient, Eusebio C. Carbó, écrivain et polémiste ; Manuel Buenacasa, le premier des historiens de cette période ; Felipe Alaiz, le premier des écrivains ; Elías García, poète et homme d’action ; Ramón Acín, professeur [d’arts plastiques] du lycée de Huesca, et Pedro Vallina, médecins des démunis et conspirateur tenace, avec son vieux maître Fermín Salvochea.
Après des manifestations publiques, la CNT fut une nouvelle fois condamnée à la clandestinité. La dictature s’empressa de fermer ses locaux et de supprimer sa presse, d’emprisonner ses militants, dont beaucoup émigrèrent en France. Le gouvernement ne leva l’état de guerre qu’en mai 1925. Et immédiatement les hostilités reprirent dans les hautes sphères politiques. Les militants confédéraux avaient commencé également le combat, avec des incursions à travers les Pyrénées pour tuer le bourreau de Barcelone, comme représailles contre ses exécutions, et ils avaient tenté un assaut contre la caserne d’Atarazanas. Ces exploits causèrent des peines de mort et de nombreuses condamnations au bagne. En 1926, il y eut une tentative d’enlèvement du roi Alfonso XII, par Durruti, Jover et Francisco Ascaso. Ce dernier était poursuivi pour l’attentat qui entraîna la mort de l’évêque de Saragosse, le cardinal Soldevila (réponse, semble-t-il, à l’assassinat de Salvador Seguí).
En Espagne et à l’étranger, les militants confédéraux intervinrent dans un cycle de conspirations avec les politiciens et les militaires aigris. Différentes actions eurent lieu, comme le complot de Sánchez Guerra (monarchiste libéral), celui de la ville de Prats de Molló, organisé par le leader séparatiste catalan Francisco Macía, et la fameuse de la « nuit de la Saint Jean ».La CNT intervint dans toutes ces actions, tout comme dans les contacts pris auprès du fameux scientifique Ramón y Cajal , afin de lui proposer la présidence de la république, que l’on pensait instaurer.
Une série de grèves « spontanées » contre « l’impôt en utilités » fut l’œuvre de la CNT chez les ouvriers du textile et les briquetiers en 1928. Pendant cette période plusieurs plénums clandestins eurent lieu en pleine montagne. Certains finirent en prison et au bagne. 
La dictature eut certains égards pour la presse secondaire. On a ainsi put publier « La Revista Blanca » depuis 1923 départ du coup d’État, et par intermittence des périodiques anarchistes comme « El Productor », de Blanes [en Catalogne] et « Redención » d’Alcoy [province d’Alicante]. « Generación Consciente » à Valence fut une publication culturelle de qualité, qui devint ensuite « Estudios ». Le feu sacré confédéral trouva son expression dans un périodique, édité au nord-ouest de la Péninsule « ¡ Despertad ! » de Vigo. Un peu plus tard, il y eut « Acción Social Obrera » de San Feliu de Guixols (province de Gérone). À partir de 1929 « Acción », organe officieux du Comité National de la CNT, put apparaître, pour devenir à la chute de la dictature le classique « Solidaridad Obrera ».
La fin de la dictature fut l’antichambre de la république. La fermentation antiroyaliste surgit au grand jour avec de fortes agitations sociales et conspiratrices, qui, du fait qu’elles gravitaient autour de la CNT, donnèrent à son renouveau une vigueur d’apothéose.

La proclamation de la République le 14 avril 1931 allait démontrer l’incapacité des nouveaux gouvernants à ne pas tomber dans les mêmes défauts que leurs prédécesseurs. Les hésitations, les complaisances et la temporisation étaient l’ombre qui se cachait derrière les splendeurs de la rhétorique parlementaire. On s’occupait tardivement, mal ou jamais des problèmes vitaux : la réforme agraire et la dignité de la condition ouvrière. Le grand capital et les grands bourgeois, tout comme l’épiscopat, sabotaient impunément le nouveau régime. Et le gouvernement n’avait pas d’autre obsession que de réprimer les manifestations extérieures, matraquant le peuple, imbu d’une interprétation faussée de l’ordre public à travers les fusils de la garde civile. Le divorce entre le peuple et la République se produisit après une courte lune de miel .

II. De la République à la guerre civile


Les hostilités entre la CNT et le gouvernement républicain commencèrent par une grève contre l’entreprise téléphonique nationale (un monopole concédé par la dictature). Le conflit fut compliqué par la présence de Largo Caballero à la tête du ministère du Travail. Largo Caballero était en même temps le secrétaire général de l’UGT. La CNT commençait à faire des manifestations à Madrid devant la Maison du Peuple socialiste. La grève de la Telefónica devenait une opération stratégique pour l’hégémonie syndicale . La grève fut déclarée illégale et poursuivie par la force publique sous pré-texte du refus de la CNT des jurys mixtes. La CNT ne pouvait accepter ces organismes d’arbitrages pour deux raisons : d’abord parce que les accepter impliquait de renoncer à ses tactiques d’action directe traditionnelles ; ensuite parce que les jurys mixtes étaient les fameux Comités Paritaires, avec un autre nom. Les Comités Paritaires avaient été introduits en Espagne par la dictature après un voyage de la famille royale et du dictateur au paradis fasciste de Mussolini. Le ministre Aunós les mit en pratique pour en finir d’un point de vue fasciste avec « la lutte de classes ». Tandis que la CNT combattait les Comités Paritaires, l’UGT les acceptait et, qui plus est, envoya Largo Caballero au Conseil d’État de la dictature.
Le conflit de la Telefónica devint une bataille de Largo Caballero contre la CNT par garde civile interposée. Mais les résultats furent complètement opposés à ce qui était attendus. La CNT augmentait en agressivité au rythme de la répression qui lui était destinés. 
En février 1932 il y eut une insurrection anarchiste dans le bassin minier du Haut Llobregat. Le gouvernement répliqua en déportant au Sahara espagnol une charrette de cénétistes. En signe de protestation il y eut un autre soulèvement armé dans la ville importante de Tarrasa. Les tribunaux militaires imposèrent des peines sévères aux insurgés. Une autre escalade apparut avec le mouvement révolutionnaire de janvier 1933, qui eut des répercussions en Catalogne, dans le Levant et en Andalousie. C’est là-bas qu’il y eut le bûcher de Casas Viejas. Les gardes d’Assaut assiégèrent la baraque d’une famille anarchiste y mirent le feu et attendirent que les cendres refroidissent. Ce crime froidement prémédité, induit par le gouvernement, remplit de stupeur l’opinion publique. Les partis de droite l’exploitèrent à des fins électorales. Et lorsqu’en novembre de la même année, des élections générales furent annoncées, la CNT lança une campagne anti-électorale de grande envergure qui acheva la dé-faite des partis de gauche. Mais les militants confédéraux, qui avaient prévu les conséquences de leur boycott électoral, déclenchèrent immédiatement un mouvement insurrectionnel qui se proposait d’instaurer le communisme libertaire dans toute la Péninsule. C’est uniquement en Aragon que la ba-taille fut assez forte. La Catalogne, le Levant et l’Andalousie, encore usés par les efforts de janvier, et leurs militants les plus combatifs étant encore dans les bagnes, ne purent tenir leur engagement. Dans le reste de la Péninsule il n’y eut pas d’actions importantes.

Les blessures réciproques entraîneront une rupture qui n’en finissait pas entre socialistes et anarchistes, pas même la veille de la révolution aux Asturies en 1934. Un grand militant de la CNT (V. Orobón Fernández) essaya en vain de couper le nœud gordien de l’incompréhension en proposant tout un plan stratégique d’alliance ouvrière révolutionnaire. Les ouvertures que fit Largo Caballero, après la défaite électorale de 1933, et les événements révolutionnaires d’octobre 1934, étaient interprétés par la majorité des cénétistes comme nostalgie du pouvoir ou opportunisme politique. La vérité est que la direction socialiste ne fit jamais une ouverture en règle. L’union révolutionnaire réalisée aux Asturies était une entente de type régionale .
En Catalogne, l’hégémonie politique de la Lliga regionalista avait été supplantée par celle d’un autre parti, l’Esquerra Republicana de Catalunya (gauche républicaine de Catalogne), dont le mentor était le vieux séparatiste Francisco Maciá. Après sa mort, Luis Companys le remplaça, et lorsque le statut autonomique fut accordé à al Catalogne, il prétendit faire de la CNT une organisation officieuse. Et comme il n’y arrivait pas, il en fit la cible de ses persécutions. L’Esquerra dut se contenter d’être la protectrice de la petite bourgeoisie industrielle et agraire. Il y avait donc un accord entre le gouverne-ment central et le gouvernement autonomique dans leur politique de répression contre le mouvement confédéral et anarchiste, qui ne voulait pas abandonner sa personnalité. Dès qu’une grève se déclarait, elle était déclarée illégale. Sous prétexte de garantir la liberté du travail, la force publique stimulait la présence des briseurs de grèves. Le choc était inévitable, avec son bilan de blessés, de morts et d’inculpés. La CNT devait contre-attaquer sur deux fronts : contre les polices des deux gouvernements, qui loin d’arriver à la dominer, la renforçaient en faisant apparaître les tendances les plus extrémistes. Les modérés ou les réalistes étaient écartés des responsabilités confédérales. C’est alors que surgit la crise des Trente. Trente militants, dont Peiró et Pestaña, lancèrent un manifeste pour dénoncer les excès de la tendance extrémiste. Les dissidents furent vaincus. Il y avait parmi eux des éléments réformistes, des transfuges en puissance et aussi des camarades influents, qui auraient peut-être joué un rôle modérateur entre les deux extrêmes. La suprématie du seul secteur d’extrême gauche entraîna dans la CNT une dangereuse situation de déséquilibre, au milieu d’un panorama international enclin au fascisme.
Au moment de la crise révolutionnaire de 1934, la CNT se trouva en face d’une situation paradoxale. Ceux que l’on pourrait appeler ses alliés naturels (l’UGT) étaient unis aux gouvernants de Catalogne, qui étaient, comme on l’a vu, les ennemis les plus acharnés de la CNT. Le 6 octobre le gouvernement catalan fit un soulèvement armé contre celui de Madrid, et sa première mesure fut de fermer les syndicats de la CNT, d’attaquer à main armée la rédaction et les ateliers de « Solidaridad Obrera », et de mettre en prison tous les militants importants qu’il put faire arrêter. Parmi eux figurait Buenaventura Durruti. Sans la force et les masses aguerries de la CNT, l’espoir de l’insurrection du catalanisme fut vaincu en quelques heures par les compagnies de l’armée.

Une fois dominée facilement la parade des troupes de la Généralité , qui jetèrent leurs armes sans à peine en faire usage, au bruit de quelques coups de canons de projectiles sans détonateur ; une fois neutralisée la CNT catalane, l’UGT du reste de l’Espagne, pusillanime, n’alla au-delà, quand ce fut le cas, d’une grève générale pacifique, les révolutionnaires asturiens, socialistes et anarchistes , étaient à la merci des régiments du Tercio [légion étrangère.] et des troupes régulières de la zone marocaine. La répression fut épouvantable. Et tout comme la sauvagerie commise à Casas Viejas avait entraîné la perte du gouvernement des républicains et des socialistes, le génocide anti-ouvrier aux Asturies fut la fin de l’équipe des « deux années noires ». Le 16 février 1936, les partis de gauche revenaient au pou-voir grâce à une nouvelle victoire électorale. La CNT, cette fois, ferma les yeux devant le miracle des urnes. 30.000 prisonniers, ouvriers pour la plupart et de nombreux confédéraux, attendaient leur liberté de l’humeur du corps électoral.
Durant cette période, des influences furent exercées surtout, de fait de leur ascendant sur les mas-ses, par García Oliver, Francisco Ascaso, et Buenaventura Durruti, tous les trois des agitateurs révolutionnaires ; par le médecin Isaac Puente, divulgateur du communisme libertaire ; Federica Montseny ; écrivain vigoureux et bon orateur ; José María Martínez et Acracio Bartolomé des Asturies, disciples d’Eleuretio Quintanilla ; le Galicien José Valverde et l’habitant de Cadix Vicente Ballester. Au-dessus de tous, il faut placer Valeriano Orobón Fernández, écrivain excellent, conférencier important, très cultivé et documenté sur le contexte international. Juan Peiró, encore que formé dans la génération précédente, aurait pu apporter tout son talent à la CNT de la République, s’il n’était pas resté obscur parmi les Trente .
Mais on aurait tort de supposer que la CNT se réduisait à cette douzaine de personnes de grand prestige. La vraie richesse en militants était la source d’anonymes qui écrivaient à peine et s’exprimaient maladroitement. Placés entre la masse d’alluvions d’adhérents et les élites remarquables, ils portaient le poids de l’Organisation à la base, en contact direct avec les usines, alternant leur apostolat syndicaliste avec leur qualité de techniciens professionnels. Ils organisaient et ils fourmillaient dans les sections techniques. Ils étudiaient et ils présentaient les revendications. Ils soutenaient les conflits avec vigueur, en payant de leur vie. C’étaient eux qui donnaient l’exemple du sacrifice et de l’austérité. Ces militants moyens, échelonnés en générations progressives, constituaient de part leur importance la grande réserve d’énergies de l’Organisation, même s’ils se risquaient trop. Quand les syndicats étaient fermés par les autorités, l’action continuait souterrainement grâce à ce fourmillement insaisissable pour les services de police.

III. la guerre civile


En juillet 1936 ce fut le coup d’État militaire que la CNT elle-même n’avait pas cessé de pronostiquer dans des documents qui sont entrés dans l’histoire. Le coup surprit les membres du gouvernement républicain pris dans une nouvelle vague de répression antiouvrière. Depuis la chute du gouvernement des « deux années noires », les extrémistes du parti socialiste avaient éteint la mèche de la révolution, tandis que le bloc de droite, qui avait reçu en pleine figure le coup des Asturies, préparait le sien.
La CNT atteint le point culminant de sa popularité pendant la bataille de rues, surtout à Barcelone. La victoire des anarchistes barcelonais sur l’armée galvanisa l’esprit antifasciste dans le centre de la Péninsule, plus de la moitié de l’Espagne put être sauvée. Mais les pertes de Saragosse et de Séville furent fatales. La vigueur de la CNT fut freinée par une stratégie absurdement localiste. Encore que l’Espagne soit connue comme à l’origine de la guérilla, dans toutes les tentatives insurrectionnelles de l’anarchisme des années 30, la révolution n’était tentée que dans le périmètre des villes et des villages. La révolution était considérée comme ayant échouée lorsque les forces du gouvernement délogeaient les révoltés des rues et des places. Pendant les premiers jours de la guerre civile, une guérilla active et bien entraînée aurait disloqué l’armée professionnelle en inclinant autrement le plateau de la balance. Cependant le réflexe de tous les membres des organisations antifascistes, dès qu’ils se sentaient acculés, était de se cacher et de rejoindre le camp ami. Dans les circonstances d’alors, c’était un cadeau offert aux militaires professionnels. En termes tactiques, avec des lignes de résistance et de fronts continus, l’avantage revenait au secteur le plus habile à manœuvrer.
Après la bataille épique livrée à Barcelone les 10 et 20 juillet 1936, la CNT, en tant que première force de combat, fut maître virtuellement de la Catalogne. Mais immédiatement elle dut se rendre compte que les plans révolutionnaires de la veille étaient plus ou moins inapplicables, non seulement à cause de l’éclatement de la guerre civile, mais parce que sur le plan politique, face aux autres secteurs antifascistes, elle se reconnaissait minoritaire. Les militants représentants le courant extrémiste furent les premiers à chercher à convaincre le reste de leurs camarades de la nécessité de la collaboration avec les autres secteurs politiques, y compris les communistes. Ce principe de collaboration devait les amener, avec l’épisode défavorable de la guerre, à une abdication pure et simple des vieux principes libertaires. Avant la fin de l’année 1936, la CNT faisait partie du gouvernement central et de la Généralité de Catalogne, ainsi que de tous les organismes gouvernementaux. En contrepartie, à l’initiative des militants et des travailleurs de la base, il y eut la réalisation d’un intense travail d

e collectivisation d’entreprises industrielles et agricoles, avec leurs services d’échanges, leur transport, leurs coopératives de consommation, leurs services de statistiques et leurs fédérations. Il y eut des cas de socialisation très efficace dans l’industrie du bois et la panification de Barcelone. Un autre fait très important fut la création du Conseil régional des Asturies qui, avec la Généralité de Catalogne et le gouvernement autonome basque donnèrent à l’Espagne républicaine un certain caractère fédéraliste.

III. la guerre civile


En juillet 1936 ce fut le coup d’État militaire que la CNT elle-même n’avait pas cessé de pronostiquer dans des documents qui sont entrés dans l’histoire. Le coup surprit les membres du gouvernement républicain pris dans une nouvelle vague de répression antiouvrière. Depuis la chute du gouvernement des « deux années noires », les extrémistes du parti socialiste avaient éteint la mèche de la révolution, tandis que le bloc de droite, qui avait reçu en pleine figure le coup des Asturies, préparait le sien.
La CNT atteint le point culminant de sa popularité pendant la bataille de rues, surtout à Barcelone. La victoire des anarchistes barcelonais sur l’armée galvanisa l’esprit antifasciste dans le centre de la Péninsule, plus de la moitié de l’Espagne put être sauvée. Mais les pertes de Saragosse et de Séville furent fatales. La vigueur de la CNT fut freinée par une stratégie absurdement localiste. Encore que l’Espagne soit connue comme à l’origine de la guérilla, dans toutes les tentatives insurrectionnelles de l’anarchisme des années 30, la révolution n’était tentée que dans le périmètre des villes et des villages. La révolution était considérée comme ayant échouée lorsque les forces du gouvernement délogeaient les révoltés des rues et des places. Pendant les premiers jours de la guerre civile, une guérilla active et bien entraînée aurait disloqué l’armée professionnelle en inclinant autrement le plateau de la balance. Cependant le réflexe de tous les membres des organisations antifascistes, dès qu’ils se sentaient acculés, était de se cacher et de rejoindre le camp ami. Dans les circonstances d’alors, c’était un cadeau offert aux militaires professionnels. En termes tactiques, avec des lignes de résistance et de fronts continus, l’avantage revenait au secteur le plus habile à manœuvrer.
Après la bataille épique livrée à Barcelone les 10 et 20 juillet 1936, la CNT, en tant que première force de combat, fut maître virtuellement de la Catalogne. Mais immédiatement elle dut se rendre compte que les plans révolutionnaires de la veille étaient plus ou moins inapplicables, non seulement à cause de l’éclatement de la guerre civile, mais parce que sur le plan politique, face aux autres secteurs antifascistes, elle se reconnaissait minoritaire. Les militants représentants le courant extrémiste furent les premiers à chercher à convaincre le reste de leurs camarades de la nécessité de la collaboration avec les autres secteurs politiques, y compris les communistes. Ce principe de collaboration devait les amener, avec l’épisode défavorable de la guerre, à une abdication pure et simple des vieux principes libertaires. Avant la fin de l’année 1936, la CNT faisait partie du gouvernement central et de la Généralité de Catalogne, ainsi que de tous les organismes gouvernementaux. En contrepartie, à l’initiative des militants et des travailleurs de la base, il y eut la réalisation d’un intense travail de collectivisation d’entreprises industrielles et agricoles, avec leurs services d’échanges, leur transport, leurs coopératives de consommation, leurs services de statistiques et leurs fédérations. Il y eut des cas de socialisation très efficace dans l’industrie du bois et la panification de Barcelone. Un autre fait très important fut la création du Conseil régional des Asturies qui, avec la Généralité de Catalogne et le gouvernement autonome basque donnèrent à l’Espagne républicaine un certain caractère fédéraliste.

La contre-révolution se manifesta aussitôt que l’État central, muni de la caution donnée au gouvernement par l’entrée de la CNT, récupéra tous les ressorts stratégiques traditionnels. Une fois incorporées les milices révolutionnaires dans l’armée régulières, après la dissolution ou l’officialisation des organismes armés d’origine populaire dans l’Espagne républicaine, l’État unique et indivisible se consacra systématiquement au démantèlement des réalisations révolutionnaires économiques et culturelles, et au désarmement général.
La réaction des militants révolutionnaires contre cette offensive totalitaire entraîna de violents affrontements avec la force publique envoyée à cet effet par le gouvernement. Le choc le plus spectaculaire eut lieu à Barcelone au début de mai 1937. Durant plusieurs jours des batailles sanglantes se dé-roulèrent entre les forces officielles et les militants confédéraux armés. Les opposants à la révolution étaient principalement le parti communiste, qui avaient subi un processus de croissance éléphantesque sous le parapluie de l’aide matérielle payée en argent espagnol accordé à la République par le gouvernement soviétique. Pendant ces événements les anarchistes montrèrent à nouveau leur habileté dans le combat de barricades, secondés par le Parti Ouvrier d’Unification Marxiste, cruellement persécuté par les staliniens. Mais les ministres de la CNT imposèrent un cesser e feu, en convainquant les cama-rades sur les barricades de la nécessité de se retirer pour laisser la rue à une colonne de forces du gouvernement central. Il n’est pas clair qu’on aurait évité alors un écroulement du front d’Aragon [si les détachements confédéraux en route vers Barcelone y étaient arrivés]. Sans la poussée vers l’apaisement de la direction confédérale, on serait peut-être arrivé à un compromis honorable où la CNT aurait retrouvé le droit au respect. Il est indubitable que le cesser le feu était un acte de reddition des forces révolutionnaires, après lequel la victoire en soi dans le conflit perdait toute émotion pour les éléments les plus combatifs. La conséquence immédiate des faits dramatiques de mai 1937 fut la crise du gouvernement de la République provoquée par les communistes pour se débarrasser de Largo Caballero (qui ne se pliait pas aux exigences sectaires des Russes) et des quatre ministres confédéraux, qui voyaient ainsi récompensés leurs bons offices. Il s’ensuivit des attaques contre les collectivités paysannes d’Aragon effectuées par des forces régulières de l’armée commandées par des officiers communistes de haut rang, ainsi que toute une série d’entraves au développement de l’autogestion industrielle. En même temps l’État central, dans son rôle d’absorption, procédait à la destitution du Conseil d’Aragon et à la réduction des attributions des régimes autonomiques basque et catalan.
La marche galopante absolutiste du gouvernement central, dominé par les communistes et les socialistes communisants, fut un peu freinée par les opérations militaires catastrophiques pour la République. Dans le but de protéger Madrid, le haut commandement républicain attira à plusieurs reprises l’ennemi vers la Catalogne. Cette région était traumatisée par le développement du climat politique et par le grand désastre militaire du printemps 1938. La malheureuse opération de l’Ébre lors de l’été la même année décida l’ennemi à assener un coup définitif contre cet important bastion, qui s’écroula plus facilement que prévu. La frontière catalane et le port de Barcelone étant inaccessibles, l’isolement de la zone centrale la condamnait définitivement.

Dans le Centre, les militaires professionnels non politisés sortirent de leur mutisme, et d’autres se joignirent à eux, en déchirant leurs cartes du PC. La CNT du Centre fut le grand centre de ralliement de cette transfiguration dramatique. Mais avec ce bastion coincé entre les troupes ennemies, ivres de victoires, et la mer, on ne pouvait s’attendre à des miracles. La CNT fut à l’origine du pronunciamiento de ce qu’on a appelé la junte de Casado et elle intervint de façon décisive dans la bataille fratricide contre les communistes qui jusqu’au dernier moment défendirent la stratégie catastrophique de Staline mise en place par le gouvernement fantoche de Negrín. Un ministre confédéral, Segundo Blanco, lia son sort tristement à celui de l’équipe de ce politicien aventurier. La lutte épique de la Ré-publique contre les militaires factieux semblait prédestinée à finir en une guerre civile dans la guerre civile.
Ce qu’on avait voulu éviter en mai 1937 arriva en mars 1939. La seule différence était qu’en mai toutes les possibilités d’arriver à une solution étaient intactes. En mars, après le triomphe de la junte sur la cour ambulante de Negrín, tout dépendait d’un trait de générosité vraiment humain du vainqueur franquiste. Ce ne fut pas le cas et il n’y en eut pas. L’histoire de la répression franquiste après les opérations militaires a constitué un vrai génocide à cause du non-respect des normes internationales en-vers les prisonniers de guerre et de l’institution de la délation et de la revanche impitoyable comme système. Et ce le fut, évidemment, avec l’appui du plus sombre fanatisme des hiérarchies de l’Église catholique (qui croyait ainsi envoyer des diables en enfer), dont le principe était l’annihilation physique de la moitié de l’Espagne pour que l’autre puisse vivre.

IV. La CNT dans l’exil 


L’histoire de la CNT de l’exil commence dans les camps de concentration de France et d’Afrique du Nord pour ceux des confédérés qui avaient pu traverser la mer ou les frontières. C’est seulement un groupe infime qui réussit à s’installer en Angleterre et quelques milliers en Amérique Latine la veille de la seconde guerre mondiale et de l’occupation allemande de la France. Les représentants de la CNT, de la FAI et des Jeunesses Libertaires y avaient constitué un organisme commun appelé Mouvement Libertaire Espagnol, dotée d’un Conseil Général. Ce dernier s’était donné pour mission de maintenir des contacts avec les organismes républicains officiels également en exil, avec les masses d’internés dans les camps de concentration et, éventuellement, avec les camarades qui étaient restés en Espagne, dans l’intérieur. De dix à quinze mille réfugiés de tous les partis et de toutes les organisations avaient pu se rendre en Amérique Latine, principalement au Mexique, au Chili et à Saint-Domingue. Les con-fédéraux, vu leur importance numérique, furent les moins favorisés à cause des basses besognes des agents communistes La grande masse dut faire face à la tragédie qui s’était abattue sur l’Europe et la France en particulier. Si l’occupation militaire du pays par les Allemands et le besoin de main d’œuvre entraîna au début la libération des internés, par la suite, lorsque la résistance s’organisa contre l’envahisseur, les conséquences de la répression furent brutales.
Sur la participation des confédéraux aux activités de la résistance française certaines choses ont été écrites, mais il reste à faire un travail exhaustif. Juan Peiró fut victime de la Gestapo, livré à l’Espagne et fusillé à Valence, tout comme le républicain Companys et les socialistes Zugazagoitia, Cruz Salido et d’autres. Parmi les 20.000 Espagnols qui laissèrent leur vie dans les sinistres camp de déportation en Allemagne, le tribut de la CNT a été considérable. La CNT en tant qu’organisation a presque toujours existé, dans les camps de concentration français et aussi dans les cimetières vivants nazis.
En pleine occupation allemande, le contact physique avec la CNT de l’Intérieur fut établi par des groupes suicidaires qui traversaient les Pyrénées clandestinement entre une double rangée à la frontière de limiers nazis et franquistes. Ces mêmes groupes, appartenant à la résistance française, rendirent des services intéressants aux états-majors alliés.
Après l’occupation militaire de la France, les premiers efforts sérieux de réorganisation se firent dans le Massif Central a partir de 1943. À l’avènement de la libération du pays, la CNT redevint l’organisation majoritaire de l’exil et elle dut tenir tête à ses redoutables adversaires communistes qui, soutenus par un stalinisme exultant par l’intermédiaire du PCF, aspiraient à embrigader sous sa tutelle toutes les forces de l’exil dans un organisme appelé l’Union Nationale. La CNT de la libération comptait, rien qu’en France, plus de 30.000 affiliés. En Angleterre et en Afrique du Nord des noyaux ou des sous-délégations de la CNT persistaient, ainsi qu’au Mexique, à Saint-Domingue et au Chili, à Cuba, aux États-Unis, au Canada, au Venezuela, à Panama, au Costa Rica, en Équateur, en Bolivie, en Argentine, en Uruguay, au Brésil et même aux antipodes en Australie. C’est au Mexique que sortit le premier périodique de l’exil « Solidaridad Obrera », vers 1943. L’hebdomadaire « Cultura Proletaria » de New York, avec un long passé sur le nouveau continent, assura les besoins de contact et de solidarité dès la défaite militaire de la République. Beaucoup plus tard il commença à y avoir en France une presse clandestine et dans la foulée « Ruta » des Jeunesses Libertaires, « Exilio », avant que ne s’imposent les hebdomadaires « CNT », à Toulouse, organe du Comité National, « Solidaridad Obrera », porte-parole de la fédération régionale parisienne, et « Libertad » de Grande Bretagne. L’Afrique du Nord eut aussi sa « Solidaridad Obrera ». La première revue à paraître a sans doute été publiée à Buenos Aires, « Timón » dirigée par D. A. de Santillán. Puis suivirent « Estudios Sociales », au Mexique, à partir de 1943, dirigée par José Viadiu ; en France « Tiempos Nuevos », avec A. García Birlán ; « Universo » de Federica Montseny ; « Inquietudes » de Benito Milla et « Cenit » à partir de 1951 ; « Presencia », de la nouvelle vague de jeunes (à Paris), eut une existence éphémère. Il faut ajouter « Ruta », de Caracas, à partir de 1962.

L’œuvre imprimée proprement dite représente un volume incalculable. Outre la réédition de tous les œuvres classiques, mineures et de certaines fondamentales, des camarades en Argentine, au Mexique et en France entreprirent des projets assez ambitieux. Jusqu’à aujourd’hui, on a en particulier deux éditions de « El Proletariado Militante » d’Anselmo Lorenzo, « La CNT en la revolución española » (trois tomes) de José Peirats ; « Contribución a la historia del movimiento obrero español », de D. A. de Santillán (à compte d’auteur, semble-t’il), entre autres. Une mention à part mérite le travail d’édition du groupe « Tierra y Libertad », de Mexico, qui publie le périodique homonyme et son supplément sous forme de revue. On peut ajouter les titres déjà consacrés en Espagne, ceux qui commençaient à y être connus et ceux qui se sont révélés en exil.
En mai 1945, la CNT de France tint son premier congrès à Paris. Les militants avaient commencé à se diviser en deux courants bien définis : les partisans de la continuité de la ligne gouvernementale tracée en Espagne, vu que les circonstances qui l’avaient déterminée persistaient (position minoritaire en exil, mais majoritaire chez les militants qui s’exprimaient à l’Intérieur), et ceux qui pensaient que la CNT devait revenir à la fidélité de ses principes traditionnels (tendance de l’immense majorité des militants de l’exil). Pour le congrès de Paris, les activistes des deux tendances intervenaient pour conserver ou gagner des positions. Dans le groupe classique on trouvait les branches non moins classiques de la CNT, la FAI, les FIJL [Fédération Ibérique des Jeunesses Libertaires] qui théoriquement étaient organisées séparément, tout en acceptant une représentation commune dans la CNT. Le nom adopté par cette dernière (Mouvement Libertaire Espagnol-CNT en France) exprime très clairement cette nouvelle formule. Après le congrès de 1945, la division se renforce. Le Comité National fonctionnant en Espagne décide autoritairement, ignorant volontairement les répercussions de sa décision, de nom-mer des ministres dans le gouvernement républicain en exil qui vient d’être constitué. Une grande controverse éclate entre la tendance classique, qui a assumé la direction organique au Congrès, et la minorité privée de postes de responsabilité. Cette dernière, présentant comme cheval de bataille le fait que l’Organisation est surtout en Espagne et s’exprime par la voix du Comité Nationale, fait sécession en automne 1945. Deux organisations se forment en exil : MLE-CNT et CNT-MLE. L’organe de cette dernière est l’hebdomadaire « España Libre ». Au Mexique, le même courant va développer en Amérique un travail d’édition d’une certaine importance qui aboutit en 1962 à la sortie de la revue « Comunidad Ibérica ».

Le MLE-CNT en France organisa en 1949 sa seconde Conférence Intercontinentale (la première avait eu lieu au printemps 1947) à Toulouse. Il prit alors le nom de Confédération Nationale du Travail d’Espagne en Exil. La nouvelle structure faisait des vieilles régions des interdépartementales ou des sections. Chaque sous-délégation de l’Extérieur devint un noyau dépendant du secrétariat inter-continental, dont le siège est à Toulouse.
En Espagne, avec la victoire alliée en 1945, le régime resta un certain temps à l’expectative. L’Allemagne et l’Italie, maintenant vaincues, avaient été à tout moment un soutien de Franco. La CNT profita de cette hésitation pour entreprendre une réorganisation, surtout en Catalogne. Mais la scission confédérale, qui se fit en sens contraire à l’Intérieur, entraîna une perte de temps précieux en luttes qui allaient au-delà des discussions byzantines. D’une part et de l’autre des Pyrénées, il y eut le même manque de considération pour les minorités, le même manque de bon sens vis à vis du temps et des occasions à saisir. Entre-temps, la raison d’État des puissances occidentales, se fondant hypocritement sur la guerre froide, les poussa à jouer la carte de Franco, en choisissant un État fort et fortement anti-communiste plutôt que les forces désunies qu’offrait l’opposition antifranquiste dans et hors d’Espagne.
Le franquisme n’attendit pas davantage pour déclencher la seconde vague de répression. La première avait commencé immédiatement après la fin des opérations militaires en mars 1939. La seconde détruisit la structure fragile de la réorganisation intérieure. Et elle fut extrêmement dure à cause de l’hostilité continuelle venue de l’Extérieur. Tandis que la CNT de l’Intérieur avait fait le choix de la reconstitution des cadres organiques et des contacts ou de la collaboration avec les autres forces de l’opposition démocratique, la CNT de l’exil, se basant sur une impression exagérée de sa propre force et refusant par voie de conséquence le moindre compromis avec d’autres forces ou partis, se crut dans l’obligation de lancer une attaque frontale violente et solitaire. Les meilleures énergies des jeunes furent brûlées dans ces interférences tactiques et dans un combat aussi inégal. Les bagnes de Franco se remplirent de cadavres vivants.
La solution diplomatique du problème espagnol chaque fois plus incertaines allait refroidir l’impétuosité des groupes et montrer l’inutilité des oppositions de fond. Au début des années 60 un courant vers le rapprochement apparut. Le climat de réunification porta ses fruits en 1961. Mais les ressentiments allaient s’avérer plus forts en termes émotionnels que la capacité d’analyse en termes objectifs. Un certain processus de vieillissement, l’érosion venant d’un quart de siècle à l’écart d’un milieu propice, l’amputation brutale par le franquisme des éléments les plus combatifs, l’absence de générations de rechange, tout cela produisit une usure intellectuelle chez les minorités avancées, et à la base chez les affiliés, une soumission totale aux consignes bureaucratiques. Il y eut par intermittence de courtes réactions contre la vieille garde par des promotions réduites pas tellement jeunes, qui se sont soldés par des exacerbations aveugles des vieux militants, qui, en liquidant en leur faveur cette fronde avec une furie démesurée, frustrèrent sans doute la dernière lueur de régénération cellulaire. Au moment où nous écrivons, un horizon où pointe une nouvelle apparition du mouvement libertaire espagnol repose sur de sérieuses confirmations dans les milieux intellectuels et étudiants, dans le sillage d’une révolution internationale juvénile dont le foyer est dans les universités. Ce qui est une promesse pour le monde vaut également en Espagne, ne serait-ce qu’à cause de la plus grande fertilité de ses sédiments historiques.

V. Conclusions


Les trente-trois mois, à peu de jours près, de la durée de la guerre civile, reposait sur un questionnement : faisions-nous la révolution ou faisions-nous la guerre ? En d’autres mots : attaquions-nous ou nous défendions-nous ? Pour beaucoup de gens, même pour certains soi-disant révolutionnaires la question n’avait pas d’autre alternative : le fait épisodique du début des hostilités, de la part évidemment des réactionnaires, servaient leur révolution. Selon ce critère classique, la révolution est une entreprise privée, une sorte de programme avec des délais fixés sans rapport avec les événements et avec le climat existant. L’entreprise privée est le « parti révolutionnaire », qui en est le déterminant absolu.
C’est conduit par cette mentalité classiste qu’avaient été lancés en Espagne une série de mouvements révolutionnaires, méprisant ostensiblement les facteurs psychologiques et environnementaux. Le congrès confédéral de Saragosse en fit une critique sévère avec des conclusions non formulées , mais qui restèrent dans les esprits. Les révolutions ne se fabriquent pas, elles ne se font pas sur commande et sur mesure, elles ne sont pas faites par quelques individus mais par tous : c’est le peuple qui les fait et non le Parti. Elles sont le résultat maximal d’un sentiment collectif de dépassement combiné avec une série de faits dans le même temps.
Ce que le congrès de Saragosse n’aborda pas, fut élaboré, avec tous ses articles et ses clauses, le 19 juillet. Les minorités, les organisations et les programmes jouent strictement leur rôle. Le reste, c’est le peuple qui le fait. Le sacrifice personnel ne se perd pas cette fois, comme un cri sans écho, dans le désert de l’indifférence. Et c’est de là qu’est sortie la révolution, une des plus grandes révolutions de l’histoire. Seule la postérité saura lui rendre justice. Nous-mêmes, les révolutionnaires nous sommes diminués par l’immensité de cette œuvre. Toutes les imperfections, toutes les faiblesses, toutes les tares sont effacées comme les taches sur le disque solaire, par la magnificence resplendissante des principales réalisations. Jamais l’esprit de transformation de l’homme ne s’était appliqué si à fond. Les classes et les institutions n’avaient jamais senti une secousse si audacieuse et si profonde. La portée des réalisations populaires ne s’était pas élevée si haut, si fermement et si profondément.

Personne n’avait fixé la date de maturité de la révolution de juillet. L’éclatement fut la résultante d’une conjonction de faits, de sentiments et de volontés. Pendant le processus, chaque nouvelle secousse approche davantage de l’objectif. Octobre 1934 est déjà une rectification de la précision du tir. La révolution élargit de plus en plus sa base dans la foulée des expériences. L’ennemi a capté ce mes-sage alarmant. Le 18 juillet est une sortie désespérée contre le danger. Perfidie ? Déloyauté ? La seule chose évidente c’est la conduite perverse et douteuse des minorités au gouvernement. Franco et ses hordes n’ont jamais caché leurs intentions funestes. Le clergé n’a jamais cessé ses provocations. Les seuls à ne pas se définir, ce sont les différents récits de gouvernants, d’historiens ou de faussaires. L’ennemi joue au tout pour le tout. Il sait parfaitement en quoi consiste l’enjeu. Si ce n’est pas lui qui attaque, la révolution le prendra à la gorge, un jour proche.
La révolution a eu la malchance de se produire au pire moment. La lâche attitude des partis politiques espagnols n’était que le reflet de la lâcheté générale de la démocratie internationale, ce qui stimula le déploiement du fascisme. Tout s’unit pour étouffer dans l’œuf le phénomène collectif le plus catégorique. La révolution, enterrée sous une grosse couche de cadavres constamment renouvelés, va germer un jour avec la force des bonnes graines bien traitées.
Attendons la fin de l’hiver et la fonte des neiges.

José Peirats (1972)

Congrès constitutif de la CNT française (Décembre 1946)

Compte rendu des débats, décembre 1946

Congrès constitutif de la CNT – 7, 8, 9 décembre 1946

Congrès constitutif de la CNT
décembre 1946

Extrait de l’Action syndicaliste (Organe de la CNT – Section française de l’AIT), n° 24, 25 décembre 1946, p. 1-2.

La fondation de la Confédération nationale du travail en décembre 1946 est un évènement syndical peu étudié. Nous publions ici le texte intégral du compte rendu du congrès constitutif de la CNT tel qu’il parut dans le journal L’Action syndicaliste, qui devait devenir bientôt Le Combat syndicaliste, comme décidé au congrès.

Il y aurait beaucoup à dire sur cet évènement sur lequel nous souhaitons publier d’autres documents. Pour l’heure, nous nous contenterons de signaler que la création de la CNT fut la première réaction syndicale face à l’emprise communiste sur la CGT dans l’immédiat après-guerre. Il faudrait une étude sérieuse pour se prononcer sur les causes du déclin de la CNT dans les années qui suivirent, mais la fondation de la CGT-Force-Ouvrière en 1947, en fournissant une autre alternative syndicale à la CGT, fut certainement un facteur important[1].

Au congrès de 1946, il faut noter en premier lieu la présence et l’influence de l’ancienne équipe dirigeante de la CGTSR : Pierre Besnard et Julien Toublet. Il est ainsi fait référence à la Charte de Lyon, qui régissait la CGTSR ; la CNT française se place directement dans la filiation de son modèle espagnol ; l’adhésion à l’ AIT (dont Besnard a été secrétaire) y ait entérinée.

Mais d’autres positions, faisant référence à l’économie distributive, sont présentes. Le congrès aborde une discussion intéressante sur plusieurs questions économiques qu’il faudrait étudier plus avant (refus des comité d’entreprise, mais acceptation du délégué ouvrier, échelle mobile des salaires, etc.).

Notre congrès

Compte rendu des débats du congrès constitutif
7, 8 et 9 décembre

A l’ouverture de la première séance, le président donne connaissance de différents messages de solidarité d’organisations françaises et étrangères.

Après que Rotot en fait adopter l’organisation des débats, Juhel développe le rapport d’activité. La présence des délégués à ce congrès démontre que le bureau, la C.A. et les militants du pays ont travaillé activement, pendant les six mois écoulés, pour le développement de la C.N.T. Il indique que pour l’ »A.S. » les syndiqués ne font pas tout ce qu’ils devraient pour sa diffusion et termine en demandant aux délégués de prendre, pour l’avenir, des décisions viriles qui fassent de la C.N.T. une puissante centrale syndicale.

Le Marc, administrateur de l’ »A.S. », développe le rapport financier du journal. Il porte à la connaissance des congressistes que beaucoup de dépositaires oublient de régler les envois, ce qui crée, pour la trésorerie du journal, un découvert qui risque de le faire sombrer.

Toulouse, Bordeaux, P.T.T.-Paris, Alger interviennent dans la discussion. Besnard demande l’extension de la presse à la librairie et propose le changement de titre du journal. Après cette discussion, Le Marc propose la nomination d’une commission de cinq membres chargée d’établir un rapport en tenant compte des différentes propositions. Sont désignés : Peyrissaguet (Limpoges), Lapeyre[2] (Bordeaux), Jammes (Toulouse), Darsel (P.T.T.-Paris), Giraud (Bâtiment-Paris).

Après avoir disjoint du rapport d’activité la partie ayant trait au journal, ce dernier est adopté à l’unanimité.

La commission désignée rapporte ce qui suit :

Trésoreries indépendantes pour la librairie, le journal et le bulletin. Augmentation du timbre confédéral avec ristourne de 2 fr. pour la presse, dont 1 fr. ira au journal et 1 fr. au bulletin intérieur. Ce dernier sera servi gratuitement aux adhérents. Provisoirement, les 2 fr. iront au journal, jusqu’à ce qu’un C.C.N. décide de la parution du bulletin. Ces propositions sont adoptées par le congrès, qui décide en outre la création d’une commission du journal composée d’un administrateur et d’un rédacteur, d’une commission de la librairie, composée d’un administrateur et d’un responsable à la vente et aux achats, d’une commission du bulletin, composée d’un administrateur et d’un rédacteur. Ces six responsables formeront la commission confédérale de presse et de librairie. Le congrès décide également de prendre pour le journal le titre de « Combat syndicaliste ».

Doussot développe le rapport financier. Une commission de contrôle composée des camarades Noël (Toulouse), Le Bihan (Rouen), Perrissaguet (Limoges), est désignée pour la vérification des comptes. Le rapport de cette dernière indique la bonne tenue des comptes et le rapport financier est adopté.

Le rapport international est développé par Besnard, qui expose les raisons qui nécessitent au plus tôt une conférence des bureaux occidentaux de l’A.I.T. Bernardo Pou, secrétaire de l’A.I.T. pour l’Europe Occidentale, complète l’exposé de Besnard.

Le rapport, ainsi qu’une résolution s’y rattachant, sont adopté à l’unanimité.

Le Congrès Constitutif de la C.N.T., après avoir entendu la lecture et les commentaires du rapport international ainsi que les explications fournies par le représentant de l’A.I.T. et de son bureau occidental, déclare qu’il est pleinement solidaire de l’A.I.T. et de toutes ses centrales nationales, dans leur lutte pour le triomphe du syndicalisme révolutionnaire international.

Il affirme, en outre, sa volonté inébranlable de participer à cette lutte avec toutes ses forces et tout son coeur. Il assure les Centrales soeurs et plus particulièrement celles qui souffrent encore sous la botte fasciste comme l’Espagne et le Portugal, ou incomplètement libérées comme l’Italie, la Grèce, la Bulgarie, la Roumanie, la Tchécoslovaquie, la Pologne, ainsi que les prolétariats Balkaniques et Baltes de sa solidarité entière.

Cependant, il considère en premier lieu que son devoir le plus impérieux consiste à aider la C.N.T. Espagnole à libérer son pays du joug de Franco et tous ses efforts tendront vers ce but.

Ensuite, il joindra ses efforts à ceux de la C.N.T. Espagnole pour débarrasser le Portugal de Salazar et l’Italie de l’occupation alliée, pour constituer le bloc latin des pays occidentaux et établir entre ces pays un synchronisme d’action qui doit s’étendre à toute l’Afrique du Nord et jeter les bases nouvelles de l’action de l’A.I.T. dans tous ces pays.

Enfin, le Congrès demande, pour étudier cette situation en commun et arrêter les tactiques nécessaires, la réunion le plus tôt possible du bureau occidental qui devra lui-même envisager à très bref délai un congrès extraordinaire de l’A.I.T.

Résolution n° 1

L’ordre du jour appelle l’examen du projet de statuts confédéraux dont Toublet est rapporteur. La discussion fut longue et passionnée. Nous ne la relaterons pas ici en raison du manque de place. Le projet de statuts, modifié par le Congrès, paraîtra incessamment en brochure. Les camarades voudront bien s’y rapporter.

Le camarade Bézard commente ensuite son rapport sur la condition paysanne. Après différentes interventions, le rapport et une résolution s’y rattachant sont adoptés. En outre, le Congrès décide l’édition d’une brochure traitant de la question.

Le Congrès insiste auprès des syndicats de la C.N.T. sur la nécessité et l’urgence d’une liaison revendicative entre les ouvriers agricoles et les ouvriers industriels. Il ne peut y avoir de véritable transformation du statut social sans un concours réel et actif des couches paysannes qui connaissent comme les ouvriers citadins, la dure et arrogante exploitation du capitalisme foncier, industriel et financier.

Les luttes revendicatives du prolétariat des villes auront aussi plus de chances de réussite si elles sont comprises des exploités de la terre, si elles ont leur sympathie et sont soutenues par eux.

Dans la période révolutionnaire, la solidarité de la paysannerie doit avoir son complément naturel par l’intégration de l’économie agraire dans une économie rationnelle distributive te fédéraliste, grâce à la mise en gestion par les paysans pauvres des grands domaines fonciers et l’adhésion volontaire des petites exploitations sans salariés à une organisation communale qui réalisera la collectivisation des biens et des produits de la terre.

A cet événement, la C.N.T. doit se préparer et préparer le monde paysan. Elle doit s’efforcer de grouper les ouvriers agricoles dans des syndicats, en opposition avec les seigneurs de la terre, adversaires irréductibles de leurs intérêts, en axant leur mouvement sur les contradictions inconciliables de classe.

Parallèlement, et pour une date plus lointaine, organiser les petits exploitants n’utilisant aucune main d’oeuvre salariée, en organisations distinctes en se rapprochant des ouvriers agricoles groupés au sein de la C.N.T.

Dans un cas comme dans l’autre, les organisations devront reposer sur des principes fédéralistes, contrairement aux organisations similaires des représentants du capitalisme agraire.

Pour atteindre ces buts, le congrès recommande la constitution de commission paysanne au sein des U.R., afin de poursuivre l’étude des revendications spécifiques des couches paysannes et de vulgariser notre position sur ce problème ; l’impression de brochures de vulgarisation qui permettraient de répandre dans le monde paysan, les solutions que nous préconisons, sous le contrôle de la C.N.T. de s’efforcer de détourner la masse paysanne des organisations qui ont frauduleusement capté sa confiance en faisant pénétrer dans ces dernières, les éléments d’information susceptibles de nous faire connaître.

Résolution n° 2

Le rapport sur les salaires et heures de travail, établi par Jacquelin est divisé en deux parties. Celle concernant les salaires est développée par Rotot, qui préconise l’application de l’échelle mobile des salaires, avec instauration d’une monnaie intérieure. Différents délégués s’élèvent contre cette conception, arguant que les syndicalistes n’ont pas à travailler au redressement du capitalisme.

Nouvel (Produits chimiques-Paris) défend l’instauration d’une monnaie de consommation. Le Congrès désigne une commission de résolution sur cette question.

Les débats se continuent sur les rapports de Bordeaux, Comités d’entreprise et de Limoges. En ce qui concerne le premier, le Congrès décide à la majorité que les membres de la C.N.T. ne peuvent participer aux Comités d’entreprise. Il en est tout autre en ce qui concerne les délégués ouvriers.

La résolution présentée par Nouvel sur la monnaie de consommation est repoussée par le Congrès. Après la suppression du passage concernant la monnaie intérieure, la première partie du rapport Jacquelin, défendue par Rotot, est adoptée

La deuxième partie, concernant les heures de travail, est développée par Jacquelin, qui démontre la nocivité des longues journées et conclut en indiquant la nécessité de la diminution des heures de travail.

Dimanche apporte des précisions sur le rapport présenté par le Syndicat des Industries et Métiers d’Art-Paris, se déclarant partisan de mener la lutte pour l’instauration des 32 heures.

Une résolution concernant salaires et heures de travail est adoptée.

Résolution n° 3

Le congrès après étude des rapports relatifs aux salaires, coût de la vie et diminution des heures de travail considère :

Que pour harmoniser le standard de vie du producteur avec la hausse nécessaire des prix, il y a lieu de pratiquer l’échelle mobile des salaires avec rétroactivité, permettant ainsi aux salaires d’avoir l’élasticité indispensable au maintien du standard de vie des travailleurs ;

Que dans les conjonctures présentes et tenant compte d’une part de la modernisation de l’outillage, et d’autre part de la déficience physique consécutive au rationnement alimentaire il y a lieu de porter la durée du travail hebdomadaire à 32 heures.

Il s’engage à faire le maximum de propagande et d’agitation pour la réalisation de ces revendications.

L’orientation syndicale est présentée par Besnard. Bordeaux déclare que les jeunesses syndicalistes doivent faire partie de la tactique et non des principes. Il indique que la charte de Lyon lui semble supérieure et demande la discussion sur cette dernière. Métaux-Paris demande des précisions sur l’organisation des consommateurs. Employés-Paris réclame la discussion de l’orientation en ce basant sur la charte d’Amiens. Toulouse et P.T.T.-Paris sont d’accord avec Bordeaux.

Le rapporteur répond qu’il n’y a pas de discrimination à faire pour les jeunesses syndicalistes dont la formation est dans les principes et que la charte de Paris est la copie de la charte de Lyon, avec quelques modifications.

Après un vote par mandat, le Congrès opte pour la discussion de la charte de Lyon. Une commission est désignée pour mettre un texte debout et en rapporter devant le Congrès. La charte adoptée par le Congrès paraîtra en brochure incessamment, les camarades s’y rapporteront.

Le Congrès passe ensuite à la nomination de la nouvelle C.A. confédérale qui est composée de 15 membres et de 5 suppléants pris dans les syndicats de la région parisienne.

La séance matinale du lundi 9 est consacrée à la constitution des fédérations et à la tenue du C.C.N.

Ce dernier, conformément aux statuts adoptés, procède à l’élection du bureau confédéral, administration et rédaction du journal et administration de la librairie.

L’après-midi, fin d’examen des statuts. Sur le timbre solidarité, dont le prix de vente aux adhérents est fixé à 10 fr., 5 fr. iront à la caisse confédérale de solidarité et 5 fr. au[x] U.R. ou syndicats, suivant la décision des U.R.

Pour les adhérents individuels, le Congrès décide de porter leur cotisation à 30 fr.

Dans les questions diverses, le principe de la création d’un insigne est adopté.

Mirande (Toulouse) donne connaissance du travail accompli dans cette localité sur le plan coopératif. Il expose les conceptions des camarades sur l’organisation coopérative.

Rapport [?] Toublet, sur la possibilité d’une synthèse entre le syndicat d’industrie et les nécessités de métier. Devant le manque de temps restant aux congressistes, ces derniers décident de reporter la question devant les syndicats afin qu’elle soit solutionnée au prochain C.C.N.

La tenue du prochain Congrès est fixée à Toulouse.

Les camarades Bernardo Pou, représentant de l’A.I.T. et Malsand, de la C.N.T. espagnole, saluent le Congrès au nom de leurs organisations.

Après adoption, à l’unanimité, de la résolution finale, le Congrès est déclaré clos.

Résolution n° 4

La Congrès de la Confédération Nationale du Travail, réuni salle Sassel, 206, Quai de Valmy, à Paris, les 7, 8 et 9 décembre 1946, après étude des rapports qui ont été discutés ; affirme que le syndicalisme révolutionnaire ne doit apporter aucun effort à la continuité du régime capitaliste. Il affirme à nouveau que, seule, la transformation sociale, par la révolution, apportera la libération totale et définitive du prolétariat. En conséquence, tous ses efforts tendront vers ce but.

Considérant que les travailleurs doivent défendre quotidiennement leurs conditions d’existence, le congrès précise qu’il est indispensable et urgent de faire aboutir pour leur assurer un moyen permanent de vie décente la pratique de l’échelle mobile des salaires avec effet rétroactif.

Qu’il y a lieu en outre, de supprimer l’impôt cédulaire, survivance de l’état de guerre dont la disparition était prévue, le congrès demande en outre l’abrogation pour les travailleurs, de l’impôt sur le revenu qui spolie la classe ouvrière, en assimilant les salaires aux revenus capitalistes, d’assurer aux vieux travailleurs qui ont apporté une longue vie de travail à la collectivité, une retraite égale au salaire moyen départemental et, à la charge du capitalisme qui a profité de leurs efforts.

Les invalides du travail étant victime du capitalisme au même titre que les invalides de guerre, le congrès demande que leur rente invalidité soit égale aux salaires moyens de leur profession.

Considérant en outre que la formule à travail égal, salaire égal, est toujours d’actualité, demande que les femmes bénéficient du même traitement que les travailleurs masculins.

Le congrès demande la suppression pure et simple du décret de Vichy sur l’embauchage et le débauchage, avec le retour à la liberté du travail, que les élections des délégués ouvriers s’effectuent selon les modalités prévues en 1936, en conséquence, il demande l’éligibilité sans distinction de sexe et de nationalité aussitôt la période d’essai terminée, la révocabilité des délégués à tout instant par l’Assemblée générale du personnel et l’éligibilité des candidats condamnés pour action syndicale.

Les contrats collectifs liant les employeurs et leur personnel, nous indiquons que dans les périodes instables, les salariés n’ont aucun intérêt à leur application.

Le congrès déclare que les syndicats appartenant à la C.N.T. participeront à toute grève revendicative avec les conceptions et les méthodes particulières au syndicalisme révolutionnaire.

Le Congrès s’élève contre les prétentions de la C.G.T. visant à monopoliser les droits syndicaux, malgré et en désaccord avec sa position prise lors du vote de la constitution reconnaissant la liberté syndicale.

Le congrès élève une protestation énergique contre l’autorisation préalable et le muselage des journaux, réclame le retour à la liberté totale de la presse.

Le Congrès s’élève contre la préparation militaire préconisée par la C.G.T. pour asservir selon des méthodes fascistes, la jeunesse et la préparer à l’holocauste sanglant, profitable au capitalisme, contre la nouvelle guerre qui se prépare, sous prétexte de liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes. Il affirme en outre, que la paix étant à l’ordre du jour des peuples, tous les pacifistes qui sont encore dans les geôles, soient immédiatement libérés.

Enfin, le Congrès se déclare partisan de la communication directe entre les peuples et demande l’adoption d’une langue internationale.

Le Congrès se sépare en décident [sic] de faire le maximum d’efforts afin de faire triompher touts ces revendications.

VIVE LA C.N.T.

VIVE L’A.I.T.

NOTES

[1] Il est connu qu’un certain nombre de militants syndicalistes révolutionnaires (notamment du groupe de la Révolution prolétarienne) et anarchistes (comme Maurice Joyeux) donnèrent leur préférence à FO. D’ailleurs, nous avons noté dans les premières réunions de FO certaines interventions très marquées, comme notamment la demande d’adhésion d’un délégué du CCN de FO à l’AIT.

[2] Militant anarchiste (avec son frère) bordelais.

La Charte de Paris (1946)

 

Adoptée au Congrès constitutif de la C.N.T (Décembre 1946)

En présence de l’instabilité politique et financière de l’Etat français, qui peut à tout instant provoquer une crise de régime et, par conséquent, poser la question d’un ordre social nouveau par les voies révolutionnaires,

Le Congrès, en même temps qu’il se refuse à donner au capitalisme le moyen de se rééquilibrer, déclare que le syndicalisme doit tirer de cette situation catastrophique le maximum de résultats pour l’affranchissement des travailleurs.

En conséquence, il affirme que les efforts du prolétariat doivent tendre, non seulement à renverser le régime actuel, mais encore à rendre impossible la prise du pouvoir et son exercice par tous les partis politiques qui s’en disputent déjà âprement la possession.

C’est ainsi que le syndicalisme doit savoir profiter de toutes les tentatives faites par les partis pour s’emparer du pouvoir, pour jouer lui-même son rôle décisif qui consiste à détruire ce pouvoir et à lui substituer un ordre social reposant sur l’organisation de la production, de l’échange et de la répartition dont le fonctionnement sera assuré par le jeu des rouages syndicaux à tous les degrés.

En proclamant le sens profondément économique de la révolution prochaine, le Congrès tient à préciser essentiellement qu’elle doit revêtir un caractère de radicale transformation sociale devenue indispensable et reconnue inévitable aussi bien par le capitalisme que par le prolétariat.

Ce caractère ne peut lui être imprimé sur le plan de classe des travailleurs que par le prolétariat organisé dans les syndicats, en dehors de toute autre direction extérieure, qui ne peut que lui être néfaste.

C’est seulement à cette condition que les soubresauts révolutionnaires des peuples, jusqu’ici utilisés et dirigés par les partis politiques, permettront enfin d’apporter un changement notable dans l’ordre économique et social, ainsi que l’exige le développement des sociétés modernes.

En considération de ce qui précède, le Congrès déclare que les évènements prochains, en se déroulant dans l’ordre économique, vont poser les nouvelles conditions de vie des peuples et fixer avec une force grandissante et insoupçonnée les véritables caractères de la vie sociale. Cette vie sera l’œuvre des forces productrices et créatrices, associant harmonieusement les efforts des manœuvres, des techniciens et des savants, orientés constamment vers le progrès.

Ainsi se précisent logiquement les caractères de la transformation nécessaire.

Reprenant les termes de cette partie de la résolution d’Amiens qui déclare que le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance, sera, dans l’avenir, le groupement de production et de répartition, base de la réorganisation sociale,

Le Congrès affirme que le syndicalisme, expression naturelle et concrète du mouvement des producteurs, contient à l’état latent et organique toutes les activités d’exécution et de direction capables d’assurer la vie nouvelle. Il lui appartient donc, dès maintenant, de rassembler sur un plan uniquement d’organisation toutes les forces de la main-d’œuvre, de la technique et de la science, agissant séparément, en ordre dispersé, dans l’industrie et aux champs.

En réunissant, dès que possible, dans un même organisme toutes les forces qui concourent à assurer la vie sociale, le syndicalisme sera en mesure, dès le commencement de la révolution, de prendre en main, par tous ses organes, la direction de la production et l’administration de la vie sociale.

Comprenant toute la grandeur et toute la difficulté de ce devoir, le Congrès tient à affirmer que le syndicalisme doit, dès maintenant, remanier son organisation, compléter ses organes, les adapter aux nécessités – comme le capitalisme lui-même – et se préparer à agir, demain, en administrateur et en gestionnaire éclairé de la production, de la répartition et de l’échange.

Il ne méconnaît pas l’extrême complexité des problèmes qui seront posés par la disparition du capitalisme. Aussi, il n’hésite pas à déclarer que le mouvement des travailleurs, qui ne recèle pas encore toutes les forces nécessaires à la vie sociale de demain, doit faire la preuve de son intelligence et de sa souplesse en appelant à lui tous les individus, toutes les activités qui, par leurs fonctions, leur savoir, leurs connaissances, ont leur place naturelle dans son sein et seront indispensables pour assurer la vie nouvelle à tous les échelons de la production.

N’ignorant pas les changements profonds qui sont survenus dans le domaine de la science et de la technique, que ce soit dans l’industrie ou dans l’agriculture, le Congrès, préoccupé des transformations nécessaires, n’hésite pas à faire appel aux savants et aux techniciens.

De même, il s’adresse aux paysans, pour assurer conjointement avec leurs frères ouvriers la vie et la défense de la révolution qui ne saurait s’effectuer sans leur concours éclairé, constant et complet. Le Congrès pense qu’ainsi se scellera, par un effort concordant, harmonieux et fécond, qui les rassemblera tous pour une même tâche de libération humaine, l’union des travailleurs de la pensée et des bras, de l’industrie et des champs.

N’ayant pour unique ambition que d’être les pionniers hardis d’une transformation sociale dont les agents d’exécution et de direction œuvreront sur le plan du syndicalisme, les syndicalistes désirent que leur mouvement, vivant reflet des aspirations et des besoins matériels et moraux de l’individu, devienne la véritable synthèse d’un mécanisme social déjà en voie de constitution où tous trouveront les conditions organiques, idéalistes et humaines de la révolution prochaine, désirée par tous les travailleurs.

Demain doit être aux producteurs, groupés ou associés, en vertu de leurs fonctions économiques. L’organisation politique et sociale surgira de leur sein. Elle portera en elle-même tous les facteurs de réalisation, organisation, cohésion, impulsion et action.

De cette façon se dressera en face du citoyen : entité fuyante, instable et artificielle, le travailleur : réalité vivante, support logique et moteur naturel des sociétés humaines.

LE SYNDICALISME DANS LE CADRE NATIONAL 

SON ACTION GÉNÉRALE – La Confédération Nationale du Travail affirme, dès sa constitution, qu’elle entend être exclusivement un groupement de classe : celui des travailleurs. Elle doit donc, en plein accord sur ce point avec la Charte d’Amiens, mener la lutte sur le terrain économique et social.

Véritable organisme de défense et de lutte de classes, elle est, en dehors de tous les partis et en opposition avec ceux-ci, la force active qui doit permettre à tous les travailleurs de défendre leurs intérêts immédiats et futurs, matériels et moraux. S’inspirant de la situation présente, elle déclare vouloir préparer sans délai les cadres complets de la vie sociale et économique de demain, dont elle tient à examiner tout de suite les caractères possibles et le fonctionnement général.

Au capitalisme – conséquence et résultante de la vie passée, adaptée et façonnée par les forces dirigeantes en dehors de toute doctrine comme de toute théorie – entrant dans le dernier cycle de son évolution historique, le Congrès entend substituer le syndicalisme, expression naturelle de la vie sociale des individus en marche vers le communisme libre.

Rejetant le principe du partage des privilèges chers aux défenseurs de l’intérêt général et de la superposition des classes qui est aussi celui de nos adversaires, le syndicalisme doit poursuivre sa mission qui est : de détruire les privilèges, d’établir l’égalité sociale. Il n’atteindra ce but qu’en faisant disparaître le patronat, en abolissant le salariat individuel ou collectif et en supprimant l’Etat. Il préconise à ce sujet la grève générale, l’expropriation capitaliste et la prise de possession des moyens de production et d’échange, ainsi que la destruction immédiate de tout pouvoir étatique.

SES MOYENS DACTION – Précisant sa conception de la grève générale, le Congrès tient à déclarer très fermement que ce moyen d’action conserve à ses yeux toute sa valeur, en toutes circonstances, que ce soit corporativement, régionalement, nationalement ou internationalement. Que ce soit pour faire triompher les revendications particulières ou générales, fédérales ou nationales, offensivement ou défensivement, pour protester contre l’arbitraire patronal ou gouvernemental, la grève, partielle ou générale, reste et demeure la seule arme du prolétariat.

En ce qui concerne la grève générale expropriatrice, premier acte révolutionnaire qui sera marqué par la cessation immédiate et simultanée du travail en régime capitaliste, le Congrès affirme qu’elle ne peut être que violente. Elle aura pour objectif : 
– de priver le capitalisme et l’Etat de toute possibilité d’action en s’emparant des moyens de production et d’échange et de chasser du pouvoir ses occupants du moment ; 
– de défendre les conquêtes prolétariennes qui doivent permettre d’assurer l’existence de l’ordre nouveau ; 
– de remettre en marche l’appareil de la production et des échanges, après avoir réduit au minimum – pour la prise de possession – le temps d’arrêt de la production et des échanges ruraux et urbains ; 
– de remplacer le pouvoir étatique détruit par une organisation fédéraliste et rationnelle de la production, de l’échange et de la répartition.

Confiant dans la valeur de ce moyen de lutte, le Congrès déclare que le prolétariat, non seulement saura prendre possession de toutes les forces de production, détruire le pouvoir étatique existant, mais encore sera capable d’exploiter ces forces dans l’intérêt de la collectivité affranchie et de les défendre contre toute entreprise contre-révolutionnaire, les armes à la main, et de donner à l’organisation sociale la forme qu’exigera le stade d’évolution atteint par les individus vivant à cette époque.

Il déclare que le terme des conquêtes révolutionnaires ne peut être marqué que par les facultés de compréhension des travailleurs et les possibilités de réalisation de leurs organismes économiques, dont l’effort devra être porté au maximum.

Par là, le Congrès indique que la stabilisation momentanée de la révolution doit s’accomplir en dehors de tout système préconçu, de tout dogme, comme de toute théorie abstraite, qui seraient pratiquement en contradiction avec les faits de la vie économique qui doit nécessairement donner naissance à la vie politique et sociale exprimant l’ordre nouveau.

Proclamant son attachement indéfectible à la lutte révolutionnaire, le Congrès tient, pour bien préciser sa pensée, à déclarer qu’il considère la révolution comme un fait social, déterminé par la contradiction permanente des intérêts des classes en lutte, qui vient tout à coup marquer brutalement leur antagonisme en rompant le cours normal de leur évolution qu’il tend à précipiter.

En conséquence, il déclare que le syndicalisme (comme tous les autres mouvements) a le droit de l’utiliser, suivant ses desseins, pour atteindre le maximum des buts qu’il s’est fixé, sans confondre son action avec celles des partis qui prétendent, eux aussi, transformer l’ordre politique et social et préconisent pour cela la dictature prolétarienne et la constitution d’un Etat soi-disant provisoire.

En dehors de cette action essentielle, le Congrès déclare que, par son action revendicatrice quotidienne, le syndicalisme poursuit la coordination des efforts ouvriers, l’accroissement du mieux-être des travailleurs par la réalisation d’améliorations immédiates, telles que : la diminution des heures de travail, l’augmentation des salaires, etc., il prépare chaque jour l’émancipation des travailleurs qui ne sera réalisée que par l’expropriation du capitalisme. En condamnant la «  collaboration des classes  » et  » le syndicalisme d’intérêt général « , le Congrès tient à déclarer que ce ne sont pas les discussions inévitables entre patrons et ouvriers qui constituent des actes de collaboration de classes. En ne voyant dans ces discussions qui résultent de l’état de choses actuel qu’un aspect de la lutte permanente des classes, le Congrès précise que la collaboration des classes est caractérisée par le fait de participer, dans des organismes réunissant des représentants des ouvriers, des patrons ou de l’Etat, à l’étude en commun des problèmes économiques dont la solution apportée ne saurait que prolonger, en la renforçant, l’existence du régime actuel.

LE SYNDICALISME DANS LA PÉRIODE PRÉ-RÉVOLUTIONNAIRE 

Considérant que dans la période pré-révolutionnaire le rôle du syndicalisme est de dresser une opposition constante aux forces capitalistes, de diminuer le pouvoir patronal en augmentant celui du syndicat, le Congrès estime que ces résultats ne peuvent être obtenus que par l’introduction du contrôle syndical dans les entreprises capitalistes, par la création des comités et des conseils d’ateliers, d’usines, de bureaux, de chantiers, de gares, de ports, de fermes ou d’exploitations agricoles dans tous les domaines de la production.

En même temps que sera menée à bien la besogne de documentation, d’éducation technique et professionnelle en vue de la réorganisation sociale, sera enfin réalisé, dans les meilleures conditions, l’apprentissage de classe de la gestion.

En indiquant que les syndicats constitueront les cadres de la société nouvelle, le Congrès déclare qu’en ouvrant l’accès du syndicat aux techniciens et aux savants, ceux-ci s’y trouveront placés sur un pied de complète égalité avec les autres travailleurs. C’est de la collaboration intelligente et amicale de tous ces éléments que surgira le véritable Conseil économique du travail, qui aura pour mission de poursuivre le travail de préparation à la gestion des moyens de production, d’échange et de répartition et aura à charge, sous la direction des Congrès, de chercher les moyens les meilleurs pour faire aboutir les revendications ouvrières.

RAPPORT DU SYNDICALISME AVEC LES AUTRES FORCES RÉVOLUTIONNAIRES 

Le Congrès affirme à nouveau que le syndicalisme doit vivre et se développer dans l’indépendance absolue, qu’il doit jouir de l’autonomie complète qui convient à son caractère de force essentielle de la révolution. Par sa doctrine, ses buts, son action corporative et sociale, le syndicalisme s’affirme comme le seul mouvement de classe des travailleurs. Il est capable de réaliser, par lui-même, aux différents stades de l’évolution humaine, aussi bien le communisme organisé que le communisme libre.

Cela implique qu’il ne peut concourir à la poursuite des objectifs politiques affirmés par les partis et qu’il ne peut lier son action à la leur. L’affirmation sans cesse plus nette des buts poursuivis par les autres confédérations syndicales et leurs partis oblige la C.N.T à répudier toutes alliances avec ces forces sur le terrain révolutionnaire. En effet, s’il est encore possible de réunir dans une action corporative commune toutes les forces ouvrières groupées dans les différentes confédérations syndicales, il est indéniable que toute conjugaison de ces mêmes forces pour une lutte révolutionnaire apparaît inutile et vaine en raison de l’opposition fondamentale des buts que se sont assignés les diverses fractions du syndicalisme.

De toute évidence, cette incompatibilité d’action révolutionnaire s’étend  » a fortiori  » aux ententes avec les partis politiques ouvriers qui, tous, sans exception, veulent et c’est leur raison d’être – instaurer un Etat politique dont ils auraient la direction. Etat dont le syndicalisme révolutionnaire proclame la nocivité et nie la nécessité.

En conséquence, le Congrès déclare que la C.N.T. ne peut unir ses efforts à ceux des autres confédérations syndicales que sur le terrain de l’action quotidienne. Il est d’ailleurs persuadé que l’unité de toutes les forces révolutionnaires se réalisera sur le terrain de classe, dans la phase décisive de destruction de l’Etat bourgeois et du capitalisme pour se continuer dans la période constructive, qu’elle se scellera par l’entrée de tous les travailleurs dans leur groupement naturel : le syndicat, organe complet de production, d’administration et de défense d’une société reposant exclusivement sur le travail, sa répartition, son échange, de la base au faîte de son édifice.

LE SYNDICALISME DANS LE CADRE INTERNATIONAL 

Considérant que, plus que jamais, les travailleurs ont pour devoir de se tendre la main par-dessus les frontières et de proclamer qu’ils appartiennent à une même classe – celle des exploités.

Le Congrès estime que, pour opposer un front unique, commun et irrésistible à la puissance capitaliste, les ouvriers doivent se réunir au sein d’un organisme international dans lequel ils retrouveront le prolongement de leur propre action de classe qu’ils engagent dans chaque pays, contre leur patronat respectif.

Il estime que la place d’un mouvement syndical basé sur la lutte de classes ne peut être que dans une Internationale qui accepte les principes suivants : autonomie complète, indépendance absolue du syndicalisme dans l’administration, la propagande, la préparation de l’action, dans l’étude des moyens d’organisation et de lutte future et dans l’action elle même.

Ayant ainsi défini sa compréhension de l’action du syndicalisme révolutionnaire sur le terrain national et international, le Congrès donne l’adhésion de la C.N.T. à l’Association Internationale des Travailleurs.

Il proclame que cette Internationale est la continuation logique de la Première Internationale, de même que la C.N.T est la continuation de la C.G.T. de 1906.

La Charte de Lyon (1926)

 

Adoptée par le congrès de la CGT-SR en 1926.

En présence de l’instabilité politique et financière de l’Etat français, qui peut â tout instant provoquer une crise de régime et par conséquent, poser la question d’un ordre social nouveau par les voies révolutionnaires, le congrès, en même temps qu’il se refuse à donner au capitalisme les moyens de rééquilibrer, déclare que le syndicalisme doit tirer de cette situation catastrophique le maximum de résultats pour l’affranchissement des travailleurs.

En conséquence, il affirme que les efforts du prolétariat doivent tendre, non seulement à renverser le régime actuel, mais encore à rendre impossible la prise du pouvoir et son exercice par tous les partis politiques qui s’en disputent âprement la possession. C’est ainsi que le syndicalisme doit savoir profiter de toutes les tentatives faites par les partis, pour s’emparer du pouvoir, pour jouer lui-même son rôle décisif qui consiste à détruire ce pouvoir et à lui substituer un ordre social reposant sur l’organisation de la production de l’échange et de la répartition, dont le fonctionnement sera assuré par le jeu des rouages syndicaux à tous les degrés. 
En proclamant le sens profondément économique de la révolution prochaine, le congrès tient à préciser essentiellement, qu’elle doit revêtir un caractère de radicale transformation sociale devenue indispensable et reconnue inévitable aussi bien par le capitalisme que par le prolétariat. Ce caractère ne peut lui être imprimé sur le plan de classe des travailleurs que par le prolétariat organisé dans les syndicats, en dehors de toute autre direction extérieure, qui ne peut que lui être néfaste.
C’est seulement à cette condition que les soubresauts révolutionnaires des peuples, jusqu’ici utilisés et dirigés par les partis politiques, permettront enfin d’apporter un changement notable dans l’ordre économique et social, ainsi que l’exige le développement des sociétés modernes.

Le congrès constate la profonde nouveauté des événements qui se préparent et rendent inutiles et impossibles les transformations politiques partielles. Il enregistre aussi que le fascisme, nouvelle doctrine de gouvernement des puissances d’argent, qui commandent à tout le système capitaliste, pose lui-même le problème social sous le même angle économique et entend utiliser le syndicalisme en l’adaptant à ses vues particulières pour réaliser ses desseins. 
En considération de ce qui précède, le congrès déclare que les événements prochains en se déroulant dans l’ordre économique vont poser les nouvelles conditions de vie des peuples et fixer, avec une force grandissante et insoupçonnée, les véritables caractères de la vie sociale. Cette vie sera l’œuvre des forces productives et créatrices associant harmoniquement les efforts des manœuvres, des techniques et des savants, orientés constamment vers le progrès. 
Ainsi se précisent logiquement les caractères de la transformation nécessaire. Reprenant les termes de cette partie de la résolution d’Amiens, qui déclare que « le Syndicat aujourd’hui groupement de résistance, sera, dans l’avenir, le groupement de production et de répartition, base de la réorganisation sociale », le congrès affirme que le syndicalisme, expression naturelle et concrète du mouvement des producteurs, contient à l’état latent et organique, toutes les activités d’exécution et de direction capables d’assurer la vie nouvelle. 
Il lui appartient donc, dès maintenant, de rassembler sur un plan unique d’organisation, toutes les forces de la main-d’œuvre, de la technique et de la science, agissant séparément, en ordre dispersé, dans l’industrie et aux champs. En réunissant, dès que possible, dans un même organisme toutes les forces qui concourent à assurer la vie sociale, le syndicalisme sera en mesure, dès le commencement de la révolution, de prendre en mains, par tous ses organes, la direction de la production et l’administration de la vie sociale.
Comprenant toute la grandeur et toute la difficulté de ce devoir, le congrès tient à affirmer que le syndicalisme doit, dès maintenant, remanier son organisation, compléter ses organes, les adapter aux nécessités – comme le capitalisme lui-même – et se préparer à agir, demain, en administrateur et en gestionnaire éclairé de la production, de la répartition et de l’échange. 
Il ne méconnaît pas l’extrême complexité des problèmes qui seront posés par la disparition du capitalisme. Aussi, il n’hésite pas à déclarer que le mouvement des travailleurs, qui ne recèle pas encore toutes forces nécessaires à la vie sociale de demain, doit faire la preuve de son intelligence et de sa souplesse en appelant à lui tous les individus, toutes les activités qui, par leurs fonctions, leur savoir, leurs connaissances, ont leur place naturelle dans son sein et seront indispensables pour assurer la vie nouvelle à tous les échelons de la production. 
N’ignorant pas les changements profonds qui sont survenus dans le domaine de la science et de la technique, que ce soit dans l’industrie et dans l’agriculture, le congrès, préoccupé des transformations nécessaires, n’hésite pas à faire appel aux savants et aux techniciens. 
De même, il s’adresse aux paysans, pour assurer conjointement avec leurs frères ouvriers la vie et la défense de la révolution qui ne saurait s’effectuer sans leur concours éclairé, constant et complet. Le congrès pense qu’ainsi se scellera, par un effort concordant, harmonieux et fécond, qui les rassemblera tous pour une même tâche de libération humaine, l’Union des travailleurs de la Pensée et des Bras, de l’industrie et des champs. 
N’ayant pour unique ambition que d’être les pionniers hardis d’une transformation sociale dont les agents d’exécution et de direction œuvreront sur le plan du syndicalisme, les syndicalistes désirent que leur mouvement, vivant reflet des aspirations et des besoins matériels et moraux de l’individu, devienne la véritable synthèse d’un mécanisme social déjà en voie de constitution, où tous trouveront les conditions organiques, idéalistes et humaines de la révolution prochaine, désirée par tous les travailleurs. 
Demain doit être aux producteurs, groupés ou associés, en vertu de leurs fonctions économiques. L’organisation politique et sociale surgira de leur sein. Elle portera en elle-même, tous les facteurs de réalisation, organisation, coordination, cohésion, impulsion et action. 
De cette façon, se dressera en face du citoyen, entité fuyante, instable et artificielle, le travailleur, réalité vivante, support logique et moteur naturel des sociétés humaines.

Le syndicalisme dans le cadre national 
Son action générale.

La C.G.T. syndicaliste révolutionnaire affirme, dès sa constitution, qu’elle entend être exclusivement un groupement de classe : celui des travailleurs. Elle doit donc, en plein accord sur ce point, avec la Charte d’Amiens, mener la lutte sur le terrain économique et social. Véritable organisme de défense et de lutte de classe, elle est en dehors de tous les partis et en opposition avec ceux-ci, la force active qui doit permettre à tous les travailleurs de défendre leurs intérêts immédiats et futurs, matériels et moraux. S’inspirant de la situation présente, elle déclare vouloir préparer, sans délai, les cadres complets de la vie sociale et économique de demain, dont elle tient à examiner tout de suite les caractères possibles et le fonctionnement général. 
Au capitalisme -conséquence et résultante de la vie passée, adapté et façonné par les forces dirigeantes en dehors de toute doctrine comme de toute théorie- entrant dans le dernier cycle de son évolution historique, le congrès entend substituer le syndicalisme, expression naturelle de la vie sociale des individus en marche vers le communisme libre. 
Rejetant le principe du partage des privilèges chers aux défenseurs de l’intérêt général et de la superposition des classes -qui est aussi celui de nos adversaires-, le syndicalisme doit poursuivre sa mission qui est : de détruire les privilèges, d’établir l’égalité sociale. Il n’atteindra ce but qu’en faisant disparaître le patronat, en abolissant le salariat individuel ou collectif et en supprimant l’Etat.
Il préconise à ce sujet, la grève générale, l’expropriation capitaliste et la prise en possession des moyens de production et d’échange, ainsi que la destruction immédiate de tout pouvoir étatique.

Ses moyens d’action. 
Précisant sa conception de la grève générale, le congrès tient à déclarer fermement que ce moyen d’action conserve, à ses yeux, toute sa valeur, en toutes circonstances, que ce soit corporativement, localement, régionalement, nationalement ou internationalement. Que ce soit pour faire triompher les revendications particulières ou générales, fédérales ou nationales, offensivement ou défensivement, la grève, partielle ou générale, reste et demeure la seule et véritable arme du prolétariat. 
En ce qui concerne la grève générale expropriatrice, premier acte révolutionnaire qui sera marqué par la cessation immédiate, concertée et simultanée du travail en régime capitaliste, le congrès affirme qu’elle ne peut être que violente. 
Elle aura pour objectifs : 
· de priver le capitalisme et l’Etat de toute possibilité d’action, en s’emparant des moyens de production et d’échange, et de chasser du pouvoir ses occupants du moment ; 
· de défendre les conquêtes prolétariennes qui doivent permettre d’assurer l’existence de l’ordre nouveau ; 
· de remettre en marche, l’appareil de la production et des échanges, après avoir réduit, au minimum -pour la prise de possession- le temps d’arrêt de la production et des échanges ruraux et urbains ; 
· de remplacer le pouvoir étatique détruit par une organisation fédéraliste et rationnelle de la production, de l’échange et de la répartition. 
Confiant dans la valeur de ce moyen de lutte, le congrès déclare que le prolétariat saura, non seulement prendre possession de toutes les forces de production, détruire le pouvoir étatique existant, mais encore sera capable d’utiliser ces forces dans l’intérêt de la collectivité affranchie et de les défendre contre toute entreprise contre-révolutionnaire, les armes à la main, et de donner à l’organisation sociale la forme qu’exigera le stade d’évolution atteint par les individus vivant à cette époque. 
Il déclare que le terme des conquêtes révolutionnaires ne peut être marqué que par les facultés de compréhension des travailleurs et les possibilités de réalisations de leurs organismes économiques, dont l’effort devra être porté au maximum.

Par là, le congrès indique que la stabilisation momentanée de la révolution doit s’accomplir en dehors de tout système préconçu, de tout dogme, comme de toute théorie abstraite, qui seraient pratiquement en contradiction avec les faits de la vie économique et sociale exprimant l’ordre nouveau. 
Proclamant son attachement indéfectible à la lutte révolutionnaire, le congrès tient, pour bien préciser sa pensée, à déclarer qu’il considère la révolution comme un fait social déterminé par la contradiction permanente des intérêts des classes en lutte, qui vient tout à coup marquer brutalement leur antagonisme, en rompant le cours normal de leur évolution qu’il tend à précipiter. 
En conséquence, il déclare que le syndicalisme -comme tous les autres mouvements- a le droit de l’utiliser, suivant ses desseins, pour atteindre le maximum des buts qu’il s’est fixé, sans confondre son action avec celle des partis qui prétendent, eux aussi, transformer l’ordre politique et social, et préconisent pour cela la dictature prolétarienne et la constitution d’un Etat soi-disant provisoire. 
En dehors de cette action essentielle, le congrès déclare que, par son action revendicative quotidienne, le syndicalisme poursuit la coordination des efforts ouvriers, l’accroissement du mieux-être des travailleurs par la réalisation d’améliorations immédiates, telles que : la diminution des heures de travail, l’augmentation des salaires, etc.
Il prépare chaque jour l’émancipation des travailleurs qui ne sera réalisée que par l’expropriation du capitalisme.

Lyon, 1er & 2 novembre 1926

La Charte d’Amiens (1906)

Article 2, constitutif de la CGT, modifié par le IXe Congrès de la Confédération, à Amiens, du 8 au 16 octobre 1906

Le Congrès confédéral d’Amiens confirme l’article 2, constitutif de la CGT. La CGT groupe, en dehors de toute école politique, tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat… ; Le Congrès considère que cette déclaration est une reconnaissance de la lutte de classe, qui oppose sur le terrain économique, les travailleurs en révolte contre toutes les formes d’exploitation et d’oppression, tant matérielles que morales, mises en œuvre par la classe capitaliste contre la classe ouvrière ; Le Congrès précise, par les points suivants, cette affirmation théorique : Dans l’œuvre revendicatrice quotidienne, le syndicalisme poursuit la coordination des efforts ouvriers, l’accroissement du mieux-être des travailleurs par la réalisation d’améliorations immédiates, telles que la diminution des heures de travail, l’augmentation des salaires, etc. Mais cette besogne n’est qu’un côté de l’œuvre du syndicalisme ; il prépare l’émancipation intégrale, qui ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste ; il préconise comme moyen d’action la grève générale et il considère que le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance, sera, dans l’avenir, le groupe de production et de répartition, base de réorganisation sociale ; Le Congrès déclare que cette double besogne, quotidienne et d’avenir, découle de la situation des salariés qui pèse sur la classe ouvrière et qui fait, à tous les travailleurs, quelles que soient leurs opinions ou leurs tendances politiques ou philosophiques, un devoir d’appartenir au groupement essentiel qu’est le syndicat ; Comme conséquence, en ce qui concerne les individus, le Congrès affirme l’entière liberté pour le syndiqué, de participer, en dehors du groupement corporatif, à telles formes de lutte correspondant à sa conception philosophique ou politique, se bornant à lui demander, en réciprocité, de ne pas introduire dans le syndicat les opinions qu’il professe au dehors ;

En ce qui concerne les organisations, le Congrès déclare qu’afin que le syndicalisme atteigne son maximum d’effet, l’action économique doit s’exercer directement contre le patronat, les organisations confédérées n’ayant pas, en tant que groupements syndicaux, à se préoccuper des partis et des sectes qui, en dehors et à côté, peuvent poursuivre en toute liberté la transformation sociale « .

CONTRIBUTION A L’HISTOIRE DE LA C.N.T

Un militant témoigne : 1946 / 1954

La CNT Val d’Oise avait édité en 1994 une brochure consacrée au témoignage d’un militant qui avait participé aux débuts de la CNT. Le témoignage complet avait fait l’objet d’un livre édité en 1974 (« Un couple ouvrier traditionnel, la vieille garde autogestionnaire » de Jacques Caroux-Destray aux éditions Antropos).

Ce sont les mots d’un syndicaliste qui a vécu une époque fondamentale, et peu connue, de l’histoire de la CNT. Sa parole est critique, elle témoigne d’affrontements idéologiques qui ne nous semblent pas totalement disparus.

Entretien avec Amédée (1974) extrait du livre présenté ci-dessus :

Après avoir évoqué son enfance, sa famille, son travail, les luttes ouvrières, juin 1936, la guerre de 39-45, la révolution espagnole et la Libération, Amédée retrace l’évolution du syndicalisme après 1945…

Les espoirs déçus.

A la Libération, surtout pour nous syndicalistes, et pour la majorité des copains, même réformistes, il y avait la possibilité de repartir d’un bon pied et de reprendre à la bourgeoisie, au gouvernement de l’époque. tous les avantages qui nous avaient été repris depuis 1936. Mais seulement, le P.C. qui en 39 était un collaborateur, vu les accords russo-allemands. est devenu par la suite nationaliste. Il fallait retrousser ses manches, rebâtir la grande France… Une fois encore, comme à la suite des grèves de 36 : trahison de la part du PC et des autres partis politiques se réclamant de la classe ouvrière. Et alors, les gars ont repris le travail, ont retroussé leurs manches et même les gars du bâtiment qui avant représentaient l’aile active du syndicalisme ont accepté l’abandon de leurs vacances pour rebâtir la France. Donc, aucune possibilité à un retour normal des choses. Pourtant, il aurait été normal qu’à la Libération, on remette debout tous les acquis du mouvement ouvrier qu’on avait obtenu en 1936 et qu’on restaure immédiatement le pouvoir d’achat de la classe ouvrière, vu l’élévation du coût de la vie qui s’était produite pendant les 5 ans qui s’étaient écoulés. Rien de cela n’a été fait.

Puis il y a eu la constitution du gouvernement tripartite, communistes, socialistes et le MRP, ce qui était un non-sens. Le communiste Croizat qui a été nommé ministre du Travail, sans abolir la loi de 40 heures, a élargi la possibilité d’heures de travail à un temps illimité, puisqu’il fallait relever la France. On a vu certaines usines de métallurgie ou autres où les gars couchaient dans l’usine pour reprendre le boulot. On a vu des copains, qui avaient toujours été des réfractaires aux heures supplémentaires, en faire à tout va. C’est incompréhensible. Alors que les gars avaient la possibilité d’imposer leur volonté à la suite de la Libération puisque malgré tout, les tôliers avaient tous plus ou moins trafiqué avec l’occupant et s’étaient fait des fortunes. Si les organisations syndicales avaient été à la hauteur de leur tâche, il était possible de re-transformer et de re-signer les accords qui avaient eu lieu en 1936. Les patrons auraient préféré accepter cela plutôt que l’on mettre le nez dans leurs salades. Tu sais, les ouvriers sont bêtes et ce n’est pas encore demain qu’ils réviseront cette position. Il suffit simplement qu’on leur fasse vibrer un peu la corde sensible ou la corde patriotique pour que les plus farouches révolutionnaires se sentent devenir des nationalistes à tout crin. On en a eu l’exemple non seulement en 36, mais on en avait déjà eu l’exemple en 1914, par l’entrée dans l’Union Sacrée de Jouhaux, de Griffuelhes, de Kropotkine. Il n’y a qu’une faible minorité révolutionnaire qui est restée pacifiste en 1914 : Monatte, Merrheim, pour ne citer que ceux là ont essayé, en tant que responsables syndicaux se réclamant d’idées libertaires, de respecter leur dignité d’homme. D’un autre côté, parmi les mouvements anarchistes, à côté de Kropotkine, Malatesta, Sébastien Faure et d’autres ont respecté ce qu’ils avaient toujours enseigné. Ca s’est reproduit en 40, ça a toujours été la même histoire.

Création de la CNT

La CGT-SR1 n’existait plus. En 1940, elle s’était dissoute d’elle-même. Elle n’avait plus d’activité, et comme elle n’acceptait pas, elle, l’intégration, elle n’avait plus aucune possibilité d’action. Inutile de dire aussi que les militants qui composaient la CGT-SR, qui étaient responsables de l’organisation, étaient marqués en tant que militants anarchosyndicalistes et qu’il avait été préférable pour eux de prendre de la distancé.

Pierre Besnard2, à ce moment, vu les deux expériences de scission, estimait qu’il était inutile de recréer une nouvelle scission, qu’il y avait assez de l’existence de deux organisations, la CGT et la CFTC, et qu’il fallait plutôt militer au sein de la CGT. que de reconstituer la CGT-SR. Les copains sont donc tous restés à la CGT ou ont repris leur carte à la CGT s’ils avaient cessé d’être organisés pendant l’Occupation.

Mais au bout d’un certain temps, il est devenu impossible de continuer à vivre dans les conditions imposées par les communistes. Alors, on a décidé la reconstitution de Comités de Défense Syndicaliste. On se réunissait rue de la Douane, parce que un copain qui était directeur d’une coopérative ouvrière d’électricité, au 6 rue de la Douane, avait là des locaux dont on pouvait disposer pour faire des réunions. Ces Comités de Défense Syndicaliste. ont eu un certain succès à travers toute la France ; A ce moment-là, j’ai été nommé secrétaire des CDS et on avait des relations à Toulouse, Marseille, Bordeaux, Angers, Lyon, enfin dans les principales villes de France.

L’entrée des trotskistes dans ces CDS a posé les mêmes problèmes qui se sont toujours posés dés qu’on constituait un organisme ouvert à tous. Du moment que tu étais syndiqué et que tu estimais ne pas pouvoir subir l’ingérence des communistes au sein de. l’organisation syndicale, les CDS étaient ouverts. Dans une certaine mesure, ceci a permis le groupement de copains qui ont constitué Force Ouvrière. Nous avons donc dû, du fait que c’était surtout nous, les copains anarcho-syndicalistes et les syndicalistes révolutionnaires qui avions constitué ces CDS, les dissoudre pour pouvoir nous débarrasser des trotskistes qui faisaient le même travail au sein des comités que les communistes faisaient au sein des syndicats, avant la prise en main par eux de

1 CGT-SR : Confédération Générale du Travail – Syndicaliste Révolutionnaire, organisation constituée en 1926 et qui s’auto dissous lors de la déclaration de la seconde guerre mondiale. Dés sa fondation, cette Confédération fut membre de l’Association internationale des Travailleurs (AIT) créée à Berlin en 1922.

2 Pierre BESNARD : militant du courant anarcho-syndicaliste / syndicaliste révolutionnaire, oppositionnel dans la CGT-U, un des membres fondateurs de la CGT-SR. Militant actif dans l’AIT.

l’organisation confédérale.

A la suite de la disparition des CDS, les anciens copains parisiens de la CGT-SR avaient malgré tout conservé l’espoir de la reconstituer. Et ils s’opposaient à la position de Besnard qui voulait qu’on milite au sein de l’organisation et qui ne voulait pas en recréer une nouvelle qui dans le fond n’aurait pas la possibilité d’avoir une activité sur le terrain syndical plus importante que ne l’avait eue la CGT-SR. La CGT-SR. était toujours restée , comme toute organisation minoritaire, pour ainsi dire inefficace sur le plan syndical. Mais, à ce moment-là, les copains ont donc décidé la formation de la Fédération Syndicaliste Française. Il y a eu quelques sections de reconstituées à Bordeaux, Toulouse, Lyon, Marseille, Lille, Saint-Nazaire. Mais, malgré tout, sans grand succès. C’était surtout les copains des Métaux qui l’avaient constituée. A la Fédération Syndicaliste de Paris. les copains étaient environ 2 000 adhérents. Ca faisait quand même une bonne organisation pour un syndicat. Les copains du bâtiment eux aussi se sont organisés au sein de cette Fédération Syndicaliste et ont réussi également à reconstituer le Syndicat Unifié du Bâtiment, c’est-à-dire l’ancien SUB qui avait eu une activité très importante après la guerre de 1914, surtout au temps de l’autonomie.

En majorité, nous étions restés syndiqués à la CGT mais nous gardions des contacts avec les copains et nous avions refait paraître, du temps des Comités de Défense Syndicaliste, la « Bataille Syndicaliste » qui avait été l’organe de la CGT d’avant la guerre de 14. Après différents copains qui en avaient assumé la responsabilité, j’avais été nommé administrateur de la « Bataille Syndicaliste ». On la faisait paraître chez Bidault, une imprimerie qui était rue de Bretagne et qui avant la guerre de 39 publiait la brochure mensuelle. C’était un drôle de boulot parce que nous n’avions pas de linotypie. Tout était composé à la main. On sortait sur quatre pages, en format de journaux de l’époque. Ca faisait du boulot. Il y avait automatiquement les articles de Pierre Besnard qui lui, était le copain capable, des articles de Foncier et de différents copains qui étaient bien aussi.

Nous sommes arrivés comme ça en 1945 / 1946 où, à la suite de la constitution de la Fédération Syndicaliste, vu l’importance toute relative que prenaient le Syndicat des Métaux, le SUB et consort dans toutes les villes, les copains sont revenus à leur idée et nous avons fait une conférence nationale en mai 46 à Paris où il fut décidé, malgré l’opposition de Pierre Besnard et de quelques-uns dont moi-même parce que j’étais partisan de rester à la CGT (j’estimais que c’était une erreur de reconstituer la CGT-SR, de constituer la CNT). Certains copains voulaient reprendre le titre de la CGT-SR. Mais il n’avait pas été très connu et il a été repoussé. Les copains se sont ralliés à une proposition de Toulouse, je crois, de prendre le titre de CNT en souvenir de la lutte menée par la CNT espagnole pendant la guerre civile. C’était l’organisation provisoire de la CNT, en prévision de la constitution définitive par un congrès qui a été tenu au mois de décembre 46. Les statuts ont été déposés et c’est devenu en somme une organisation effective.

A la suite de l’annonce de la constitution d’une organisation syndicale s’opposant à la CGT., il y a eu afflux. A ce moment-là, on avait un copain, Julien, qui avait constitué pendant l’Occupation pour essayer de se libérer un peu et de ne pas risquer sa réquisition par les armées d’Occupation et son expédition en Allemagne une coopérative ouvrière de bijouterie, parce qu’il était bijoutier de son métier et sa femme aussi. Sa coopérative était rue Sainte Marthe. Il avait un logement qui lui servait d’atelier et au rez de chaussée il y avait une boutique qu’il a mise à notre disposition pour faire le siège de notre organisation. La CNT avait donc ses assises au 22 de la place Sainte-Marthe, dans le XX° à Belleville. Il y avait la queue. Les gars venaient se renseigner. Beaucoup de gens étaient trompés par le titre de CNT parce qu’avant la guerre il y avait eu une Confédération Nationale du Travail qui avait son siège Boulevard Richard Lenoir et qui était une organisation de jaunes, c’est-à-dire de briseurs de grèves. Et il venaient aussi ceux qui avaient été exclus de la CGT, qui avaient participé à la Charte du Travail ou qui avaient tant soit peu soutenu le gouvernement de Vichy (qui eux aussi essayaient de se regrouper). Une fois, un ingénieur d’une usine de Melun est venu pour adhérer à la CNT avec cinquante adhésions. « Mais avant toute chose, il faut que tu saches ce qu’est l’organisation et ses statuts ». On lui donne les cartes et les timbres. « Tu donneras connaissance des statuts de l’organisation, ensuite tu feras payer les copains… ». Le gars est parti. Et ma foi il nous a retourné le matériel qu’on lui avait confié, mais on ne l’a jamais revu. Il s’était trompé. D’après ce que les copains ont pensé, ça devait être un gars qui avait été responsable d’organisation à la Charte du Travail. D’ailleurs par la suite, ils ont constitué la CIT, Confédération Indépendante du Travail dont l’organe était « Travail et Liberté ».

Donc, les gars étaient attirés par la CNT. Mais la difficulté était que la majorité des copains responsables en province étaient en même temps responsables de la Fédération Anarchiste. Beaucoup par la suite on aussitôt accolé à la CNT l’étiquette anarchiste, ont dit qu’il n’y avait pas de raison de quitter la CGT qui était aux mains des communistes pour entrer dans une organisation tombée sous la coupe des anarchistes.

Il y a eu des prises de contact, avant la constitution de FO ou à la suite : avec Mourgues des PTT et Laurent de la Fédération Autonome des Chemins de Fer. On a désigné une délégation pour les rencontrer et ils ont discuté des possibilités de l’entrée des PTT et de la Fédération Autonome des Cheminots dans la CNT. C’était un drôle de morceau. D’après le rapport qui nous a été fait par la délégation, ça tournait autour du pot. A un moment donné, Jacquelin, qui était à l’époque le secrétaire de la CNT dit : « Ici, nous sommes entre militants, nous n’avons donc pas à mettre nos drapeaux dans notre poche. Vous savez très bien qu’à lu CNT nous sommes des anarchistes et que nous avons constitué l’organisation en tant qu’anarchistes, pour recréer l’organisation syndicale révolutionnaire qui est nécessaire dans ce pays ». Automatiquement, il y a eu raidissement de la part de Mourgues et de Laurent. Le ton de la discussion a évolué et les délégations des PTT. et des Cheminots se sont retirés en disant qu’ils en référeraient à leur conseil. On n’en a jamais réentendu parler. Les gars n’étaient pas bons, surtout Mourgues qui n’avait rien d’un libertaire. Ils sont rentrés par la suite à FO.

La lutte entre les deux tendances de la CNT

Puisque la majorité avait décidé la constitution de la CNT et qu’on avait été battus, j’avais appliqué la décision. J’ai donc adhéré et je faisais partie de la Commission Administrative Confédérale. En même temps, j’assurais la responsabilité du Syndicat des Transports. Le congrès constitutif s’était tenu à Paris en 46. En 48, il s’est tenu à Toulouse. Puis il y a eu le Congrès extraordinaire de 49 à Paris, auquel je n’ai pu assister, sauf à la dernière journée, car j’étais à la clinique, opéré de deux éventrations. A cette époque, une opposition était née au sein du syndicat. Elle s’était déjà manifestée, lors de la constitution de la CNT, au sujet de la discussion des statuts. Pierre Besnard avait établi une Charte : comme il y a eu la Charte d’Amiens et la Charte de Lyon lors de la constitution de la CGTSR, il y eut la Charte de Paris lors de la constitution de la CNT. Et lors de la discussion sur ta Charte de Paris, il avait été admis par le congrès, dans le paragraphe sur l’indépendance du syndicalisme, que l’organisation était pour l’indépendance du syndicalisme vis-à-vis de tous les partis politiques, sectes philosophiques ou religieuses, c’est-à-dire qu’il reprenait les termes de la Charte de Lyon et ceux de la Charte d’Amiens. Cette question de l’indépendance du syndicalisme tombait à l’article 7. Mais des copains sont intervenus et ont mené la bagarre contre l’adoption de l’article 7 tel qu’il était rédigé, et ceci était mené par les camarades anarchistes. Avant d’être syndicalistes, c’étaient des anarchistes syndicalistes et non pas des syndicalistes révolutionnaires ou des syndicalistes anarchistes. Dans l’ensemble ils étaient donc majoritaires, puisque les copains de province étaient en même temps responsables de la CNT et de la Fédération Anarchiste. Bouyer était intervenu : « Si nous acceptons l’article 7 dans sa teneur actuelle, il sera impossible â un camarade responsable de la Fédération Anarchiste d’être responsable de la Confédération ; Nous ne pouvons l’admettre ».

D’autre part, au congrès de 49, Jacquelin a été désigné comme secrétaire, contre la candidature de Retaux qui ralliait le vote des syndicalistes révolutionnaires, des syndicalistes libertaires. Retaux qui occupait ce poste était un responsable communiste qui ayant compris que sa place était ailleurs, s’était tourné vers le syndicalisme et avait travaillé dans ses rangs. Je n’étais pas d’accord avec la position des copains qui s’étaient retirés. Puisqu’il y avait eu opposition et victoire des anarchistes – moi, je disais des politiques – sur les syndicalistes révolutionnaires, il était au contraire nécessaire d’être à la Commission Administrative justement pour faire revenir l’organisation sur cette décision. Alors, je suis resté à la Commission Administrative, ce qui fait que j’étais le seul représentant en son sein de la tendance syndicaliste révolutionnaire, et j’étais en but à l’animosité des autres parce que je n’étais pas d’accord avec eux.

Alors, nous avons été battus et la rédaction de l’article 7 était composée de telle façon que ça donnait même la possibilité aux communistes de s’emparer de la Confédération, parce qu’il disait : « La Confédération est indépendante de tout parti politique, sectes philosophiques ou religieuses ne se réclamant pas de la lutte des classes ». C’était la porte ouverte à tout. A cause de cela, pas mal de copains – il y en a juste un qui a démissionné, Julien – qui étaient proposés par leur syndicat à la Commission Administrative, ont retiré leur candidature. Après, lors de l’élection de la Commission Administrative, ils ont été remplacés par des copains qui étaient anarchistes.

On a donc continué à se battre au sein de la CNT pour essayer de faire changer les statuts. Au congrès de 1950, à Bordeaux, on a désigné la Commission Administrative et j’ai été élu secrétaire de la Confédération, tout en conservant ma responsabilité au sein du Syndicat des Transports. Là, nous avons rénové le bureau. Entre-temps, Julien, sous la pression des copains et de moi-même, avait réintégré ; il avait liquidé sa coopérative et était rentré à « L’Officiel » comme correcteur. Il avait du temps libre et il a été désigné comme rédacteur du « Combat Syndicaliste ». Yvette, une copine des employés, en était nommée administrative. A ce moment-là, nous avons ressorti le « Combat Syndicaliste » qui avait une parution mensuelle. Julien et moi-même sommes intervenus, par l’intermédiaire des copains des PTT, auprès des PTT et du fisc, pour qu’ils reconnaissent la « Bataille Syndicaliste » comme organe de Fédération, c’est-à-dire pour ne pas payer d’impôt et bénéficier du tarif postal. Nous avions aussi demandé à la ville de Paris la reconnaissance du syndicat des Transports afin de pouvoir bénéficier des tickets-matières pour les stencils, le papier, pour l’impression du journal, au lieu d’être obligés de les acheter.

Nous avions réussi au Congrès de 52 à Lyon, à faire admettre l’article 7 selon sa rédaction initiale. Mais il était trop tard à cause du travail fait par ceux qui nous avaient précédés. Nous avions décidé, à la suite du Congrès de Paris de 49, de prendre des contacts avec les Autonomes. Les copains de Bordeaux avaient constitué un Comité d’Action Syndicaliste qui comprenait forcément les copains de la CNT, certains camarades de FO, des copains Autonomes, des Municipaux. Les copains de Bordeaux contrôlaient à l’époque trente mille gars… Le bureau de ce Comité comprenait trois copains de la tendance anarcho-syndicaliste, un copain des Autonomes, un des Municipaux et un copain de FO. Donc le comité local était sous l’influence des copains libertaires. .A Toulouse, c’était pareil, à Lyon, à Saint-Nazaire, à Saint-Étienne aussi.

Mais au mois de novembre,. le C.C.N.3 a donné ordre à Bordeaux. ainsi qu’aux autres, de se retirer du Comité d’Action : il était anormal, de par les statuts de la confédération, d’avoir des rapports avec des organisations réformistes qui reconnaissaient l’État, etc.. Ce qui a valu une chute verticale des adhésions dans la région bordelaise, dans la région de Toulouse et ailleurs. La majorité des copains est soit partie dans la nature, soit a adhéré à Force Ouvrière ou aux Autonomes. C’était fini, il n’y avait plus qu’une minorité de copains qui ont continué à militer. A Saint-Étienne, ils n’ont pas tenu compte des décisions du CCN et ils ont continué leur travail. Ils avaient demandé des subventions à la ville, ce qui leur permettait d’avoir une certaine activité. La CNT était reconnue dans cette ville et avait une certaine importance. Ils s’étaient bien débrouillés sur le plan local.

Nous avions aussi constitué en 1953, avec différents copains, le Comité de Défense Sociale et d’Entraide dont j’étais le secrétaire. Il y a eu bagarre déclenchée par Fauchois que nous avions pris au congrès de Bordeaux comme secrétaire à la propagande parce qu’il pouvait voyager gratuitement du fait qu’il était cheminot. Ca ne coûtait pas un sou à la Confédération et ça lui a permis de faire un travail de sape en province et surtout à Marseille. Là, ils ont mené la lutte contre nous, non pas en tant que responsables de l’organisation, mais en tant que responsables du Comité de Défense Sociale et d’Entraide, parce que nous avions considéré qu’il était nécessaire de constituer un comité de solidarité pour les militants qui étaient malades ou qui pouvaient être victimes de la répression. En somme, nous avions pour but de nous insurger contre toute forme de répression ou d’atteinte à la liberté de l’individu. C’est ainsi qu’on a pris nettement position contre la guerre d’Algérie. Nous avons été les premiers, au Comité de Défense Sociale, à organiser un meeting aux Sociétés Savantes contre la guerre du Maroc, à ce moment-là. Après il y a eu l’affaire de Tunisie, la déposition du roi du Maroc et la révolte algérienne. Dès le départ, nous avions pris position là-dessus.

C’est sur ce point qu’ils nous ont donc attaqués ; tout individu de toute organisation pouvait adhérer au Comité de Défense Sociale ; ce n’était pas une organisation spécifique, c’était une organisation de solidarité, de défense de la liberté de l’individu. Tu avais des membres qui n’avaient aucun rapport avec nous en tant que libertaires ou syndicalistes révolutionnaires, ou simplement syndicalistes. Ils nous ont donc accusés de toucher de l’argent de l’Amérique. Les copains de province, à Marseille, à Lyon, qui étaient au courant de cette activité extra confédérale étaient d’accord avec nous, mais comme à la CNT chaque syndicat avait une voix, quel que soit le nombre de ses adhérents (c’est normal en somme, sinon les petits syndicats sont écrasés par les gros, mais cela permet l’apparition de syndicats-fantômes où il y a deux ou trois adhérents qui comptent pour une voix), nous avons été battus. A Lyon, les copains syndicalistes avaient été mis dans l’obligation de restreindre leur activité à cause de l’attaque postale où des flics ont été tués. D’après l’enquête, ça avait été fait par les copains espagnols et le mouvement s’était trouvé un peu décapité. Il est donc apparu une majorité contre le bureau confédéral en exercice. Nous avons été visés, et j’ai été remplacé au secrétariat de la confédération par Fauchois, en 56 au

3 CCN : Comité Confédéral National : Organe de coordination national de la CNT qui se réunit régulièrement entre les Congrès Confédéraux.

congrès de Narbonne. Fauchois était secrétaire de la Fédération des Cheminots. II était de la tendance anarchiste mais nous ne savions pas ce qu’il était vraiment car c’est un gars qui ne s’est syndiqué qu’à 52 ans, alors qu’il était prés de la retraite… Fauchois n’était pas bête, il avait du bagou, mais il a été impossible de savoir d’où il venait. A ce momentlà, il travaillait au Nord. Il avait été amené par les copains des cheminots qui menaient une certaine activité à la gare d’Austerlitz où il y avait un bon noyau. Tu avais aussi des copains de l’Est. Mais le plus fort noyau était à Austerlitz. Par la suite, nous avons été amenés à nous séparer des responsables de la section syndicale d’Austerlitz parce qu’ils ont eu des positions en désaccord avec celles d’un syndicaliste, même ne se disant pas révolutionnaire.

A la suite du Congrès de Narbonne, en 1956, le Bureau Fédéral en exercice a donc été remplacé par un autre. C’était la victoire de la tendance plus anarchiste que syndicaliste. Au départ, lors du congrès constitutif, victoire des anarchistes par le refus de l’article 7 sur l’indépendance du syndicalisme, et à partir du congrès de Toulouse en 48, reprise en main par la tendance syndicaliste, anarcho-syndicaliste et syndicaliste libertaire révolutionnaire jusqu’en 1952-54. A partir de ce moment-là renversement. Pourquoi ? Parce que pendant le temps où nous avons été à la direction de l’organisation syndicale, nous avons essayé de réorienter la Confédération sur le mouvement syndicaliste pur.

Exclusion de la CNT

Après le Congrès de Narbonne, nous avons continué notre activité au sein de la deuxième région – la région parisienne – et au sein du Comité de Défense Sociale et d’Entraide. Là, forcément, opposition de plus en plus grande entre les deux tendances. Et nous arrivons au Congrès de Marseille. Après des discussions terribles, des empoignades verbales assez orageuses, différents syndicats de la région marseillaise et de la région parisienne tels que le Syndicat des Employés, le Syndicat des Cheminots d’Austerlitz, Saint-Lazare, Nord, Est, etc., et différents syndicats de la région de l’Ouest, de Saint-Nazaire, Nantes, ont été beaucoup plus loin. Ils ont demandé l’exclusion du Syndicat des Transports dont j’étais le secrétaire, du Syndicat du Bâtiment, du Syndicat des Métaux, qui étaient aux mains des syndicalistes révolutionnaires et de la tendance anarcho-syndicaliste, mais beaucoup plus syndicaliste qu’anarchiste. En définitive, ils demandent l’exclusion de toute la tendance syndicaliste révolutionnaire. A ce moment-là, j’ai cessé toute activité puisque cela ne correspondait plus à rien du tout en tant que syndicalisme tel que nous le concevions.

Critique des positions prises par la CNT et de l’anarcho-syndicalisme

En 46, nous avions reçu du Ministère du Travail des imprimés à remplir sur l’activité de l’organisation pendant l’Occupation. Elle n’existait pas mais la CGT-SR existait. En somme la CNT était la continuation de la CGT-SR. et elle avait la possibilité de demander la représentativité, au même titre qu’elle avait été accordée à la CGT et à la CFTC J’ai défendu cette position au sein de la Commission Administrative. J’ai été traité de collaborateur, de réformiste… Les imprimés n’ont pas été remplis. Si nous avions eu la représentativité, lors de la répartition des fonds syndicaux accumulés par la Charte du Travail, nous aurions touché une partie de cette somme, ce qui nous aurait bien arrangés pour pouvoir faire la propagande et l’agitation nécessaire, pour reprendre des mots d’ordre sur des revendications qui étaient plus que nécessaires. Les buts de la CNT étaient le retour immédiat aux 40 heures, avec discussion pour la semaine de 30 heures, c’est-àdire 6 heures par jour : la retraite à 50 ans ; la Sécurité Sociale gratuite payée par les patrons. Avant 46, il existait les Assurances Sociales instituées en 1930 par Laval et que Croizat avait modifiées sous le titre de Sécurité Sociale. ce qui donnait la possibilité aux patrons, aux PDG de sociétés anonymes de bénéficier de tous les avantages de la Sécurité Sociale ; Ca permettait aux militaires, à l’Église d’en bénéficier. C’est une honte. Et tout ça dans un but de propagande. pour attirer à eux, aux élections, la multitude des petits commerçants, des techniciens, toute une partie de cette classe bourgeoise et semibourgeoise, au détriment des ouvriers. Parce qu’à l’heure actuelle, même en ne payant que le ticket modérateur, un ouvrier a du mal à se faire soigner, ou est obligé d’aller à l’hôpital, et les conditions dans lesquelles on est soigné à l’hôpital sont le plus souvent déplorables. Pour reprendre, j’estimais qu’en essayant d’avoir la représentativité, ça nous donnait non seulement la possibilité de toucher les subventions de la Ville de Paris, d’avoir droit à des locaux â la Bourse du Travail, mais aussi la possibilité d’avoir accès à la presse et à la radio au même titre que la CGT, la CFTC et FO par la suite.

En parlant de la presse, il y avait eu un article paru dans « Vues et Images du Monde » : *’Les Anars mènent la danse », où ils montraient un défilé du 1er mai organisé par la CGT. Il n’y avait pas de banderoles et ils avaient mis la carte de la CNT en surimpression. Tu pouvais croire que c’était les copains anarchistes. Cet article faisait ressortir l’influence des anarchistes dans la constitution de la CNT. De plus, à la suite du Congrès. Jacquelin, le secrétaire de la Fédération Anarchiste de Paris et Bouyer qui était aussi responsable, ont sorti « Le Combat Syndicaliste ». On a sorti 30 000 pour le 1er mai 47 et ça a été un bouillon. Ca a vidé nos possibilités de réimpression du journal. Ils se sont alors servi de la quatrième page du « Libertaire » – l’organe de la Fédération Anarchiste – pour donner les informations de la CNT. Automatiquement, ça nous a mis une étiquette dans le dos : anarchistes. C’était fini.

Donc, la C.N.T. étant marquée « anarchiste », c’était terminé ! Et le refus de la représentativité nous coupait toute possibilité de nous exprimer ouvertement, légalement. Les copains disaient que du moment qu’ils ne reconnaissaient pas l’État, ils étaient en accord avec leurs conceptions, mais en tant que responsables d’organisation syndicale, c’était une erreur. Parce que si le syndicat est révolutionnaire dans sa finalité, il est réformiste dans son action journalière. La moindre amélioration est du réformisme. C’est une réforme que tu apportes à la structure actuelle de la société. C’est quand même une amélioration dans une certaine mesure, mais pas toujours. Je vais te citer un exemple.

Dans le Livre, janvier 1924 a été la première grève à laquelle j’ai participé. Nous avions arraché l’application de l’échelle mobile et en plus il avait été admis qu’en cas de force majeure – à l’époque nous faisions 48 heures par semaine – on pouvait faire des heures supplémentaires. Les deux premières heures étaient majorées à 33%, la troisième à 50% et le reste à 100%. En 1931 ou 1933, je ne me souviens plus exactement, la Fédération du Livre a conclu un accord avec la Chambre Patronale des Maîtres Imprimeurs, boulevard Saint-Germain, où ils ont décidé de payer tous les jours de fête. A l’époque, il y avait onze jours de fête : le 1er janvier, Pâques, le 1er mai, le 8 mai – fête de la victoire -, la Pentecôte, le 14 juillet, le 15 août, la Toussaint, le 11 novembre, Noël et la Mi-Carême, je crois. En contre-partie, ils acceptaient l’abandon de la majoration des heures supplémentaires. Lorsque Croizat était arrivé au Ministère du Travail, il avait accordé les heures supplémentaires en tant que ministre communiste, et il avait décidé qu’elles seraient majorées de 25% jusqu’à la quarante-huitième heure incluse, de 50% jusqu’à la cinquante-quatrième et de 75% au-dessus de la cinquante-quatrième. Dans les corporations autres que le Livre, les heures supplémentaires n’étaient majorées que de 25%. Dans le Livre, le travail du dimanche ou des jours de fête était payé double. Avec l’arrêté Croizat, il n’était plus payé que 50 % le matin et 100 % l’après-midi. Donc si tu fais le compte, pour le copain qui comme moi ne faisait que quarante heures par semaine – parce que depuis que la loi de quarante heures a été appliquée dans le commerce et l’industrie, en mai 1937, je me suis toujours arrangé pour ne faire que quarante heures par semaine – c’était un avantage, car avant seul le 1er mai était payé, grâce à la loi Pétain, car le 1er mai, c’est la Saint-Philippe… Mais pour les copains qui faisaient des heures supplémentaires, et à l’époque, dans le Livre, tu avais des maisons où ils faisaient soixante-dix et quatre-vingts heures. Compte l’économie de pognon que faisait le tôlier d’un bout de l’année à l’autre ! En définitive, s’il payait les jours de fête des ouvriers, c’étaient les ouvriers qui lui payaient ses vacances. C’est pourquoi des réformes ne sont pas toujours des améliorations. Par la suite, ceci a entraîné le paiement des jours de fête dans les autres corporations : la Métallurgie, le Bâtiment, se sont appuyés sur cette réforme, mais ils n’ont obtenu que cinq jours. Et pour en bénéficier, il fallait que tu sois présent au travail la veille et le lendemain.

L’affaire des PTT et des Cheminots avaient été aussi une erreur dans une certaine mesure, car les copains à la CNT se déclaraient contre tout. Pour éviter toute contamination par la collaboration, la CNT refusait tout : elle refusait les comités d’entreprise, elle refusait les conseils de prud’hommes, les commissions paritaires. C’est tout juste si elle acceptait les délégués d’atelier. Ce n’était pas possible. Il y avait des copains du syndicat, de la Métallurgie ou du SUB qui venaient pour avoir des renseignements juridiques : nous étions dans l’impossibilité de les renseigner parce que nous n’avions pas ces renseignements, à part ce qu’on pouvait lire dans les journaux. On était obligé de les envoyer soit à FO, soit à la CGT. Ce n’était pas possible, on ne remplissait plus le rôle qui nous était assigné.

On était donc condamnés à rester minoritaires, à n’avoir aucune influence dans le mouvement ouvrier. C’est exactement le même problème qui se pose actuellement, à la suite des événements de mai 68, avec la constitution de l’Alliance Ouvrière, composée d’étudiants, d’hommes de la Fédération Anarchiste et surtout du groupe Louise Michel, dont Joyeux est un peu l’âme. Ils sont anarchistes, ils sont pour la révolution. Mais ils sont anarchistes avant d’être syndicalistes ; d’ailleurs ils nient au syndicalisme (tout au moins au syndicalisme actuel) la possibilité d’instaurer la société libertaire. Je suis aussi opposé à ces gens-là qu’aux communistes. C’est ce qui a fait qu’au sein de la CNT, il y a eu friction entre eux et les copains syndicalistes révolutionnaires qui étaient avant tout syndicalistes, qui étaient d’école libertaire, sans être anarchiste à proprement parler. J’étais beaucoup plus anarchiste si tu veux, de 18 à 25 ans, jusqu’en 36 même, que par la suite. Après 36, avec les responsabilités syndicales, je me suis aperçu que le travail était là et pas ailleurs. C’était par le syndicat qu’on pouvait arriver à envisager la constitution d’une société meilleure et tout le reste était de la foutaise. Le syndicat ne groupe en son sein que des producteurs, et qu’est-ce qui fait la société ? Ce sont les producteurs. Avant d’être consommateur, il faut que tu sois producteur. Pour consommer il faut produire. D’ailleurs, c’était un peu l’idée de Pierre Besnard de constituer à côté de l’organisation professionnelle proprement dite des producteurs, l’organisation des consommateurs. II fallait que les consommateurs et les producteurs soient ensemble pour définir en commun les nécessités de production : ne pas produire plus qu’il n’était nécessaire, mais ne pas produire moins non plus, à seule fin que chacun ait la répartition nécessaire à ses besoins.

Les anarchistes au début n’avaient pas vu les nécessités du système productif, mais la situation n’était pas la même. Il faut reconnaître qu’à l’époque où la philosophie anarchiste a pris naissance, il n’y avait pas véritablement d’industrie, il n’y avait pas d’ouvriers en somme. Tu avais des artisans qui avaient deux, trois ou quatre ouvriers. Et encore, bien souvent, c’était les membres de la famille. L’importance de l’organisation syndicale des producteurs ne s’est fait sentir qu’après la révolution industrielle du 19e siècle et au début du 20e. Beaucoup de militants ont été marqués par la pensée anarchiste. Au départ, les anarchistes étaient surtout des individualistes. Ils ne voyaient pas la collectivité. Ce n’était pas pareil. Il a fallu une certaine évolution et la constitution, par la force des choses, de la classe ouvrière, pour arriver à la nécessité de cette organisation.

Dans l’anarcho-syndicalisme comme dans tout mouvement, il y a eu des erreurs. Le principal reproche à lui faire est surtout un manque d’organisation et certaines rêveries. Dans le fond, je crois – ce n’est pas l’opinion de tous mais de certains dont je suis – qu’on ne pourra instaurer l’idéal libertaire tel que nous le concevons tant qu’il n’y aura pas eu auparavant évolution des individus, évolution de l’homme, tant que l’Homme n’aura pas pris conscience de sa personnalité et de ce qu’il représente, c’est à dire tant qu’il ne sera pas véritablement un Homme. Dans une certaine mesure, c’est normal, tu ne peux pas faire une nouvelle société avec les mêmes individus. Il est obligatoire que l’individu change de comportement, d’esprit, et qu’il voit véritablement les choses. Le christianisme a deux mille ans d’existence et si nous nous rapportons aux Évangiles et à tout le reste, ce que pensait le Christ n’est pas encore réalisé.

On peut dire que l’expérience de la CNT s’est soldée dans son ensemble par un échec. Elle n’a pas eu plus d’influence que n’a pu en avoir la CGT-SR On peut même dire que la CGT-SR a eu plus d’importance que la CNT du fait de la guerre civile d’Espagne qui a créé une certaine activité parmi les copains. La CNT a pourtant eu dans les deux premières années de sa constitution un certain rayonnement, mais elle aurait pu en avoir un plus grand. Nous pouvons dire qu’en 1947, elle groupait en France pas loin de 100 000 adhérents. Par la suite, à cause de la position trop rigide de l’organisation, elle s’est restreinte pour devenir squelettique et à l’heure actuelle elle n’a plus d’activité syndicale à proprement parler. A force de tout refuser. on se condamne. La CNT existe toujours en tant que telle, avec son siège, rue de le Tour d’Auvergne (parce que par la suite nous avions eu la possibilité par souscription de prendre une boutique au 30 de cette rue, grâce à un copain peintre) .

Cependant, depuis les évènements de 68, elle reprend grâce à l’apport des jeunes qui ont été enthousiasmés en mai par la philosophie anarchiste. Ils ont été à la CNT et là, tu trouves quand même des éléments actifs, ne serait-ce que les camarades espagnols qui eux, participent toujours à la vie active de l’organisation. D’ailleurs, le siège du « Combat Syndicaliste » qui est l’organe de la CNT est maintenant transféré au 24 de la rue Sainte- Marthe où le local appartient à des copains espagnols.

Après avoir été exclu de la CNT, j’ai pris ma carte à FO. J’y suis resté un an. J’étais adhérent au Syndicat du Livre puisque j’étais chez Golhen. En somme, j’avais repris non pas mon métier, puisque je travaille dans un bureau, au service livraison et commandes, mais enfin j’étais revenu au Livre, sans travailler aux machines, du fait d’ailleurs que je ne connaissais rien à l’héliogravure, puisque le patron s’y était spécialisé.

C’est une partie de moi-même qui est restée à la CNT. Même encore aujourd’hui – ça va faire bientôt prés de quinze ans – je regrette malgré tout la C.NT, comme des copains qui ont constitué la CGT-SR en 1926 regrettent toujours la CGT-SR. Pourquoi ? Parce qu’il y avait une ambiance, aussi bien à la CGT-SR qu’à la CNT. Tous les militants se connaissaient. On savait ce qu’on valait les uns les autres, on savait qu’on pouvait compter sur l’un et l’autre. On formait un tout, même malgré les bagarres qui pouvaient nous opposer avec les copains de la tendance spécifique. Même avec eux, nous avions une certaine camaraderie. Ils avaient cette position, c’était leur droit, c’était une lutte de tendances où chacun voulait faire dominer son point de vue. Mais, en dehors de ça, nous reconnaissions l’honnêteté de l’un et de l’autre. Alors. ça nous a attristés, ça nous a vraiment marqués.

Une partie des copains qui ont quitté la CNT par la force des choses – puisque nous étions exclus en tant que responsables des Syndicats du Bâtiment, des Transports, du Livre, des Métaux – est partie dans la nature puisqu’ils n’ont pas repris de carte. D’autres, la majorité, sont rentrés à FO pour la raison suivante : la majorité des copains de FO est de tendance socialiste et tu peux travailler beaucoup mieux avec les copains socialistes qu’avec les copains communistes. II y a beaucoup plus de compréhension, de liberté oratoire, de liberté de pensée avec les ex-confédérés, ceux qu’on appelait les réformistes, qu’avec les ex-unitaires. Les copains préféraient donc aller à FO. Ils retrouvaient d’anciens copains avec lesquels ils avaient milité, parce qu’il y avait pas mal de copains libertaires à FO. Ca a permis à certains de pouvoir faire un travail de propagande au sein des syndicats composant FO. Il est à noter qu’à FO, tu as des syndicats qui ont une position plus révolutionnaire que d’autres, qui ont dans leur sein des copains de tendance libertaire ou même de la tendance syndicaliste-lutte des classes, qui s’étaient constituées après les évènements de 36. En 37-38, une minorité s’était ralliée autour de comités syndicalisteslutte de classes.

Je suis donc resté un an à FO. I’ambiance ne me convenait pas. Alors, j’ai quitté FO et comme à ce moment-là le patron est parti en province, il a changé son activité et il a modifié sa raison sociale. Il était imprimeur en héliogravure, adhérent à la Chambre des Maîtres Imprimeurs du Boulevard Saint-Germain. Il a quitté pour adhérer à la Fédération du Papier-carton, aux spécialistes d’impression d’étiquettes pour emballages et de transformation du papier. Au Papier-carton, il n’y avait plus rien de comparable avec le Livre au point de vue syndical, pour les conventions syndicales, les us et coutumes de la corporation. Et comme il n’y avait pas à ce moment-là à FO de Syndicat Papier-carton constitué, j’ai donc quitté FO pour me syndiquer à la CGT.

Depuis que je suis adhérent à la CGT au Papier-carton, je ne milite plus. Je me contente de payer mes cotisations, étant tout seul au siège social à Paris, puisque toute l’activité de la maison se fait en province. Je ne connais pas de syndiqués de là-bas. J’ai cessé toute activité dans l’organisation syndicale proprement dite, mais je continue à m’occuper de la question dans l’Union Syndicaliste que nous avons constitué avec les copains de FO, de la CGT, de la CFDT, dont le siège est rue Jean Robert, qui actuellement a pris des contacts avec l’Alliance Syndicaliste qui s’est constituée à la suite des événements de mai 68. [….].

Notes :

(1) : CGT-SR : Confédération Générale du Travail – Syndicaliste Révolutionnaire, organisation constituée en 1926 et qui s’auto dissous lors de la déclaration de la seconde guerre mondiale. Dés sa fondation, cette Confédération fut membre de l’Association internationale des Travailleurs (AIT) créée à Berlin en 1922. (2) : Pierre BESNARD : militant du courant anarcho-syndicaliste / syndicaliste révolutionnaire, oppositionnel dans la CGT-U, un des membres fondateurs de la CGT-SR. Militant actif dans l’AIT. (3) : CCN : Comité Confédéral National : Organe de coordination national de la CNT qui se réunit régulièrement entre les Congrès Confédéraux.

EN GUISE D’ÉPILOGUE : D’HIER A AUJOURD’HUI.

Nous pouvons le constater : ce témoignage qui date de 1974 conserve une surprenante actualité. Certes, la physionomie de la classe ouvrière – et de l’ensemble de la société – a profondément changé . La place de la CNT également. Bien entendu, nous sommes très loin du chiffre d’adhérents avancé par Amédée pour la fin des années 1940 : prés de 100 000 membres. Mais, depuis 68, la C.N.T. a réalisé des progrès dans la voie de son implantation dans le mouvement social. Lentement, dans et hors les entreprises, la CNT étend son réseau organisationnel et propagandiste. Cependant, d’immenses pas sont encore à accomplir pour devenir une force significative. Un espace considérable s’ouvre devant nous, lié à l’effondrement du capitalisme d’État dans les pays de l’Est, au divorce constaté entre. les travailleurs, les chômeurs et la gauche institutionnelle. La crise économique mondiale et chronique du capitalisme sécrète un terreau propice à la propagande syndicaliste révolutionnaire. Dans ce contexte, il s’agit de rendre crédible notre projet social autogestionnaire. Cette tâche ne sera menée à bien que si nous savons définir une identité syndicaliste claire, alliant à un combat idéologique permanent l’affirmation constante de réponses, propositions pratiques, pertinentes, adaptées à la situation présente du mouvement social. Outre cette présence cohérente dans le mouvement social, notre capacité à développer une organisation syndicale différente, à la fois dans son fonctionnement (absence de permanents syndicaux) et dans son éthique, sera essentielle : le syndicat anticipe dans les faits la société autogestionnaire à laquelle nous aspirons…

Dans ce sens. le témoignage d’Amédée, c’est à dire la synthèse de sa pratique militante, ne peut que nous être utile, Car si l’histoire ne se répète pas, chacun sait qu’elle bégaie…

Septembre 1994

CNT-f du Val d’Oise

Histoire de la CNT de 1973 au début des années 90(3ème partie)

Article CNT-AIT 2006

UNE LONGUE RECONSTRUCTION

Étudier la reconstruction de la C.N.T. permet de connaître le parcours de quelques militants, une vingtaine, qui se sont obstinés à remettre sur pied une organisation devenue quasi-inexistante. Cette tâche, loin d’être aisée, aboutira à la construction d’un courant anarcho-syndicaliste organisé au sein de ce qu’on appelle les nouveaux mouvements sociaux. Cependant, ce développement ne se fit pas sans divisions, les problèmes tant théoriques que pratiques conduisant à une scission.

1- Un modèle de développement : l’interprofessionnel

La renaissance de la C.N.T. ne se fit pas par la création de sections syndicales sur les lieux de travail. Pendant quelques années, elle n’eut aucune base syndicale. La priorité était en réalité de consolider et de multiplier des noyaux de militants dans les villes, à partir desquels des créations de sections syndicales pourraient alors être envisagées. Il fallait donc dans un premier temps se lancer à la conquête des villes.

a) Évolution de l’implantation géographique

La reconstruction de la C.N.T. dans les années soixante-dix, se traduit tout d’abord par une volonté de développer les unions locales correspondant essentiellement à des noyaux de militants. Au lendemain du congrès de 1973 tenu à Paris, la C.N.T. ne comptait que six U.L. qui fonctionnaient réellement : Toulouse, Paris, Bordeaux, Marseille, Perpignan et Lyon. Il faut cependant nuancer le terme utilisé par l’organisation lorsqu’elle parle d’Unions Locales. Il ne s’agit pas d’unions qui regroupent les différents syndicats des villes, mais de noyaux de militants. Il peut arriver que des syndicats existent, comme à Toulouse où l’on trouve un syndicat du bâtiment, mais celui-ci n’était animé que par un militant, Joseph Vincent. Ces syndicats sont le plus souvent des structures sans fonctionnement réel et qui correspondent simplement aux professions des différents militants du noyau C.N.T. de telle ou telle ville. Cette situation amène à constituer des syndicats interprofessionnels permettant le regroupement de militants isolés sur leur lieu de travail [1].

Ce sont ces noyaux que la C.N.T. s’efforce de multiplier. Par le biais de contacts, le plus souvent des individus isolés dans leurs villes, la C.N.T. parvient à mettre en place des groupes de militants dans des villes où elle était jusque-là absente. Lors du XVème congrès de l’A.I.T. qui se tient à Paris en 1975, le représentant de la C.N.T. explique de cette façon leur manière de se développer : “Cette section (la C.N.T.F.) reprend un peu “du poil de la bête” depuis quatre ans. Dans certaines régions, les contacts d’abord individuels ont donné naissance à des groupes, puis à des U.L. Notre activité est de structurer, d’implanter des U.L. Ainsi, si il y a 5 ans, seules six U.L. fonctionnaient réellement, ce sont aujourd’hui quinze qui travaillent” [2].

Si la C.N.T. s’implante dans de plus en plus de villes, certaines sections ont toutefois une existence éphémère. Prenons l’exemple de Tarascon qui apparaît lors du congrès de 1979. Cette section ne réapparaît plus par la suite, alors que dans son compte-rendu d’activité elle déclarait pourtant avoir une douzaine de militants. Entre 1979 et 1981, des sections ont également été créées comme à Troyes, Nogent-le-Rotrou, Bonneville, Cannes, pour disparaître rapidement, puisqu’au congrès de 1981 le B.C. déclare ne plus avoir de nouvelles de ces sections. Dans le cas où elles ne disparaissent pas totalement, leur existence reste fragile. C’est notamment le cas de la section de La Rochelle qui apparaît en 1979. Mais du fait des difficultés d’implantation, elle ne réapparaît qu’en 1985. L’implantation par le biais de noyaux de militants connaît donc certaines limites.

Géographiquement, la C.N.T. se développe essentiellement dans la région parisienne, où l’on voit des sections apparaître dans les départements de l’Ile de France. Dans les années soixante-dix, la C.N.T., dans cette région, n’existait qu’à Paris avec un local situé rue de la Tour d’Auvergne. Après un conflit entre militants, la C.N.T. de Paris se divisa en deux, avec une section à Saint-Ouen, et l’autre rue de la Tour d’Auvergne. La section de Saint-Ouen s’installa rapidement au local de la C.N.T.E. en exil au 33, rue des Vignoles, qui restera le local de la C.N.T. de Paris, mais aussi le siège de la C.N.T. La C.N.T. basée rue de la Tour d’Auvergne fut exclue en 1977 [3]. Dans les années quatre-vingt, deux sections émergent à Choisy et à Plaisir. Entre 1989 et 1991, le mouvement s’accélère et la région parisienne compte huit sections.

Le bilan de l’implantation, malgré ces difficultés, reste positif. Alors qu’en 1973, la C.N.T. n’existe que dans 12 villes [4], en 1991 elle est implantée dans 30 villes ou départements et compte 26 syndicats professionnels avec une activité syndicale réelle, contrairement à 1973, où les syndicats étaient des structures fantômes. A la fin des années quatre-vingt, les sections qui se créent ne sont plus éphémères. Même si elles sont faibles en effectifs, elles maintiennent leur existence. Si entre 1973 et 1987 les noyaux de militants n’ont pas toujours donné lieu à de réelles implantations, c’est à dire à des sections qui se pérennisent, à partir du congrès de 1987, celles qui se créent ont une existence durable.

En terme d’effectifs, ce développement correspond à celui d’un groupuscule. En juillet 1978, à partir d’un rapport de la trésorerie confédérale qui fait état du nombre de cartes demandées par les U.L., on arrive à un total de 178 cartes. Ce nombre est donc le maximum que l’on puisse envisager dans la mesure où les commandes sont parfois supérieures à la réalité, dans l’espoir de voir arriver de nouveaux adhérents. Quand une U.L. ne demande qu’une carte [5] ou deux d’adhésion, le terme de “ noyau ” semble plus approprié pour qualifier le groupe. Il faut cependant souligner qu’une U.L. telle que Arles qui ne commande qu’une carte consolide au fil des années son implantation avec une section dans une entreprise de transports qui remporte les élections de délégués du personnel avec 85%. En revanche, lorsqu’une section telle que Grenoble commande à la trésorerie confédérale quinze cartes, cela relève du pur fantasme puisque cette U.L. disparaît rapidement pour ne réapparaître qu’à la fin des années quatre-vingt. On peut enfin remarquer à partir de ce tableau que les villes de Bordeaux, Paris et Toulouse restent les bastions historiques de la C.N.T. Ce sont en effet les trois villes où la C.N.T. n’a jamais réellement cessé d’exister [6]. Le nombre de 178 adhérents ne correspond pas à la réalité : le congrès de 1981 permet de faire une autre estimation. A partir des comptes-rendus d’activité, la C.N.T. semblerait compter environ 110 adhérents. Or, la section de Lille avance le nombre de 200 militants. On constate qu’il est bien difficile d’évaluer précisément ces effectifs. Ainsi, afin d’avoir une idée de l’état de la C.N.T. à la fin des années soixante-dix, début quatre-vingt, nous nous limiterons à une estimation d’environ 150 adhérents. Ce nombre aussi ridicule soit-il, n’en traduit pas moins une nette progression de l’organisation si on le compare à celui de 1973.

Durant les années quatre-vingt, l’organisation continue de progresser. Elle ne parvint pas cependant à dépasser son stade groupusculaire. Au moment de la scission, en 1993, il est peu probable qu’elle dépasse le millier d’adhérents. Il ne faut donc pas tenir compte de l’article paru dans la revue Liaisons sociales du 19 novembre 1992. Dans cet article, nous pouvons lire : “Aujourd’hui, la C.N.T. estime à 3000 le nombre de ses adhérents et déclare ne pas connaître de crise du militantisme”. Ce chiffre avancé par des dirigeants de la C.N.T. de Paris est grossièrement gonflé et suscite même de vives critiques de la part d’U.L. [7]. En effet, au moment de la scission, la C.N.T. encore unifiée devait compter un peu plus de 500 adhérents [8] dont une bonne partie dans la région parisienne qui connut un développement plus important que les autres U.L.

Afin de consolider et de développer ces sections, le travail effectué par les militants relève parfois plus de celui d’une organisation politique, c’est à dire qu’il s’inscrit dans une vision idéologique avec des prises de positions politiques, dépassant le cadre syndical de l’économie, à savoir l’entreprise.

b) La C.N.T. : un “syndicat-parti” [9] ?

La base de la C.N.T. est très souvent le syndicat interprofessionnel, appelé « l’interco » [10], et non la section d’entreprise. Son développement repose donc très peu sur ses activités syndicales [11]. L’originalité de la C.N.T. tient à sa dimension inter-professionnelle. Les activités des syndicats interprofessionnels consistent essentiellement à un travail de propagande : collages d’affiches, ventes du journal et parfois la parution de journaux propres aux intercos de certaines villes. Lille faisait paraître Action Directe, Paris Catacombes, et Toulouse La Castagne [12]. Ce travail de propagande abordait des thèmes souvent plus proches du politique que du syndicalisme. La C.N.T. ne se limite pas aux problèmes liés aux lieux de production. Elle traite en effet des problèmes de société tels que le chômage et la précarité, le racisme, l’antimilitarisme. A maintes reprises, elle participe à des mouvements relatifs à ces thèmes. Cette participation est bien entendue proportionnelle à son niveau de développement. Ainsi, en 1983, elle mène une campagne anti-militariste contre le protocole Hernu-Savary. En 1984, elle sort tout un matériel de propagande (autocollants, affiches, nombreux articles dans le C.S.) contre les T.U.C. (Travaux d’Utilité Collectifs) en dénonçant le caractère précaire de ces contrats. Mais la participation de la C.N.T. à divers mouvement commence surtout à partir des années quatre-vingt-dix. En janvier 1991, la C.N.T. se mobilise pour lutter contre la guerre du Golfe. Outre la présence de cortège C.N.T. dans les manifestations, elle participe également aux assemblées générales et aux quelques grèves qui ont eu lieu parfois dans le public, notamment dans les centres de tri de Lyon et de Bordeaux où des militants de la C.N.T. prirent la parole “pour expliquer la portée sociale et anti-militariste de la grève” [13]. Elle est d’ailleurs certainement la seule organisation syndicale à appeler à la grève générale, tout en étant consciente que l’écho de cet appel sera insignifiant. En 1992, c’est au cours des manifestations contre le Front National [14] que se forment des cortèges rouges et noirs. Ceux-ci se manifestent à nouveau lors des grandes manifestations pour la laïcité en 1993. En 1994, la C.N.T. participe à la manifestation nationale contre le chômage.

La participation de la C.N.T. à tous ces mouvements en tant que structure interprofessionnelle, si elle est volontairement la base de la C.N.T. pour certaines U.L., cela ne doit pas en revanche cacher une réalité, à savoir la difficulté pour les militants de développer des sections syndicales.

Il ne faut pas pour autant réduire la C.N.T. à un simple groupe idéologique qui se limiterait à brandir le drapeau rouge et noir de l’anarcho-syndicalisme, et cela sans réalité syndicale. En effet, à partir des syndicats interprofessionnels, des sections d’entreprises vont se créer. L’intérêt des interprofessionnels est de consolider une base militante avant que les effectifs ne se dispersent dans leurs sections professionnelles. La C.N.T. n’est donc pas seulement une composante du mouvement anarchiste français, elle est aussi une composante du syndicalisme français. Elle s’est toujours efforcée d’affirmer son identité syndicale, sans renier pour autant son affiliation à l’anarchisme. La fin des années soixante et le début des années quatre-vingt correspond en effet à une orientation syndicaliste ; orientation qui, comme nous allons le voir, connaît quelques succès mais aussi des limites.

2- La C.N.T., une organisation syndicale

a – L’affirmation de l’identité syndicale

Il faut avant tout souligner que la C.N.T. bénéficie de peu de sympathie au sein du milieu libertaire. Quand celui-ci n’est pas anti-syndicaliste, il est hostile à la C.N.T. considérée comme un groupe idéologique et non pas comme une organisation syndicale. Dans les années soixante-dix, les libertaires préférèrent rester dans leurs centrales traditionnelles, C.G.T. et F.O., ou, phénomène nouveau à partir de mai 68, entrent en grand nombre à la C.F.D.T. A cette période, les discours d’Edmond Maire sur l’autogestion attiraient beaucoup d’anarchistes (et également des trotskistes de tendance L.C.R.). La C.F.D.T. était donc devenue la centrale idéale aux yeux d’une grande partie de la génération de mai 68, avec laquelle il était difficile pour la C.N.T. de rivaliser. Celle-ci, lassée des critiques adressées par le milieu libertaire, veut prouver qu’il est possible de faire du syndicalisme à la C.N.T.

La première étape de cette orientation syndicaliste, c’est la campagne contre les élections prud’homales en 1979 [15]. Cette campagne de boycott repositionne en effet la C.N.T. comme une organisation syndicale française et non plus comme une annexe de la C.N.T. espagnole [16]. Ce repositionnement ne trouve cependant d’écho qu’au sein du mouvement libertaire [17] et il ne s’agit là que d’une activité de propagande.

L’orientation syndicaliste ne se concrétise réellement qu’à Bordeaux, en 1982 et 1983. Pendant ces deux années, l’U.L. de Bordeaux connaît quatre conflits pendant lesquels les syndicats C.N.T. jouent un rôle important. Le premier conflit eut lieu dans une entreprise du bâtiment. Pendant ce conflit, la C.N.T. force la C.G.T. à accepter que les délégués soient élus en assemblées générales. La plupart de ces délégués sont des adhérents de la C.N.T. Ce conflit aura permis à la C.N.T. d’avoir une influence au sein de l’entreprise. Cette influence se manifeste lors des élections au comité d’entreprise qui eurent lieu après le conflit. En effet, la C.N.T. est le seul syndicat à appeler au boycott de ces élections, appel qui eut un écho dans la mesure où le taux d’abstention fut de 75% dans toute l’entreprise et de 100% là où la C.N.T. était présente [18]. Le second conflit fut celui des cinémas Concorde de Bordeaux dans lesquels la C.N.T. mena une grève assez dure avec boycott des cinémas. Autre grève à laquelle participa la C.N.T., celle de l’usine S.A.F.T. (métallurgie). Le syndicat de cette usine n’étant pas reconnu par la direction, il du pour pouvoir bénéficier des droits syndicaux (panneaux d’affichage, présence du délégué syndical aux réunions du comité d’entreprise) se présenter aux élections des délégués du personnel. Mais le principal conflit reste celui de la clinique des Orangers en 1983. Cette grève, si elle n’a rien de particulier en soi constitue cependant un symbole fort pour la C.N.T. puisque, étant le seul syndicat, c’est elle qui mène le conflit. Ce conflit a été porté au niveau de toute l’organisation et ne s’est pas limité à l’U.L. de Bordeaux. Il a mobilisé beaucoup de force militante [19]. A travers cette grève, la C.N.T. rencontre une certaine sympathie sur le plan local, puisqu’elle voit l’adhésion d’ambulanciers également en grève et qui étaient à la C.G.T. Ces adhésions sont importantes dans la mesure où il ne s’agit pas d’anarchistes qui rejoignent la C.N.T., mais de syndicalistes qui quittent la C.G.T. pour la C.N.T. C’est ce type d’adhésion, non idéologique, qui confirme l’identité syndicaliste de la C.N.T. L’utilisation maximale du conflit, au niveau national, eut un impact positif au sein du milieu libertaire. A la suite de ces deux années d’intense activité à Bordeaux [20], la C.N.T. n’était plus un simple groupuscule d’idéologues anarcho-syndicalistes et pouvait dès lors se faire reconnaître en tant que syndicat.

Mais ces conflits, sur le plan national, n’ont eu une importance que symbolique. Ils n’ont pas aboutit à une réelle implantation syndicale. L’implantation dans le privé est ainsi suspendue pendant quelques années. Le public constitue quant à lui l’occasion de devenir une organisation syndicale.

b) Le secteur public : un tremplin pour la C.N.T.

Le secteur public correspond en effet beaucoup plus à un fief d’implantation que le privé. Le syndicalisme bénéficiant d’une tolérance plus large dans le public que dans le privé, la C.N.T. eut plus de facilité à s’exprimer.

C’est l’éducation qui fut le premier secteur professionnel où la C.N.T. parvint à s’implanter. Le syndicat de l’éducation de Toulouse avait déjà commencé à publier en février 1979 Le Courrier de l’éducation libertaire. Ce journal devait servir à l’origine à maintenir une liaison entre des enseignants de Toulouse, Tarbes et Montauban réunis lors d’une réunion. Mais Le Courrier de l’éducation libertaire est très vite devenu un journal s’adressant non pas seulement aux cénétistes mais “à tous les autres libertaires du secteur éducation”. Entre 1979 et 1981, le tirage de ce journal passe de cent à six cent exemplaires. Outre ce journal qui ne concerne que le syndicat de l’éducation de Toulouse, la C.N.T. connaît une forte activité dans ce secteur entre 1980 et 1982. Au Havre et à Lille, elle participe en 1980 à la grève des M.I./S.E. (Maîtres d’Internat/Surveillants Externes) et des instituteurs. A Toulouse, en plus de l’activité de propagande, le syndicat participe “activement” à la grève des éducateurs spécialisés à travers une intersyndicale C.G.T./C.F.D.T./C.N.T. et une coordination des éducateurs en formation sur le plan national. En 1981 et 1982, la C.N.T. poursuit son orientation syndicale. En effet, la réforme de la fonction publique avec les lois Auroux permet à la C.N.T. de développer un discours syndicaliste contre l’intégration du syndicalisme, et d’apparaître ainsi comme une organisation syndicale dans l’éducation. La C.N.T. connaît alors de nouvelles adhésions dans ce secteur, mais qui restent cependant très faibles. Les sections dans le secteur de l’éducation se multiplient peu à peu dans la première moitié des années quatre-vingt, mais semble connaître un recul par la suite. L’implantation de la C.N.T. dans l’éducation semble s’être soldée par un échec dans cette première moitié des années quatre-vingt. En effet, quand ces syndicats ne disparaissent pas [21], ils se réorganisent souvent en structures plus larges, les syndicats Santé-Social-Education (S.S.E.), ce qui révèle leur faiblesse.

En revanche, le nombre de ces syndicats S.S.E. progresse quelque peu au début des années quatre-vingt-dix, donnant lieu en mars 1992 à la création d’une fédération S.S.E. Lors de la constitution de cette fédération, seulement cinq syndicats S.S.E. ou liés à l’éducation étaient présents. La création de cette fédération traduit la volonté pour la C.N.T. de se structurer selon le schéma traditionnel d’une confédération syndicale [22] et donc d’affirmer encore une fois son identité syndicale. Cette structure, qui certes traduit le développement de l’organisation mais dans le même temps un signe de faiblesse, n’en reste pas moins originale dans la mesure où elle fédère des syndicats qui n’ont parfois pas grand chose en commun.

La C.N.T. poursuit cependant son développement dans le domaine de l’éducation. Quelques syndicats d’enseignants se créent, mais la nouveauté réside surtout dans l’organisation des étudiants au sein de la C.N.T. Si les statuts avaient envisagé l’organisation des jeunes au sein de la C.N.T. avec la constitution de Jeunesses Syndicalistes Révolutionnaires comme cela avait été le cas à la fin des années soixante, la possibilité de créer des syndicats étudiants n’avait pas été posée [23]. C’est à Caen qu’une structure étudiante apparaît pour la première fois en 1991 sous le nom de Coordination Libertaire Etudiante, mais elle se limite à cette ville. C’est l’année suivante que l’implantation de la C.N.T. dans l’éducation à travers les jeunes se confirme avec la création en juin 1992 de la F.A.U. (Formation Action Universitaire) [24]. A ses débuts, ce syndicat n’existe que dans la région parisienne et est surtout présent à l’université de Paris X (Nanterre). La F.A.U. est partie prenante du syndicat des travailleurs de l’éducation de la région parisienne. Dans sa plate-forme [25], la F.A.U. se positionne aux “antipodes du corporatisme universitaire” et a entre autres pour but “de faire le lien entre le monde du travail et de l’éducation”. Elle se refuse à être “un syndicat étudiant corporatiste et jamais elle ne limitera son action au seul créneau de l’enseignement”. Ce syndicat connaît quelques activités lors de la lutte contre les expulsés de Vincennes et lors des manifestations contre le C.I.P. en 1993. Son implantation reste cependant localisée et il faut attendre le mouvement de novembre-décembre 1995 pour qu’elle devienne une composante non négligeable du paysage syndical étudiant.

A l’inverse de l’éducation, la C.N.T. connaît un développement croissant et continu dans le secteur des P.T.T. Les P.T.T. peuvent en effet être considérés comme le principal fer de lance pour la C.N.T. Ce secteur représente à partir du milieu des années quatre-vingts un fort potentiel de développement syndical pour la C.N.T., comme cela a été le cas pour la C.F.T.C. ou pour F.O., et comme ça le sera par la suite pour S.U.D. Il est cependant plus réaliste de comparer la situation de la C.N.T. à celle que connaît dans le même temps le S.U.D.-P.T.T. Le fait que ces deux organisations syndicales connaissent un développement dans les P.T.T. tient certainement à la présence d’une extrême-gauche (trotskistes de la L.C.R. ou anarchistes) dans ce secteur. Dans les P.T.T., cette extrême-gauche était organisée essentiellement à la C.F.D.T. pour les raisons que nous avons vues précédemment. Si ce sont des anciens de la C.F.D.T. qui créent S.U.D.-P.T.T. [26], ce sont également, pour une bonne partie, des anciens de la C.F.D.T. qui renforcent la C.N.T.-P.T.T. Le secteur des P.T.T. est ainsi l’illustration et la scène d’une recomposition syndicale par l’action de militants issus de l’extrême-gauche [27].

Le développement de la C.N.T. dans les P.T.T. ne devient réel qu’à la fin des années quatre-vingts. Son implantation auparavant était limitée à Paris, alors seule ville à posséder un syndicat dans les P.T.T. Puis, en 1987, après la création un an plus tôt de la fédération P.T.T., on compte cinq syndicats C.N.T.-P.T.T. Lors du congrès de 1991, onze syndicats P.T.T. sont recensés dont trois pour la région parisienne. Le secteur des P.T.T. constitue alors le principal lieu d’implantation de la C.N.T. A en croire un texte d’un militant des P.T.T., “le secteur P.T.T. représente environ 1/3 de la confédération en adhérent(e)s” [28]. Afin de comprendre l’importance des P.T.T. dans certaines localités, il est intéressant de s’arrêter sur l’exemple lyonnais qui illustre le développement de la C.N.T. Si dans de nombreuses villes, c’est le modèle interprofessionnel qui a prévalu pour se développer, à Lyon c’est le schéma inverse qui s’est réalisé [29]. Après leur exclusion de la C.F.D.T. en 1977, des travailleurs des P.T.T. créent en 1978 un Syndicat Autogestionnaire des Travailleurs (S.A.T.). Mais, en 1985, ce syndicat ouvertement anarcho-syndicaliste qui regroupa jusqu’à soixante adhérents fut dissout suite à sa non-reconnaissance juridique. Sept anciens adhérents de ce syndicat décident alors de créer une C.N.T.-P.T.T. Ce syndicat implanté dans un centre de tri de Lyon, celui de Montrochet, connaît un développement lors des grèves de novembre 1987 contre le projet de Longuet visant la privatisation des télécoms et de la poste. La C.N.T. anime une grève de 12 jours dans ce centre de tri, ce qui lui vaut la sympathie de nombreux travailleurs, notamment à cause de l’attitude des autres syndicats qui mettaient en grève les autres centres de tri un à un. Le deuxième moment fort pour ce syndicat est la fermeture du centre de tri de Montrochet en octobre 1993. La C.N.T. lance alors une grève qui dura un mois avec occupation des locaux. Le syndicat C.N.T.-P.T.T. de Lyon poursuit son travail également en-dehors des P.T.T. en maintenant une présence dans les manifestations d’ordre politique, notamment contre la guerre du Golfe. Cette participation aux manifestations générales qui facilitent la propagande connaît un succès en 1994 lorsque cinq personnes décidèrent de créer un syndicat interprofessionnel. Le développement de la C.N.T. lyonnaise trouve ainsi son origine dans la C.N.T.-P.T.T.

La C.N.T. a donc connu un développement dans le secteur public et principalement dans les P.T.T. Cependant, la C.N.T. est encore loin de peser sur le champ syndical. Si au cours des années quatre-vingts, la C.N.T. a voulu prouver qu’il était possible de faire du syndicalisme dans son organisation, cette orientation n’est plus pour certains syndicats la priorité. Le désir de construire une organisation selon les structures traditionnelles du syndicalisme (sections syndicales, fédérations) est remis en cause.

NOTES

[1] Il faut noter que lors des congrès, aux côtés des syndicats interprofessionnels qui prennent part aux votes, les sections syndicales comme le S.U.B. de Toulouse votent également. Autrement dit, les militants qui votent pour le syndicat interprofessionnel sont les mêmes qui votent pour les sections syndicales. Un militant adhère donc parfois à deux syndicat : le syndicat interprofessionnel et au syndicat correspondant à sa profession (quand celui-ci existe, car les militants ne créent pas systématiquement un syndicat fantôme sur leur lieu de travail).

[2] Compte-rendu du XVème congrès de l’A.I.T.

[3] Le groupe basé rue de la Tour d’Auvergne a continué son activité sous le nom de CNT 2ème UR. Il a fusionné avec la CNT-AIT en mars 2006.

[4] Sur ces douze villes, elle cesse d’exister dans certaines d’entre elles comme Lorient et Pau pour y réapparaître plus tard.

[5] Attention, cela ne signifie pas qu’il n’y ait qu’un seul militant, même si cette situation se retrouve parfois.

[6] La quatrième ville où cette continuité s’observe également et qui ne figurait pas dans le rapport de la trésorerie confédérale, c’est Marseille

[7] Ce gonflement des effectifs s’observe à nouveaux dans un article du Monde, où la C.N.T.-Vignoles avance le nombre de 3 000, cf. Le Monde du 7 août 1999. Ces chiffres sont totalement mensongers. A l’époque où ces articles sont parus, il est plus réaliste d’évaluer les effectifs de la C.N.T.-Vignoles entre 1000 et 1500 adhérents. Le cortège de la C.N.T. à Paris, à l’occasion du 1er mai 2000, certes imposant (supérieur à celui de la C.G.T.) donne l’illusion d’une importante organisation. Or, ce cortège était composé de nombreux sympathisants, de militants de syndicats étrangers tels que la C.G.T. espagnole et la S.A.C. suédoise. De plus, le fait de doter un grand nombre de militants de banderoles et de drapeaux rouges et noirs donne l’impression d’une foule compacte et d’une forte densité.

[8] Estimation de militants.

[9] Cette formulation est celle BROCHIER Jean-Luc et DELOUCHE Hervé. Les nouveaux sans-culottes. Enquête sur l’extrême-gauche. Grasset, 2000. 286 p.

[10] Abréviation de syndicat inter-corporatif

[11] Nous entendons par là, les activités réalisées dans les entreprises, sur le lieu de travail.

[12] Ces journaux étaient des suppléments à Espoir et n’ont pas connu une longue vie. A partir de la fin des années quatre-vingt, on voit renaître des journaux régionaux : Guerre sociale publié par la C.N.T. Doubs ; La lettre du C.D.E.S. par Toulouse ; Il vit souvent la nuit (faisant allusion au chat noir) par la C.N.T. Pau.

[13] Le Combat syndicaliste, n°108, janvier 1991. La C.N.T. n’est cependant pas la seule organisation syndicale à s’être mobilisée.

[14] Ces manifestations anti-F.N. rassemblant souvent un grand nombre de jeunes, on peut se demander si la participation de la C.N.T. à celles-ci ne lui aurait pas facilité la venue des jeunes.

[15] La C.N.T. lance à nouveau cette campagne lors des élections prud’homales suivantes (1983, 1987, 1991). Le slogan de ces campagnes est que “les prud’hommes ne défendent pas les travailleurs, ils les jugent”.

[16] Cette situation cessa à la mort de Franco, lorsque la C.N.T. espagnole redevient une organisation légale.

[17] D’après des militants, la F.A. aurait tenté de freiner cet écho, dans la mesure où la C.N.T. était quasiment boycottée sur Radio-Libertaire.

[18] Ces chiffres sont donnés par l’U.L. de Bordeaux à l’occasion du congrès de 1987.

[19] Des militants de Toulouse se sont rendus une semaine sur les lieux de la grève pour soutenir les infirmières.

[20] Nous ne faisons ici qu’énumérer les différents conflits. Ces mouvements se sont accompagnés par la suite d’une forte répression patronale (procès, licenciements). L’U.L. de Bordeaux tira un bilan assez critique de ces deux années de conflits. Compte-rendu d’activités des syndicats pour le 18ème congrès confédéral.

[21] Dans des villes comme Troyes et Nogent-le-Rotrou, nouveaux lieux d’implantation de la C.N.T., ces nouveaux adhérents se sont immédiatement organisés en syndicat de l’éducation et ce sans base militante. Leur existence fut alors éphémère (deux, trois ans).

[22] Nous verrons que cette structuration ne fait pas l’unanimité au sein de la C.N.T. et qu’elle est un des objets de la division qui donna lieu à la scission.

[23] L’existence de syndicat étudiant au sein d’une organisation syndicale constitue une nouveauté. Il existera par la suite des syndicats S.U.D. étudiant, mais S.U.D. n’étant pas une confédération, la C.N.T. reste la seule confédération à organiser en son sein des étudiants.

[24] Bien que la F.A.U. a entre autre pour but de regrouper “les étudiants, les I.A.T.O.S.S., les professeurs…” (plate-forme), sa composante est essentiellement étudiante.

[25] Cette plate-forme est publiée dans le Combat syndicaliste, n°124, juin 1992.

[26] Anciens de la C.F.D.T. mais aussi pour certains d’entre eux des membres de la L.C.R. comme Christophe Aguiton.

[27] Ce constat ne signifie pas pour autant que S.U.D.-P.T.T. et C.N.T.-P.T.T. sont identiques sur le plan idéologique ou syndical. Au contraire, leurs pratiques syndicales telle que se présenter ou non aux élections des commissions administratives paritaires suffisent à les différencier.

[28] Alternative syndicaliste, n°2, octobre 1992. Nous tenons à émettre une hypothèse qui nous semble intéressante. En 1989, au moment où S.U.D.-P.T.T. se crée, les deux organisations qui représentent une sorte de gauche du syndicalisme sont assez concurrentes, S.U.D. ne pouvant prévoir le succès qu’il aura plus tard. Si la C.N.T.-P.T.T. s’était présentée aux élections des C.A.P., il aurait été probable qu’elle vole la vedette à S.U.D. ou du moins qu’elle se montre embarrassante pour le développement de ce dernier. Cette idée a certainement dû traverser l’esprit des dirigeants de S.U.D.-P.T.T. D’où, peut-être, l’intérêt d’envisager le regroupement des deux organisations au sein d’un syndicat plus large.

[29] D’après l’article de BEN. “histoire de l’anarcho-syndicalisme et du syndicalisme révolutionnaire à Lyon de 1971 à 1999”, in La Griffe, n°17, juin 2000. pp. 11-14 et des militants de la C.N.T.-P.T.T. de Lyon.

Histoire de la CNT de 1950 à 1973 (2ème partie)

Article CNT-AIT 2006

L’isolement de la CNT

Au cours des années 50, l’organisation s’isole et se marginalise de plus en plus. Elle devient une section française de la C.N.T. espagnole en même temps que se manifeste la solidarité avec les Espagnols dans la lutte anti-franquiste. Réduite à un simple noyau de militants, les évènements de mai 1968 mettent fin à ce que l’on pourrait désigner comme la première C.N.T.

1- Comment l’isolement conduit au sectarisme !

Si la C.N.T. a connu une activité syndicale de 1946 à 1950, son positionnement par rapport au Cartel d’unité d’action syndicaliste la conduit à s’isoler du mouvement syndical mais également du mouvement libertaire. Par rapport à l’enthousiasme et à l’euphorie qui se dégageaient les trois premières années, la situation en 1950 semble plus calme, voire sur le déclin. Le congrès de 1950 marque la fin d’une période d’espoir pour les anarcho-syndicalistes, en dévoilant notamment ce qu’est devenue l’organisation. Nous reproduisons ici un extrait du rapport moral présenté par la C.A. lors du congrès : “Le manque d’organisation est un mal chronique dont souffre notre mouvement. Le plus souvent, les organismes, à part quelques exceptions, méconnaissent le fédéralisme, agissent sur l’initiative de un ou de quelques camarades. Ceci provient, d’une part, du niveau médiocre de culture syndicaliste des adhérents, d’autre part, du désintéressement de ces derniers envers l’organisation. Cette situation amène des déviations organisationnelles qui se traduisent par l’implantation de méthodes de travail centralisées et un étiolement des organismes de base. Il faut noter que si les syndiqués se tiennent à l’écart de la vie syndicale, c’est que le plus souvent les syndicats ont peu d’activité. Le travail syndical se fait généralement à la petite semaine, sans perspective […]. Or il ne semble pas […] que toutes les fédérations constituées aient assumé le rôle de coordination et de liaison qui leur est dévolu. Ceci tient à ce que les syndicats se sont abstenus de répondre aux appels qui leur étaient adressés par les fédérations ou qu’ils aient méconnu l’importance de ces dernières comme élément d’agitation revendicative sur le plan national”.

Ce bilan négatif met en lumière les problèmes d’organisation et de structure. Les difficultés et l’inactivité que connaît la C.N.T. sont celles que peut rencontrer une petite organisation lorsque le climat social reste stable. Si la C.N.T. a pu connaître un succès et un dynamisme en 1947 et 1948, c’est parce que le climat social le permettait alors. Les mobilisations collectives permettent en effet à l’organisation de se montrer et d’avancer ses mots d’ordres. La visibilité est un facteur de développement de l’organisation. Ainsi, dans la mesure où les adhésions à la C.N.T. ne se réalisaient pas sur des bases idéologiques, avec le reflux du mouvement social qui s’opère au début des années cinquante (malgré la grève de 1953), la confédération perd de nombreux adhérents.

En 1954, les effectifs de la C.N.T. auraient baissé de plus de 40% par rapport à 1947 [1]. L’irrégularité de la parution du Combat Syndicaliste et la disparition des organes fédéraux traduisent cet affaiblissement. Le contenu du Combat syndicaliste laisse transparaître la quasi-inactivité des syndicats. Les articles sont le plus souvent théoriques, se consacrant à l’anarchisme et au syndicalisme révolutionnaire ou dénonçant les grandes centrales, mais ne proposant rien sur ses propres activités. A partir de 1952, toujours à travers la lecture du journal, la C.N.T. paraît totalement vidée. Sur quatre pages, une est consacrée aux adresses et à la librairie, une deuxième est une tribune libre. A cela il faut ajouter les communiqués de la C.N.T. espagnole, du S.I.A. (Solidarité Internationale Antifasciste) et les nombreux articles consacrés à l’actualité des sections de l’A.I.T.

Alors que l’organisation connaît un affaiblissement, elle s’enracine dans des querelles idéologiques, point faible de la C.N.T. Au congrès de 1954, le problème de l’identification de la C.N.T. à l’anarchisme est reposé. En effet, la tendance syndicaliste révolutionnaire regroupée entre autres autour de Aimé Capelle s’oppose à l’influence anarchiste qui représenterait un danger pour l’organisation. En réponse à ce dernier, le délégué du syndicat des employés de Paris déclare qu’“il est à remarquer que les camarades qui se dressent contre l’influence anarchiste sont ceux-là mêmes qui tendent à orienter notre confédération vers le réformisme […]”. Ces querelles intestines finissent par vider la C.N.T. qui devient alors de plus en plus sectaire et dogmatique.

Ce dogmatisme se manifeste en 1957, année pendant laquelle la C.N.T. connaît une nouvelle crise. Le conflit concerne les principaux responsables de la C.A., Raymond Fauchois et Yves Prigent, et des militants de la 2ème U.R. (région parisienne). Le syndicat S.U.B. de la 2ème U.R., dont le secrétaire est Yves Prigent, avait demandé la tenue d’“un congrès extraordinaire de la C.N.T., qui sera appelé à statuer sur l’exclusion d’éléments de syndicats qui se sont mis eux-mêmes en marge de l’organisation (P.T.T., S.I.M., bois, livre). D’autre part, le S.U.B. demande que soit évincé de la C.N.T. tout individu adhérent de l’Union des Syndicalistes, et de toute organisation politique […]” [2].

Il s’agit en réalité d’exclure la tendance syndicaliste révolutionnaire. Il était reproché aux adhérents de cette tendance, à savoir Yvernel, Marchetti, Malfatti, Capelle et Riguidel de participer à l’Union Syndicaliste dont l’organe était la Révolution prolétarienne et d’avoir renié l’A.I.T. Or si la participation à l’Union Syndicaliste ne s’inscrit pas dans la ligne politique de la C.A. dirigée par Fauchois, Prigent et Ibanez, elle ne pose en revanche aucun problème statutaire ou idéologique, excepté pour les responsables confédéraux qui affirmaient que la C.N.T. ne devait regrouper que des anarcho-syndicalistes.

Ce rejet du groupe de l’Union syndicaliste traduit l’esprit de la C.N.T. à cette époque. Elle se présente comme la seule voie de l’anarcho-syndicalisme et du syndicalisme révolutionnaire. Dans ce sens, tous les membres de l’Union syndicaliste qui se réclament du syndicalisme révolutionnaire mais qui adhèrent aux grandes centrales font le jeu du réformisme. Lors de ce congrès extraordinaire tenu à Poitiers les 27 et 28 avril 1957, les adhérents Yvernel, Velfond pour le S.I.M., Malfatti et Deck pour le syndicat du bois, Bonneau et Martin pour le syndicat des P.T.T., Riguidel et Bouzigout du S.U.B., Eckermann du syndicat des employés et enfin, Aimé Capelle et Marchetti du syndicat du livre [3] ont été exclus de la CNT. L’exclusion de ces militants dont certains avaient été membres de la C.A. après le 4ème congrès de 1950, a eu pour conséquence de vider la 2ème U.R. L’épuration, car c’est bien de cela qu’il s’agit, avait déjà commencé après le 6ème congrès confédéral de 1954 avec l’exclusion ou le départ par lassitude des membres de la C.A. élue à ce congrès. Ainsi, avant ce congrès extraordinaire d’avril 1957, n’étaient déjà plus adhérents à la C.N.T. les responsables confédéraux élus au 6ème congrès, à savoir Armonia Munoz (administratrice du Combat Syndicaliste), Emile Akoun (secrétaire à la propagande), Henri Bouyé (secrétaire aux relations internationales) et André Maille (trésorier) [4].

Les exclusions qui ont été décidées lors de ce congrès extraordinaire, ne font qu’accentuer l’état critique dans lequel est plongée la C.N.T. Avant ces exclusions, le bulletin de la 2ème U.R. daté du 10 janvier 1957 montre déjà l’état déplorable de l’organisation : “[…]la déchéance graduelle de la C.N.T., que tout le monde constate en nous imputant les causes, est le résultat de multiples facteurs :

a) l’organisation : la plupart des syndicats sont inactifs par manque de militants ; les adhérents cotisent irrégulièrement, provoquant des retards dans les trésoreries syndicales et régionales ; pour beaucoup de militants, le travail syndical consiste à cultiver l’idéologie tout en s’abstenant d’un travail plus pratique (distribution de tracts, collage d’affiches lorsque l’occasion s’en présente) ; la plupart des syndiqués étant des vieux adhérents, le renouvellement par des jeunes est trop lent pour provoquer un rajeunissement de la C.N.T. ; des jeunes sont venus : ils sont partis, préférant rejoindre des organisations plus représentatives.

b) des rapports régionaux et confédéraux : un désaccord sur les méthodes d’action entre les militants régionaux et confédéraux (entretenu par le sectarisme de Fauchois-Prigent pour monopoliser l’organisation et imposer leur tutelle) n’a fait que déchoir celle-ci en provoquant l’élimination progressive de bons éléments en désaccord avec les directives du tandem. […]”.

Cet extrait pose bien le problème que connaît la C.N.T. dans les années cinquante. L’inactivité de la C.N.T. rend difficile le recrutement de nouveaux adhérents. Malgré cela, l’organisation se permet d’exclure des militants dont certains -tels que Aimé Capelle- ont contribué à la création de la C.N.T. Ainsi, presque toute la génération qui avait participé à la C.G.T.S.R., à l’U.A. ou à la F.A.F., puis qui avait créé la C.N.T. en 1946, n’y milite plus.

Ce sectarisme, qui conduit à l’autodestruction de l’organisation, se poursuit cependant dans les années qui suivent. Il suffit pour s’en rendre compte de lire le compte-rendu du neuvième congrès confédéral tenu à paris les 4, 5 et 6 juin 1960. En effet, plusieurs syndicats déclarent qu’“il faut veiller au choix du recrutement”, “que la sélection doit être faite pour éviter l’action néfaste des réformistes et des soi-disant révolutionnaires”. La conclusion du secrétaire confédéral, B. Gonzalbo, va dans le même sens : “Nous n’atteindrons notre but que par la lutte des classes et le danger de noyautage et d’absorption justifie la sélection” [5].

Seule la C.N.T. de Toulouse échappe à ce sectarisme en affirmant que quiconque peut adhérer à la C.N.T. L’U.L. de Toulouse s’était d’ailleurs prononcée contre les exclusions de 1957.

Le sectarisme et le dogmatisme qui se développent au sein de la C.N.T. se manifestent également à l’égard des organisations libertaires. A ce même congrès est votée une résolution qui, si elle se veut conciliante, ne peut que rebuter ces organisations :

“Après avoir étudié le point sur les relations avec les organisations affinitaires, notre IXème congrès désire que des relations amicales étroites existent […] entre la C.N.T., la F.A.F., le G.A.A.R. et les amis de Sébastien Faure mais tient à indiquer, pour éviter toute équivoque qu’il ne peut concevoir que ces affinitaires nous ignorent, appartiennent à des confédérations réformistes politisées, pactisent avec des partis politiques quels qu’ils soient et, circonstanciellement, avec des organisations qui nous sont nettement hostiles et luttent contre nous. La C.N.T. exigera en cas d’accord avec les affinitaires : 1) Leur adhésion individuelle à la C.N.T.[…]”.

S’il est vrai que les organisations libertaires et plus particulièrement la F.A. sont hostiles à la C.N.T., cette résolution exprime l’idée selon laquelle les anarchistes doivent s’organiser au sein de la C.N.T. Elle ne peut concevoir l’organisation des libertaires au sein d’autres organisations, et encore moins au sein des grandes centrales. Les anarchistes organisés au sein des grandes centrales sont accusés à ce titre de faire le jeu du réformisme. La volonté que ces anarchistes adhèrent à la C.NT. ne peut que renforcer leur hostilité et provoquer sa marginalisation par rapport au mouvement libertaire. L’hostilité du mouvement anarchiste à l’égard de la C.N.T. s’explique aussi par un anti-syndicalisme développé et théorisé par ces organisations [6]. Néanmoins, la C.N.T. semble proche de l’A.O.A. (Alliance Ouvrière Anarchiste) constituée le 25 novembre 1956 par d’anciens membres de l’Entente anarchiste, et principalement par Raymond Beaulaton qui, rappelons le, avait été exclu de la C.N.T. en 1950. Plusieurs militants de la C.N.T. adhèrent à l’A.O.A. C’est notamment le cas de André Sénez et de Yves Biget. Dans le Maine-et-loire et l’Indre-et-Loire, Sénez et Biget avaient constitué en novembre 1966 un “comité de coordination anarcho-syndicaliste et anarchiste de l’ouest” [7]. Ce comité publia La lettre syndicaliste révolutionnaire de l’ouest [8] dont le premier numéro sort en janvier 1967. La rédaction de cette lettre était confiée à Yves Biget et la rédaction à André Sénez. Mais ce comité n’est rien d’autre qu’une initiative commune entre des militants de la C.N.T. et de l’A.O.A. Son objectif semble même de créer une section C.N.T. dans cette région. Dans le Combat syndicaliste du 8 décembre, il est écrit : “Les travailleurs intéressés par la formation de sections syndicales C.N.T. dans la Sarthe, Loir-et-Cher et Maine-et-Loire doivent s’adresser au camarade Sénez”. Dans le numéro du 5 janvier, l’objectif est très clair puisque ce comité ne reconnaît “qu’un seul syndicalisme : celui développé par la C.N.T.”. Ce comité donna d’ailleurs lieu à la création d’une U.R. (Sarthe, Loir-et-Cher et Indre-et-Loire). Cette initiative fut certainement la principale activité de la C.N.T. dans les années soixante. C’est dire le dynamisme de l’organisation pendant cette période ! Les liens entre la C.N.T. et l’A.O.A. se manifestent aussi dans le Combat syndicaliste du 9 mai 1968 où Beaulaton encourage la C.N.T. tout en souhaitant que les deux organisations restent indépendantes. Si l’isolement de la C.N.T. par rapport au mouvement libertaire est un fait, il n’en est rien en ce qui concerne ses relations avec l’A.O.A. Ces liens ne modifient cependant en rien le caractère dogmatique de l’organisation qui ne peut que la paralyser.

En effet, s’étant inscrit dans un tel sectarisme, la C.N.T. ne pu se développer, et s’enfonça dans un état groupusculaire. Cet état explique la quasi-inactivité de la C.N.T. lors du « coup d’État » du Général De Gaule en 1958, ou même avant, dès le début de la guerre d’Algérie. Les rares apparitions de la C.N.T. dans le cadre de la lutte anti-coloniale s’apparentèrent plus à de la figuration. Elle participa à un Comité de coordination libertaire [9]. Ce comité avait été créé sur l’initiative du G.A.A.R. (Groupes Anarchistes d’Action Révolutionnaire) en mai 1958 à l’occasion du “putsch gaulliste”. Ce comité regroupait outre la C.N.T. et le G.A.A.R., la F.A. et les Jeunes Libertaires. Ce comité se transforma par la suite en Comité d’Action Révolutionnaire auquel participaient en plus des organisations libertaires, le P.C.I. (Parti Communiste Internationaliste dirigé par Pierre Lambert) avec le C.L.A.D.O., Socialisme ou Barbarie, Pouvoir Ouvrier, École Émancipée… Il est certain que la C.N.T. a joué un rôle passif dans ce comité dans la mesure où le Combat Syndicaliste ne relaye aucune information ou communiqué sur ce comité. La guerre d’Algérie et plus largement l’anti-colonialisme ne semblent pas avoir été un objectif de lutte de la C.N.T. Est-ce son état groupusculaire qui explique ce peu de mobilisation ou bien tout simplement un refus de se positionner par rapport au M.N.A. de Messali Hadj et au F.L.N. ? En effet, si elle condamne le régime colonialiste français et par conséquent la guerre d’Algérie, elle ne soutient pour autant ni le M.N.A., ni le F.L.N. : “Nous ne faisons pour l’instant que constater et ne voulons prendre position pour ou contre la nouvelle résistance établie que quand celle-ci manifestera son intention de lutte pour une véritable émancipation de tous les travailleurs” [10].

En revanche, la C.N.T. se mobilisa d’avantage contre l’O.A.S. A Toulouse, en 1962, la C.N.T. participa au Comité de défense démocratique et républicaine anti-O.A.S. de la Haute-Garonne [11]. Cette participation à ce comité est assez surprenante puisque l’on trouve à ses côtés la S.F.I.O., la C.G.T., F.O., l’U.D.S.R. et le M.R.P. Ceci peut s’expliquer par le fait que les membres de l’O.A.S. trouvaient refuge en Espagne franquiste. Cette participation s’inscrirait donc plutôt dans la continuité de la lutte anti-franquiste. C’est en effet vers la lutte anti-franquiste que, depuis la fin des années cinquante, la C.N.T. s’est tournée, soit par obligation pour continuer à exister, soit par esprit de solidarité.

2- La C.N.T. : section franCaise de la C.N.T. espagnole

Ce point pose la question du poids des espagnols en exil en France au sein de la C.N.T. française [12], difficile à évaluer [13]. Dans les cahiers de réunion de 1946 de la C.N.T.F. de Toulouse est inscrite la proposition que l’on parle espagnol aux réunions, ce qui démontre une forte influence. A l’inverse, dans une circulaire de la 6ème U.R. (sud-ouest) signée Joseph Vincent (94), il est demandé que les membres de la C.N.T.E. en exil adhèrent à la C.N.T.F. A Toulouse, les responsables de la C.N.T.F. sont tous d’origine espagnole [14]. Cependant tous les immigrés espagnols n’adhèrent pas à la C.N.T.E. en exil. Des exilés de la « retirada » en 1939, mais surtout ceux qui ont quitté l’Espagne au moment de la dictature de Primo de Riveira, adhéraient à la C.N.T.F. Pour les Espagnols de la C.N.T.E. en exil qui adhéraient à la C.N.T.F., cela se réduisait surtout à payer une cotisation symbolique. C’est pourquoi elle ne participa pas, ou très peu, à la construction et au développement de la C.N.T.F.

Il est important de revenir brièvement sur l’histoire des cénétistes espagnols. On ne peut en effet faire l’histoire de la C.N.T.F. sans évoquer celle de la C.N.T.E., tant elles sont liées entre 1961 et 1975. A la fin de la seconde guerre mondiale, les cénétistes espagnols qui avaient, pour certains, participé à la Résistance en France, principalement dans le Sud-ouest, pensaient poursuivre ce mouvement de résistance en Espagne, dans la lutte contre le régime de Franco. Pour eux, la guerre d’Espagne n’était pas finie. Malgré le désarmement des groupes de résistants qui s’opère en France en 1945, les Espagnols conservent leurs armes et constituent des maquis de l’autre côté des Pyrénées. Cette guérilla anti-franquiste se poursuit jusqu’à ce que les franquistes liquident ces maquis dans les années cinquante. Cette résistance armée ne concerna cependant que la C.N.T. de l’intérieur qui avait intégré l’“ Alliance nationale des forces démocratiques” [15].

La C.N.T.E. en exil se tourna quant à elle vers l’action directe. Elle soutint en effet les différentes actions terroristes et de propagandes contre le régime franquiste sur le territoire espagnol. Le siège de la C.N.T.E. en exil situé à Toulouse au 4, rue de Belfort [16] était alors présenté par le régime franquiste comme l’“école de terroristes anarchistes” [17]. Mais du fait de la répression, la C.N.T.E. en exil cessa l’action directe en 1953 [18].

Les autres activités de la C.N.T.E. en exil, en France, consistaient le plus souvent à organiser des meetings, à l’occasion du 1er mai ou du 19 juillet. Ces meetings étaient souvent organisés avec la C.N.T.F., mais aussi avec le S.I.A. (Solidarité Internationale Antifasciste) qui se confond d’ailleurs très souvent avec la C.N.T.E. en exil. Ces meetings étaient surtout l’occasion pour les espagnols de se retrouver : ils pouvaient rassembler entre quatre et cinq mille personnes. Elle publiait également deux hebdomadaires : CNT à Toulouse et Solidaridad obrera (solidarité ouvrière) à Paris. Mais, fin 1961, dans le cadre des relations diplomatiques avec l’Espagne, le gouvernement gaulliste interdit les deux organes. La C.N.T.F. met alors à la disposition des exilés à Paris son journal, le Combat Syndicaliste [19], qu’elle publie avec difficulté. Le Combat syndicaliste devient hebdomadaire, mais ne comptant qu’une page sur quatre en français pour éviter la censure, le journal demeure quasiment invendable et la C.N.T. parvient mal à diffuser ses idées anarcho-syndicalistes. La C.N.T.F. perdit alors complètement le contrôle du journal. En effet, si le Combat syndicaliste était officiellement l’organe de la C.N.T.F., il était entièrement financé et administré par les Espagnols [20]. A l’inverse, à Toulouse, la C.N.T.E. fonde l’hebdomadaire Espoir [21] en collaboration avec la C.N.T.F. Espoir était officiellement l’“organe de la 6ème U.R.”. Ce journal dispose de deux pages en français sur huit. Mais ces deux pages sont le plus souvent consacrées à la question ibérique. Espoir était administré par Fédérica Montsény et Germinal Esgléas, les deux leaders de la C.N.T.E. en exil. Dans le Combat syndicaliste, il est écrit : “[…] Dans l’actuelle décadence de la C.N.T. française, nous exilés espagnols de la C.N.T. et de l’anarchisme ibérique, ne sommes pas exempts de toute responsabilité. Nous avons le devoir moral d’appuyer nos camarades de la C.N.T. française à tout moment. La fortifier, c’est nous aider nous-mêmes […]. Pour la C.N.T. française, la façon la plus effective, c’est de s’affilier à elle. 500, 1000 affiliés en plus, seraient pour elle en ce moment, un précieux concours. N’hésitons pas camarades. […]” [22]. En revanche dans Espoir l’explication est toute autre, puisque c’est la C.N.T.F. qui se montre solidaire avec la C.N.T.E. : “[…] Fidèles à notre sentiment de solidarité envers tous ceux qui sont exploités, envers tous nos camarades d’idéologie, nous ouvrons ces pages à ceux qui en ont le plus besoin en ce moment : nos camarades espagnols, réfugiés en France, privés de tout moyen d’expression.[…] « Espoir » veut être, aussi, ce que son nom indique : l’espoir d’un retour prochain à une Espagne libérée […].” [23]. Si donner son organe confédéral se veut un signe de solidarité, cela révèle aussi la faiblesse de l’organisation.

Cependant, à partir de la fin des années soixante et jusqu’à la mort de Franco en 1975, la solidarité avec les Espagnols revêt une nouvelle forme, puisque certains militants de la C.N.T.F. s’engagent physiquement dans la lutte anti-franquiste [24]. De 1968 à 1975, la C.N.T.E. de l’intérieur et plus exactement la F.A.I. (Fédération Anarchiste Ibérique), qui sont donc clandestines, constituent un réseau en France avec des français de la C.N.T.F. ayant des origines espagnoles, afin de renforcer la structure clandestine en Espagne. Ce réseau était surtout actif dans le Sud-ouest. Profitant de l’expérience de quarante années de clandestinité, les responsables de la C.N.T.E. et de la F.A.I. faisaient en sorte que chaque personne qui participait à une action connaisse le moins possible les autres militants impliqués. Pour une action, un militant n’était en contact qu’avec deux ou trois personnes. Il s’agissait le plus souvent de passer de l’argent, du matériel de propagande, des papiers confédéraux et internationaux. En d’autres termes, ils faisaient les porteurs de valises. La région du Sud-ouest servant de base arrière, l’hébergement des espagnols clandestins était également fréquent. Plus rarement, les militants français étaient chargés de passer des armes ou de séjourner quelque mois en Espagne pour renforcer un syndicat. Ces actions clandestines ne concernaient cependant que très peu de militants français. Elles prennent fin en 1975 avec la mort de Franco, à partir de laquelle les deux C.N.T. deviennent totalement indépendantes.

Si la solidarité avec les Espagnols était légitime, elle a certainement détourné la C.N.T. de son premier objectif, le développement du syndicalisme. Le sectarisme de la C.N.T. qui s’est traduit par des exclusions mais aussi par des départs, auquel il faut ajouter la lutte anti-franquiste, ont eu pour résultat de transformer l’organisation en coquille vide. Comme exemple de ce laminage qu’a connu la C.N.T. dans les années cinquante et soixante, les effectifs du S.U.B. de Lyon n’ont cessés de décroître de témoigne de 1948 à 1960 de 137 à 4.

Si la C.N.T. perd sa base syndicale, elle voit également dans les années soixante son noyau de militants rétrécir. En effet, en 1964, l’U.L. de Lyon ne compte que 22 adhérents. Ces effectifs décroissent à 14 en 1965, 8 en 1966 pour enfin tomber à 3 en 1967 [25]. La C.N.T. de Lyon, à la veille de mai 68 n’a donc ni syndicat, ni base militante. La situation lyonnaise n’est pas une exception, elle peut être généralisée à la C.N.T. tout entière. A Toulouse, on ne compte que 3 adhérents et une vingtaine à Paris.

La C.N.T. n’est donc plus une centrale syndicale, mais un groupe de quelques militants qui restent fidèles à une certaine pureté anarcho-syndicaliste. Ainsi, à la veille de mai 1968, la C.N.T. est complètement résiduelle et, condamnée à rester dans l’expectative, elle ne peut évidemment pas peser sur les évènements.

3- Les impacts de mai 68 sur la C.N.T. : fin de la première C.N.T. (1968-1973)

A la veille de mai 1968, la C.N.T. ne dispose d’un noyau de militants que dans quelques villes : Paris, Toulouse, Perpignan, Bordeaux, Lyon et Marseille. Dans d’autres villes elle existe, mais ne présente qu’un ou deux militants isolés et n’a donc aucune consistance. Le nombre d’adhérents est de quelques dizaines [26] sur l’ensemble de la France. Elle n’a donc aucune activité réelle -sinon la participation aux manifestations- et se limite à observer et analyser les évènements.

a) Point de vue de la C.N.T. sur les évènements [27]

A Paris et à Marseille, il existait avant les évènements de mai un groupe de jeunes qui avaient constitué les J.S.R. (Jeunesses Syndicalistes Révolutionnaires). Ces jeunes, bien qu’ils redonnent une dynamique à la C.N.T., trouvent l’hostilité des vieux militants, le plus souvent d’origine espagnole et tournés vers l’anti-franquisme. Or les J.S.R. désirent réorienter la C.N.T. vers le syndicalisme. Constituées d’étudiants mais aussi de jeunes travailleurs, elles mettent en avant leur position de classe. En janvier 1968, les J.S.R. éditent un numéro spécial du Combat syndicaliste intitulé “Les jeunes face à la société néo-capitaliste” : “[…] Ceci dit, il apparaît qu’à l’heure actuelle les seuls individus pouvant poursuivre dans des conditions valables leurs études sont les représentants – jeunes, bien sûr, mais représentants tout de même- d’une seule classe : la bourgeoisie. […]. Mais direz-vous, il y a tout de même au sein de l’université ces quelques fils d’ouvriers et d’employés ainsi qu’un certain nombre d’étudiants salariés, et c’est pour eux que nous devons éviter la sélection et le contrôle d’assiduité. Bien sûr, ils existent. Mais qui sont-ils ? Une minorité d’individus qui s’accrochent, qui cherchent, en dernière analyse, à « resquiller », à monter dans un wagon marqué « réservé », à grimper dans la pyramide sociale, à passer d’une classe dans l’autre et, bien souvent, à renier leurs origines prolétariennes et à abandonner la lutte de leur propre classe d’origine.[…]”.

Cette analyse du monde étudiant en terme de classes, donc majoritairement constitué de “bourgeois”, explique le scepticisme de la C.N.T. à l’égard d’une agitation jugée superficielle ou petite-bourgeoise : “En France, le bavard universitaire est presque une tradition moyenâgeuse, mais les étudiants, même quand ils sont communistes […] n’ont jamais renoncé aux privilèges futurs de situations avantageusement rémunérées. Leur rébellion, si généreuse soit-elle, n’est qu’un feu de paille […]”.

Fidèles au syndicalisme révolutionnaire, pour eux le changement social ne peut venir de ce monde étudiant, mais uniquement du monde du travail, là où s’exprime la lutte des classes. Cette foi à l’égard des travailleurs se retrouve dans le Combat syndicaliste du 22 février 1968 avec un article intitulé “la poussée révolutionnaire des travailleurs va en s’amplifiant”. Pour la C.N.T., les différents affrontements qui ont eu lieu entre les travailleurs et les forces de l’ordre en janvier 1968 [28], annonceraient une possible crise révolutionnaire.

Mais l’attitude de la C.N.T. à l’égard du milieu étudiant change complètement à partir de la mi-mai : “Nous saluons votre lutte contre la sclérose et la routine bourgeoise des universités […]. Face à la répression de l’État, à la démagogie des partis politiques et à la carence des organismes officiels pour résoudre les problèmes agissants qui se posent à la jeunesse, tous les travailleurs doivent s’associer à l’action des jeunesses estudiantines […]” [29]. Elle considère les étudiants comme le possible élément déclencheur de la marche vers la révolution sociale. Ce changement de position s’opère à la mi-mai, après les violents affrontements survenus lors de la “nuit des barricades” du 12 mai. La violence est en effet un indicateur de la poussée révolutionnaire. Si la C.N.T. parle de “la poussée révolutionnaire des travailleurs” dans le Combat syndicaliste du 22 février 1968, c’est parce qu’à ses yeux, la violence témoignerait du caractère révolutionnaire d’un mouvement : “[…] les premiers heurts violents avec les forces de l’ordre, loin d’effrayer les travailleurs, leur permettent de prendre la mesure de leur force et d’accroître leur confiance en la force collective qu’ils représentent. […]. Lorsque les organisations syndicales réformistes organisent des manifestations monstres mais pacifiques, les travailleurs n’en retirent aucune expérience valable, précisément parce que ces manifestations ne sont que des « démonstrations » et qu’elles ne permettent en aucune façon aux travailleurs de mesurer leur puissance d’action directe […]” [30].

Autre facteur qui explique le retournement de la C.N.T., c’est la manifestation du 13 mai. Cette manifestation dont un des objectifs était la jonction avec le monde ouvrier serait l’expression d’une conscience de classe et par conséquent légitimerait le mouvement étudiant. Dès lors, le milieu étudiant et universitaire en général cesse d’être perçu comme un milieu bourgeois : “C’est ici que la liaison étudiants-ouvriers est nécessaire. Les étudiants et les ouvriers ne doivent pas avoir leurs actions séparées. C’est dans la même lutte contre l’exploiteur qu’ils doivent être unis” [31]. Puisque les étudiants sont du même côté que les travailleurs, c’est à dire contre “l’exploiteur”, c’est qu’ils ont les mêmes intérêts que la classe ouvrière, d’où l’indispensable unité entre ces deux groupes sociaux que finalement rien ne distingue. Ce qui peut enfin expliquer cette nouvelle sympathie pour le milieu étudiant, c’est la réactualisation des thèmes d’autogestion, d’action directe et de démocratie directe, thèmes que l’on retrouve dans l’anarcho-syndicalisme dont la C.N.T. s’estime être l’héritière et l’unique représentante.

Alors que le mouvement s’épuise au début du mois de juin, la C.N.T. reproche aux grandes centrales syndicales de l’avoir cassé : “[…] La trahison des syndicats inféodés au pouvoir a permis de saboter la révolution de mai 68.[…]” [32]. Elle leur reproche d’avoir détourné la lutte des travailleurs en l’orientant vers la négociation et ce qu’elle appelle les “tripatouillages de Grenelle”. Le rôle contre-révolutionnaire de ces centrales syndicales légitime la critique que la C.N.T. n’a cessé d’adresser aux anarchistes adhérents à ces mêmes centrales. La C.N.T. attribue donc une part de responsabilité dans l’échec du mouvement à ces mêmes anarchistes.

Toujours dans cette logique de refus de compromission avec les centrales « réformistes », la C.N.T. refusa de participer à la tentative de création d’un pôle anarcho-syndicaliste. Cette tentative a été initiée par l’U.A.S. (l’Union Anarcho-Syndicaliste) [33] qui invita à une réunion en novembre 1968 toutes les composantes du mouvement anarchiste, auxquelles il faut ajouter selon Roland Biard l’Union des Syndicalistes. Cette initiative ne se concrétisa officiellement qu’en juin 1969 avec la création de l’A.S.R.A.S. (Alliance Syndicaliste Révolutionnaire et Anarcho-syndicaliste) [34]. L’A.S.R.A.S. rencontra dès ses débuts, et même avant sa création officielle, l’hostilité de la C.N.T. pour qui il est vain de chercher à impulser une dynamique syndicaliste révolutionnaire au sein des centrales syndicales traditionnelles. L’échec du mouvement de mai 68 qui n’a pu déboucher sur une révolution sociale est une confirmation pour la C.N.T. de la véracité de sa thèse.

La C.N.T. conserve donc la même conviction depuis sa création, à savoir que l’esprit du syndicalisme révolutionnaire et de l’anarcho-syndicalisme ne peut exister en dehors d’elle. Le bilan que la C.N.T. tire par ailleurs du mouvement de mai 68 se nourrit à la fois de déception et d’idéalisme. Un des facteurs de cet échec c’est, selon elle, la difficulté des travailleurs à se détacher des “pseudos syndicalistes qui dirigent les forces ouvrières sur les voies de garage”. Les travailleurs seraient donc “bernés”, “inconscients”, “voués à l’esclavage et à la soumission” [35]. Il est frappant comme cette déception contraste avec l’idéalisation des travailleurs qui se dégageait du le Combat Syndicaliste du 22 février 1968. Cependant, si certaines déclarations peuvent laisser croire le contraire, la C.N.T. continue d’idéaliser les travailleurs : “[…] les travailleurs voient aujourd’hui d’autres horizons qu’un « gouvernement populaire » ; ils pensent à une nouvelle construction économique et sociale qui mènera la révolution vers l’égalité économique et la vraie liberté” [36]. C’est donc bien une déception et un idéalisme, très éloigné de la réalité, qui coexistent et s’opposent dans la vision que la C.N.T. a des travailleurs. Son état résiduel, groupusculaire peut expliquer une telle analyse du mouvement dans la mesure où elle était totalement détachée des masses pendant les évènements. Mais son discours contre les organisations traditionnelles et la réactualisation des thèmes anarcho-syndicalistes amenèrent, malgré sa quasi-inactivité, une nouvelle génération de militants à la C.N.T.

b) Une nouvelle jeunesse pour la C.N.T. ?

L’élan que suscita mai 68 chez les jeunes provoqua une augmentation des adhésions. La C.N.T. de la région parisienne aurait connu entre 150 et 200 adhérents au lendemain de mai 68, alors qu’elle n’était constituée que d’une vingtaine d’adhérents à la veille du mouvement [37]. Ce phénomène s’observe également à Lyon où la C.N.T. compte une trentaine d’adhérents contre 3 en 1967 [38]. Ces nouveaux adhérents, pour la plupart des jeunes qui ne sont pas issus du milieu ouvrier, renforcent la structure des J.S.R. qui demeurait squelettique et se limitait à Paris et Marseille. Ce renforcement des J.S.R. se traduisit notamment par la publication d’un journal, Action directe (numéro 1, novembre 1968) [39]. Les J.S.R. représentaient un espoir pour la C.N.T., capable de redonner une dynamique à l’organisation et de la sortir de sa longue léthargie. Espoir aussi, parce qu’elles résolvaient le problème de la relève des vieux militants.

Le congrès constitutif des J.S.R. eut lieu à Tassin la Demi-Lune (Rhône), les 1er et 2 novembre 1969. Elles se transforment alors en J.A.S. (Jeunesses Anarcho-Syndicalistes). Si l’objectif de la création des J.A.S. était de se dégager de la tutelle de la C.N.T., elles constituent néanmoins un point de liaison entre le monde étudiant et la C.N.T. jusqu’alors étrangers l’un à l’autre. C’est cet objectif que s’assigne les J.A.S. dans la résolution votée lors de leur congrès constitutif : “Les J.A.S. sont la jeunesse de la C.N.T., leur but est de regrouper tous les jeunes travailleurs et étudiants qui acceptent les principes, tactiques et buts de la C.N.T.” [40].

Le principal travail des J.A.S. dans le milieu étudiant consistait dans un premier temps à concurrencer l’U.N.E.F. mais aussi les différents groupuscules trotskistes et maoïstes en avançant notamment des mots d’ordre d’autonomie et d’autogestion des facultés. Pour les quelques jeunes des J.A.S. qui travaillaient, il s’agissait de constituer des “comités Combat-syndicaliste”. Un comité combat-syndicaliste était un noyau de militants chargés de vendre le Combat syndicaliste. Cette vente devait permettre de diffuser la propagande cénétiste pour recruter de nouveaux militants. Le Combat syndicaliste était considéré comme l’instrument permettant de s’implanter en milieu ouvrier. Les J.A.S. devaient donc être d’une certaine manière la concrétisation de l’idée selon laquelle rien ne distingue les étudiants et les ouvriers unis “contre l’exploiteur”. Cette expérience des J.A.S. se solda en fin de compte par un échec. Son existence éphémère, un an, fait d’elle une des multiples composantes de l’effervescence gauchiste de l’après mai 68. La C.N.T. n’a pas pu bénéficier de l’élan soixante-huitard sur le long terme, et cet élan a même eu une part négative pour l’organisation. L’esprit des jeunes militants était étranger à celui de la C.N.T. Cette dernière connaît un véritable choc de culture entre des jeunes teintés du modèle « jouir sans entrave » et des militants plus anciens et de culture ouvrière. La culture ouvrière de ces vieux militants qui étaient le plus souvent d’origine espagnole et étrangers à l’esprit soixante-huitard, se caractérise notamment par la valeur du travail [41].

Ce conflit de génération entre des vieux militants dont la moyenne d’âge est supérieure à cinquante ans et les jeunes se traduit lors du quatorzième congrès confédéral à Toulouse en 1971, par un flot d’insultes entre les deux parties. Le bulletin intérieur de février 1975 décrit d’ailleurs ce congrès comme “un des plus turbulents”. Lassés, les vieux militants quittent alors la C.N.T. On peut noter le départ lors de ce congrès de Joseph Soriano qui avait été secrétaire confédéral entre 1963 et 1967. Toulouse est la seule ville qui échappe à cette rupture. Le nouveau bureau confédéral n’était alors constitué que de jeunes qui, n’étant pas vraiment des militants anarcho-syndicalistes, abandonnent leurs responsabilités. La C.N.T. voit alors -entre 1971 et 1973- sa structure s’effondrer.

Les jeunes qui étaient venus à la C.N.T. au lendemain de mai 68 soit cessèrent de militer, soit se tournèrent pour quelques-uns vers les communautés libertaires. Ce phénomène est surtout visible dans le sud-ouest. Dans le compte-rendu du congrès de la 6ème U.R. tenu à Narbonne le 15 novembre 1972, on peut lire ceci : “Gros problèmes à Narbonne car les jeunes qui s’étaient groupés à la C.N.T. et autour de l’équipe existante, ont créé une communauté laissant ainsi un grand vide et reposant le problème de la relève des anciens responsables”. Des liens existaient en effet entre les communautés libertaires du sud-ouest et la C.N.T. [42]. Les fondateurs de ces communautés étaient parfois des militants de la C.N.T. C’est notamment le cas de Pierre Méric, adhérent de la C.N.T. de Marseille qui participa à la création de la communauté de Villeneuve-du-Bosc (Ariège), ou bien encore de Paul Gérard et Alain Rous, tous deux adhérents de la C.N.T. de Paris qui fondent en 1971 la communauté du “Llech” puis celle des “Caroneras” dans les Pyrénées Orientales. Les communautaires du Llech vendaient d’ailleurs le Combat syndicaliste et participaient aux activités de la C.N.T. de Perpignan. Mais ces communautés ne pouvaient en rien servir au développement de la C.N.T.

La désagrégation que la C.N.T. connaît depuis les années cinquante aboutit ainsi à la mort de ce que l’on peut appeler la première C.N.T. dont l’existence s’étale de 1946 à 1973. L’état de la C.N.T., après ce feu de paille qu’a été l’après mai 68, est encore pire qu’auparavant. On peut lire dans le bulletin intérieur de février 1975 un passage commentant cette période : “[…] A l’euphorie de mai 68, succédait la débandade. Sans lien entre elles, les structures de l’organisation se désagrégeaient rapidement”. L’élan de mai 68 aurait bien pu mettre fin à la C.N.T.

Complètement déstructurée, vidée, au moment du congrès de 1973, elle compte moins d’une cinquantaine de militants sur toute la France. Le congrès de 1973 qui se tient à Paris où une vingtaine de congressistes sont réunis, correspond plus à l’assemblée générale de tous les militants de la C.N.T. Alors que ce congrès aurait pu aboutir à la dissolution de la C.N.T., la vingtaine de congressistes décida tout de même de relancer l’organisation. Étant donné sa décomposition et sa déliquescence, et dans la mesure où c’est une nouvelle génération de militants qui prend les commandes, c’est bien une nouvelle C.N.T. qu’il s’agit de reconstituer.

NOTES

[1] Témoignage d’un militant de la C.N.T., rédigé en 1975. Ce témoignage fait six pages et est signé J.L. Si cette estimation témoigne d’un affaiblissement de l’organisation, je n’ai pu vérifier si elle est exacte.

[2] Circulaire confédérale N°2, le 27 février 1957.

[3] Bulletin de la 2ème U.R., n°3, 15 mai 1957. Leur exclusion a été votée par 14 voix pour, 2 abstentions et 4 contre. Il faut également noter que seulement vingt syndicats étaient représentés à ce congrès.

[4] Ibid. A cette liste, il faut ajouter les autres membres de la C.A. : R. Lambert, M. Bouyé, H. Munoz, F.Molina, Derache, Brives (ancien trésorier adjoint entre 1950 et 1952) et Trouillier.

[5] Compte-rendu du 9ème congrès confédéral.

[6] Une frange du mouvement anarchiste a toujours été influencée par Errico Malatesta qui au début du vingtième siècle s’opposait à Pierre Monatte sur la question syndicale. Anarchisme et syndicalisme. Le congrès anarchiste international d’Amsterdam (1907). Editions Nautilus et éditions du Monde Libertaire, 1997. 231 p.

[7] Le Combat syndicaliste, n°430, 1er décembre 1966.

[8] N’ayant pu consulter aucun numéro, nous ignorons le nombre de numéro publié et le contenu de ce journal.

[9] BIARD Roland. Histoire du mouvement anarchiste. 1945-1975. Editions Galilée, 1976. p. 126.

[10] Le Combat Syndicaliste, n°147.

[11]

[12] Pour distinguer les deux C.N.T., nous parlerons de la C.N.T.F. pour la C.N.T. française et de la C.N.T.E. pour la C.N.T. espagnole. Cette manière de distinguer les deux C.N.T. était celle utilisée par les militants.

[13] De ce fait, cette difficulté rend l’évaluation des effectifs de la C.N.T.F. encore plus difficile.

[14] Il s’agit de Joseph Vincent, d’Alexandre Mirande (Miranda), Nammes et Jammes. Dans le sud-ouest, le poids des espagnols était certainement plus important qu’ailleurs en France.

[15] La participation de la C.N.T. de l’intérieur au gouvernement de la république en exil formé à Mexico le 10 janvier 1945 avait conduit à la scission avec la C.N.T. en exil, majoritaire, lors du Comité national du M.L.E.-C.N.T. (Mouvement Libertaire Espagnol). L’anarcho-syndicalisme espagnol se réunifia lors du deuxième congrès intercontinental de la C.N.T.E. en exil, à Limoges les 31 août et 1er septembre 1961.

[16] Le 4 rue de Belfort est encore le local des espagnols de Toulouse.

[17] DOMERGUE Lucienne (sous la direction de). L’exil des Républicains espagnols à Toulouse. 1939-1999. Presses Universitaires du Mirail, 1999. pp 97-120.

[18] Certains continueront l’action directe, notamment le groupe de Francisco Sabaté qui est tué par la police le 5 janvier 1960. SOLA TELLEZ Antonio. Sabaté. Guérilla urbaine en Espagne. 1945-1960. Ed. Repères-Siléna, 1990. 308 p.

[19] 1955 : 9 numéros ; 1956 : 8 numéros ; 1957 : 3 numéros ; 1958 : 4 numéros ; 1959 : 8 numéros ; 1960 et 1961 : 7 numéros.

[20] Il faut noter à ce sujet que les différents administrateurs français du Combat syndicaliste à partir de 1962 n’ont d’utilité que sur le plan juridique, pour que le pouvoir ne puisse pas censurer le journal qui est officieusement celui de la C.N.T.E. en exil.

[21] Le titre « Espoir » est un clin d’œil provocateur à André Malraux, alors ministre de la culture de de Gaule, par rapport à son livre sur la guerre d’Espagne intitulé Espoir.

[22] Le Combat syndicaliste, n°172, décembre 1961

[23] Espoir, n°1, 7 janvier 1962.

[24] Témoignage d’un militant de la C.N.T.F. Ce militant ignorait cependant si, avant la fin des années soixante, des militants français se sont engagés physiquement dans cette résistance.

[25] ASTIER Eric. Le mouvement libertaire à Lyon, 1964-1974. Mémoire de maîtrise, sous la direction de Xavier de Monclos. Université de Lyon II. 1990. p. 116.

[26] Nous ne comptons pas ici les adhésions espagnoles.

[27] Voir la maîtrise de DAVID Bruno. Le mouvement anarchiste en mai-juin 1968. Mémoire de maîtrise, sous la direction de Antoine Prost et de Danièle Tartakowsky. Université de Paris I, 1988. 226 p. ; et la brochure éditée par la C.N.T. : La C.N.T. en mai 68. s.d., 22 p.

[28] Des affrontements entre des manifestants (des ouvriers en grève) et les C.R.S. ont en effet eu lieu entre autre à Nantes, le 20 janvier, à Caen, les 24 et 27 janvier, à Angers, le 27 janvier.

[29] Le Combat syndicaliste, n° 504, 16 mai 1968.

[30] Notons que cette conception de la force collective des travailleurs qui doit se manifester par la violence et s’opposer à la « démonstration » est très proche de la théorie des marxistes (aussi bien chez Kautsky que chez Lénine) selon laquelle la politique est l’analyse des rapports de forces qui se traduisent par l’affrontement de la force des travailleurs contre la violence de l’État. C’est l’affrontement des forces qui tendent à leur destruction. La différence repose ici sur la nécessité du parti qui est pour les marxistes le multiplicateur de cette force.

[31] Le Combat syndicaliste, n°507, 20 juin 1968.

[32] Le Combat syndicaliste, n°515, 22 août 1968.

[33] L’U.A.S. est menée par Alexandre Hébert. Ses militants adhèrent en grande partie à F.O. Elle est surtout dynamique dans la région nantaise. Aujourd’hui l’U.A.S. représente la tendance anarcho-syndicaliste du Parti des Travailleurs.

[34] L’A.S.R.A.S. devient en janvier 1970 l’Alliance syndicaliste. Une tentative similaire eut lieu également en 1978 avec la constitution de la Coordination nationale des anarcho-syndicalistes. La C.N.T. participa dans certaines villes à la C.N.A.S., mais s’en écarta très vite pour les mêmes raisons.

[35] Le Combat syndicaliste, n°515, 22 août 968.

[36] Le Combat syndicaliste, n°513, 7 août 1968.

[37] D’après le témoignage d’un militant de la région parisienne.

[38] ASTIER Eric. Le mouvement libertaire à Lyon, 1964-1974. Mémoire de maîtrise, sous la direction de Xavier de Monclos. Université de Lyon II, 1990. Pp 115-124.

[39] Nous ignorons le nombre de numéros parus. Nous n’avons pu consulter que ce premier numéro.

[40] Compte-rendu du congrès constitutif des J.A.S. Ibid.

[41] Une des caractéristiques de cette culture était par exemple d’être correctement habillé avec le port de la cravate lors des réunions.

[42] SARBONI Edward. Des communautés libertaires de 1968 à 1978, dans le sud-ouest. Mémoire de maîtrise, sous la direction de Jean Sagnes, Université de Perpignan, 1993.

Histoire de la CNT de 1945 à 1950 (1ère partie)

Article CNT-AIT 2006

UNE COURTE APOGÉE (1945 – ANNÉES 1950)

jeudi 19 octobre 2006

Nous verrons dans cette première partie comment la C.N.T., après sa constitution, connaît une rapide apogée. Elle fut écourtée par des problèmes théoriques et pratiques qui divisèrent la C.N.T. Ces divisions affaiblirent fortement l’organisation et la plongèrent dans un isolement dont elle n’est pas parvenu à sortir.

1- Des débuts prometteurs (1945-1949)

a) Les anarcho-syndicalistes dans la C.G.T. (1945-mai 1946)

Au sortir de la deuxième guerre mondiale, les anarcho-syndicalistes étaient entrés à la C.G.T. Les anciens adhérents à la C.G.T.-S.R., qui avait cessé d’exister pendant le conflit [1], dans un appel daté du 15 septembre 1944 adressé aux syndicalistes révolutionnaires, demandèrent en effet “de faire, tous, l’Unité Syndicale, complète, totale, absolue, qui nous donnera dans ce pays une seule Centrale Syndicale : la C.G.T. ; dans le monde une seule Internationale dont peu importe son titre.” [2]. Ainsi, plutôt que de faire renaître une C.G.T.S.R., ses anciens adhérents ont préféré former la Fédération Syndicaliste Française (F.S.F.) afin de regrouper tous les syndicalistes révolutionnaires au sein de la C.G.T. Ils créèrent en même temps un journal, L’Action syndicaliste. Outre les anciens de la C.G.T.S.R., la F.S.F. était composée de jeunes issus de la résistance, tel que Raymond Beaulaton, ou bien encore d’espagnols en exil en France. L’importance de cette F.S.F. en terme d’adhérents est difficile à évaluer. Selon Aimé Capelle [3], on pouvait compter environ 2000 adhérents rien que sur Paris. Toujours selon Capelle, la F.S.F. aurait surtout été constituée par “les copains des métaux”, et dans une moindre mesure par “les copains du bâtiment” qui avaient reconstitué le S.U.B. (Syndicat Unifié du Bâtiment, principal syndicat de la C.G.T.S.R.). Des sections F.S.F. se sont constituées à Paris, Bordeaux, Toulouse, Lyon, Marseille, Lille, Saint-Nazaire. Une toute autre estimation de la F.S.F. est donnée par l’union locale de la C.N.T. de Bordeaux en novembre 1947 : “La F.S.F. n’eut pas grand succès. Elle ne groupa jamais plus de quelques centaines d’adhérents, -presque tous anciens de la C.G.T.S.R.- et surtout elle n’eut aucune influence dans la C.G.T.”. On peut ainsi affirmer que la F.S.F. n’eut aucun poids au sein de la C.G.T., bien qu’il soit difficile d’évaluer précisément ses effectifs. Si la F.S.F. semble être une tendance de la C.G.T., ses statuts sont assez flous et même proches de ceux d’une centrale : “Article premier. -La Fédération Syndicaliste est organisée sur la base de groupes locaux intersyndicaux, ou, à défaut, de groupes régionaux. Dès que le nombre de leurs membres le permet, les groupes doivent constituer des sections industrielles qui, elles-même, devront s’appuyer sur des sections d’ateliers, chantiers ou bureaux.” [4]. D’après cet article, il est donc possible de constituer dans une entreprise une section F.S.F. à côté d’une section C.G.T. L’article 2 montre également que la F.S.F. se présente comme une organisation à part entière plus que comme une tendance de la C.G.T. : “Article 2. -Les adhérents des groupes peuvent être membres d’une Centrale Syndicale non adhérente à l’A.I.T.[…]”. Or, la F.S.F. est la seule section française de l’A.I.T. (selon les statuts de l’A.I.T., il ne peut y avoir qu’une seule section par pays). Elle se présente comme une organisation syndicale tout en autorisant ses membres à adhérer à une autre centrale. Elle ne s’affirme donc pas comme une tendance organisée de la C.G.T., bien qu’elle n’existe qu’au sein de cette dernière. L’objectif de la F.S.F. au sein de la C.G.T. n’était autre que de s’opposer à sa direction, et de diffuser les idées syndicalistes révolutionnaires. L’article fondamental des statuts de la F.S.F. présente un condensé du syndicalisme révolutionnaire. Apparaissent les thèmes de “suppression du patronat, d’abolition du salariat et la disparition de l’État”. Elle vise l’instauration d’une société basée sur le “communisme libre”. Il paraît d’ailleurs plus judicieux de parler d’anarcho-syndicalisme plutôt que de syndicalisme révolutionnaire. A la lecture des statuts, il est peu probable que la F.S.F. ait pu recruter les syndicalistes révolutionnaires regroupés autour de la revue Révolution prolétarienne. La F.S.F. affirme clairement son opposition aux partis politiques : “Son action se déroule en dehors de celle de tous partis politiques et en opposition avec ceux-ci” (article fondamental). Il est également ajouté qu’“en aucune façon, ils (les adhérents de la F.S.F.) ne peuvent être membres de partis politiques” (article 2).

Ces deux extraits montrent la nécessité de distinguer syndicalisme révolutionnaire et anarcho-syndicalisme (même si les anarcho-syndicalistes se désignent comme syndicalistes révolutionnaires). Pour les anarcho-syndicalistes, le syndicat se situe au-dessus du parti politique et s’oppose à ce dernier. En revanche, les syndicalistes révolutionnaires tels que Pierre Monatte estiment que le syndicat doit être indépendant du parti politique mais attribuent au parti un rôle révolutionnaire (cette distinction renvoie à l’opposition qui était apparue lors du congrès de la C.G.T.U. à Saint-Etienne en 1922, avec d’un côté la tendance anarcho-syndicaliste de Pierre Besnard et de l’autre la tendance syndicaliste révolutionnaire de Merrheim).

Pour diffuser ses idées anarcho-syndicalistes, la F.S.F. crée un périodique, l’Action syndicaliste (n°1, mars 1945). Dès le numéro 2 de l’Action syndicaliste (avril 1945) apparaît le thème de la “grève générale insurrectionnelle et expropriatrice”. En lisant l’organe de la F.S.F., on comprend très clairement que les anarcho-syndicalistes ont pour priorité de lutter contre les dirigeants de la C.G.T. accusés d’avoir trahi les principes du syndicalisme révolutionnaire, la lutte des classes et l’action directe. La F.S.F. s’opposa entre autres à la bataille de production encouragée par les dirigeants communistes de la C.G.T. Derrière cette opposition à la bataille de la production, apparaît l’opposition au thème d’intérêt général, contre lequel se battait déjà la C.G.T.-S.R. pendant l’entre deux guerres (pour les anarcho-syndicalistes, reconnaître l’existence d’un intérêt général revient à nier la lutte des classes). La F.S.F. s’insurgea à plusieurs reprises contre la modération revendicative de la direction cégétiste (présence des ministres communistes au gouvernement oblige). Elle soutint notamment la grève des rotativistes en janvier 1946 qui manifestaient un rejet de l’orientation confédérale. La F.S.F. protesta également face à la prise de position des dirigeants confédéraux lors des élections de 1945 : le soutien aux candidats de gauche était en effet considéré comme une trahison du principe de l’indépendance du syndicalisme à l’égard des partis politiques. Selon Roland Biard, les militants de la F.S.F. de Paris auraient rédigé un communiqué daté du 8 octobre 1945 appelant tous les syndicats et tous les syndiqués à s’insurger contre une telle attitude [5].

Parallèlement à cette F.S.F., les anarcho-syndicalistes ont contribué à la création des Comités de Défense Syndicalistes (C.D.S.). La F.S.F. ne pouvant recruter que des anarcho-syndicalistes compte-tenu de la rigidité de ses statuts, ceux-ci constituèrent ces C.D.S. avec l’aide d’autres tendances minoritaires de la C.G.T., notamment des trotskistes du P.C.I. (Parti Communiste Internationaliste, section française de la IVième internationale). Les C.D.S. étaient ouverts à tous ceux qui étaient opposés à la main-mise des communistes sur la C.G.T. Le secrétaire était Aimé Capelle (également à la F.S.F.). Selon son témoignage, des C.D.S. se seraient constitués à Toulouse, Marseille, Bordeaux, Angers et Lyon. Les C.D.S. publiaient un journal, la Bataille syndicaliste, faisant ainsi allusion à la C.G.T. d’avant 1914. Aimé Capelle avait également été nommé administrateur de la Bataille syndicaliste. Le contenu de ce journal était relativement proche de celui de l’Action syndicaliste, dans un souci de dénonciation de la direction cégétiste, et de défense du principe de l’indépendance du syndicalisme. Bien qu’ouvert à tous, ces C.D.S. semblent constitués principalement d’anarcho-syndicalistes de la F.S.F., deux postes de responsabilité étant attribués à un militant de la F.S.F., et la Bataille syndicaliste présentant de nombreux articles de Pierre Besnard. La prise en main de ces C.D.S. par les anarcho-syndicalistes se renforce d’autant plus qu’au début de novembre 1945, les trotskistes quittent ces comités. Cette rupture n’aurait pas eu lieu à propos de divergences idéologiques, mais de la question de l’adhésion ou non à ces C.D.S. de “camarades qui ne seraient pas de la C.G.T. ou la quitteraient” [6]. Les anarcho-syndicalistes, majoritaires, refusaient l’obligation pour les membres des C.D.S. de rester à la C.G.T. quoi qu’il arrive. Les trotskistes, mis en minorité, quittèrent alors ces C.D.S. pour se regrouper autour d’une publication mensuelle, Front Ouvrier [7].

Ainsi il existait deux organisations anarcho-syndicalistes au sein de la C.G.T. : la F.S.F., composée uniquement d’anarcho-syndicalistes, et les C.D.S. dominés par ces derniers. Leur travail d’opposition à la direction cégétiste fut brisée par la nette prédominance des communistes. C’est au congrès du congrès de la C.G.T. d’avril 1946 que la scission se montra inévitable. Lors de ce congrès on assista à un écrasement des minorités elles-mêmes divisées. Pour réduire ces minorités au silence, le bureau confédéral et la commission administrative de la C.G.T. ont imposé que seuls les syndicats d’au moins 5000 adhérents soient représentés directement au congrès. Les petits syndicats écartés seraient représentés indirectement par les grands. Ce sont les communistes qui détiennent la direction de ces grands syndicats. C’est donc avec une majorité d’environ 4/5 des voix que les communistes l’emportent à ce congrès. A la suite du congrès, l’Action syndicaliste du 1er mai 1946 reproche aux chefs de la minorité F.O., représentée par Léon Jouhaux, d’avoir accepté des postes de direction de la C.G.T. : “Ils ont placé leur souci de conserver leurs fonctions au-dessus de leurs convictions personnelles et de leur honneur de militants”.

Les nouveaux statuts votés lors de ce congrès mettent fin à la démocratie au sein de la C.G.T., mais également à son indépendance vis-à-vis du P.C.F. Pour la F.S.F., la C.G.T. “n’est plus qu’un instrument d’oppression économique, au service d’un parti et d’un gouvernement communo-socialiste.[…] Elle ne sera plus la C.G.T. défendant les droits des travailleurs, orientant son action vers les fins traditionnelles du syndicalisme”. Le titre de ce numéro d’Action syndicaliste résume à lui seul la pensée de la F.S.F. : “La C.G.T. est morte, la C.G.T.U. lui succède” [8]. Il devenait dès lors impossible pour les anarcho-syndicalistes de rester au sein de cette C.G.T.

L’unité syndicale dans la C.G.T., qui avait été souhaitée par les anciens de la C.G.T.S.R. dans leur appel du 15 septembre 1944, ne dura ainsi guère plus d’un an. Toujours dans ce même numéro, la F.S.F. annonce la conférence de mai pour constituer la C.N.T. Avant même qu’elle soit constituée, il est déjà décidé qu’elle adhérera à l’A.I.T., tout comme l’avait fait la F.S.F. [9]. Il faut cependant noter que cette décision de quitter la C.G.T. ne faisait pas l’unanimité parmi les membres de la F.S.F. Aimé Capelle, par exemple, était favorable au fait de rester à la C.G.T. pour ne pas briser l’unité syndicale, mais aussi parce que l’échec de la C.G.T.S.R. était encore présent dans les esprits [10].

b) La constitution de la C.N.T. (mai 1946- décembre 1946)

La conférence de mai, appelée par la commission administrative de la F.S.F., se déroula sur deux jours : le samedi 4 mai se tinrent les séances avec pour unique ordre du jour le problème syndical [11], et le 5 mai les C.D.S. organisaient une conférence à laquelle étaient conviés tous ceux qui voulaient défendre l’indépendance syndicale et la liberté du syndicalisme. Lors de cette conférence, il fut donc décidé de dissoudre les C.D.S. et la F.S.F. pour créer la C.N.T. Les participants à cette conférence écrivirent un “aux travailleurs français”. On retrouve dans ce manifeste la thématique anarcho-syndicaliste et la dénonciation de la C.G.T. On peut supposer que Pierre Besnard a participé à sa rédaction, ou du moins l’a fortement influencée [12], dans la mesure où il est question de créer “l’organisation de la Confédération générale des consommateurs”. Ce désir d’organiser les consommateurs en parallèle d’une organisation des producteurs, le syndicat, est en effet un des points essentiels de la théorie de Pierre Besnard. On peut noter aussi la large place qu’accorde ce manifeste à la solidarité pour “notre sœur, la Confédération Nationale du Travail d’Espagne, contrainte à l’exil par Franco.”

Le siège de la C.N.T. fut (potentiellement) le même que celui de la F.S.F., au 22, rue Sainte-Marthe dans le dixième arrondissement de Paris [13]. Il s’agissait d’un local prêté par Julien Toublet, un des fondateurs de la C.N.T. Dans l’attente du congrès constitutif qui devait se tenir les 7, 8 et 9 décembre 1946, l’activité de la commission administrative (C.A.) et du bureau confédéral (B.C.) consistait à faire connaître le plus largement possible la C.N.T. La C.A. se divisa en deux commissions : une commission de propagande composée de Aimé Capelle, Souchay, Jacquelin, Geuffroy, Dimanche, Marie Giraud et Eugène Juhel, et une commission d’organisation chargée d’établir une structure et de préparer le congrès. Frament, Snappe, Zwikel, Lentente, René Doussot et Julien Toublet [14] ont participé à cette commission. Si la naissance de la C.N.T. a été relativement bien relayée par la presse (publications de communiqués de presse ; Radio-Luxembourg informant de sa création à trois reprises ; venue “de nombreux journalistes français et étrangers” au siège de la C.N.T.), ce travail de propagande reste néanmoins limité en raison du manque de fonds. Le manifeste aux travailleurs français ne fut édité qu’à 1000 exemplaires, et seulement 60 000 tracts confédéraux ont été tirés, sans compter cependant les initiatives locales. L’Action syndicaliste parvient à être publié -difficilement- grâce aux fonds de la Bataille syndicaliste qui avait disparu après la dissolution des C.D.S. Le journal reçoit d’ailleurs en soutien de la part des syndicats et d’individus, entre mai et novembre 1946, plus de 58 300 francs dont une bonne partie provient des syndicats S.U.B. et métaux de Paris [15]. A ce matériel de propagande, il faut ajouter la propagande orale. Les membres du B.C. et de la C.A. tinrent en effet plusieurs réunions publiques dans la région parisienne ainsi qu’en province et dont le bilan fut positif. Les circulaires confédérales envoyées aux différents groupes témoignent d’un certain enthousiasme quant à l’avenir de la C.N.T. : “Notre C.N.T. rencontre un succès inespéré qui dépasse largement tous les espoirs que nous avions fondés. […] de toutes parts […] de tous les milieux affluent des demandes de renseignement ou d’adhésion”. [16] Selon Aimé Capelle, “il y avait la queue” devant le siège, “les gars venaient se renseigner”. Pour satisfaire cet “afflux”, la C.A. désigna deux permanents, Capelle et Juhel. Ce dernier fit aussi état dans son rapport du problème de pénurie de cartes confédérales du fait des nombreuses demandes d’adhésion. Si cet enthousiasme se retrouve dans les témoignages et les archives confédérales, il est cependant difficile de mesurer la réalité de ce succès. Un rapport rédigé par l’union locale de Bordeaux à l’occasion du congrès de 1949, contredit ce succès : “En mai 1946, la F.S.F. se déclare constituée en Confédération Nationale du Travail. Le fait passa à peu près inaperçu parce que la F.S.F. n’avait pas su prendre place dans la C.G.T.”. Cette remarque semble excessive tout comme pouvait l’être l’enthousiasme de la C.A. Il est en revanche certain que la naissance de la C.N.T. ait suscité un intérêt, une curiosité chez les travailleurs. En effet, le journal Force Ouvrière, de la tendance du même nom, du 23 mai 1946, relate cet intérêt des travailleurs pour la C.N.T. : “Certains de nos correspondants se sont émus de divers communiqués parus dans la presse et consacrant la naissance de la nouvelle centrale syndicale, la Confédération Nationale du Travail […]”.

Or si cet intérêt pour la C.N.T. fut réel et s’il y eut de nombreuses adhésions, il faut cependant noter que celles-ci étaient parfois des erreurs dues à un manque d’information sur ce qu’était la C.N.T. Aimé Capelle, dans son témoignage, affirmait à ce propos que certaines demandes d’adhésions venaient d’adhérents d’une C.N.T. qui avait existé avant la guerre et qui “était une organisation de jaunes”, ou bien encore des individus exclus de la C.G.T. pour avoir participé à la Charte du Travail sous Vichy. Ces syndicalistes n’adhérèrent bien entendu jamais à la C.N.T. et créèrent par la suite la Confédération du Travail Indépendante dont l’organe était Travail et Liberté.

Après sept mois d’organisation, de structuration, se déroule le congrès constitutif de la C.N.T. tenu à Paris, à la salle Susset dans le dixième arrondissement, les 7-8 et 9 décembre. Les différents rapporteurs pour ce congrès sont Eugène Juhel pour l’activité de la C.A. et du B.C., René Doussot pour la trésorerie, Pierre Besnard pour la “Charte du syndicalisme révolutionnaire” et l’A.I.T., Jacquelin pour les salaires et la durée du travail et enfin Bezard pour la question agraire. Le congrès est peu important en soi. Il ne fait qu’officialiser l’existence de la C.N.T. Il est cependant nécessaire de s’arrêter sur la Charte du syndicalisme révolutionnaire, dite “de Paris”, étant donné qu’elle définit l’orientation de la C.N.T., sa nature et ses rapports avec les autres organisations ouvrières. Cette Charte de Paris n’est en réalité qu’une copie conforme de la Charte de Lyon de la C.G.T.-S.R. [17]. Cette copie confirme l’idée que la C.N.T. n’est que la continuité de la C.G.T.S.R. Pour autant, dans cette charte, il n’est pas fait référence à la C.G.T.S.R. et à sa charte de Lyon mais à la charte d’Amiens. Si “la C.N.T. est la continuation de la C.G.T. de 1906” [18], c’est-à-dire qu’elle se réclame de la charte d’Amiens, la charte de Paris renforce néanmoins l’hostilité du syndicalisme à l’égard des partis politiques et ne se limite pas à la simple notion d’indépendance du syndicalisme. En outre, la C.N.T., qui se présente comme la seule véritable organisation révolutionnaire, refuse l’unité avec les autres organisations syndicales sur le terrain révolutionnaire : “[…] il est indéniable que toute conjugaison de ces mêmes forces pour une lutte révolutionnaire apparaît inutile et vaine en raison de l’opposition fondamentale des buts que se sont assignées les diverses factions du syndicalisme”. Elle reconnaît en revanche la possibilité de réunir les différentes organisations syndicales “dans une action corporative”, “sur le terrain de l’action quotidienne” ; autrement dit, la C.N.T. se prononce pour l’unité à la base, mais contre l’unité au sommet [19]. Autre point important de cette charte, c’est celui sur la “collaboration de classe” : “condamnant la “collaboration des classes” et le “syndicalisme d’intérêt général”, […], le Congrès précise que la collaboration des classes est caractérisée par le fait de participer, dans des organismes réunissant des représentants des ouvriers, des patrons ou de l’État, à l’étude en commun des problèmes économiques dont la solution apportée ne saurait que prolonger, en la renforçant, l’existence du régime actuel”.

Ce passage présente une sorte de consensus entre ceux qui sont pour les différentes élections professionnelles (délégués du personnel, comités d’entreprises) et ceux qui y sont opposés. Le fait de préciser “…à l’étude en commun des problèmes économiques…” permet ainsi aux partisans de ces élections de s’y présenter puisqu’elles sont censées défendre les travailleurs. Ce point de la charte limite par cette précision la collaboration de classes aux organismes tels que le Bureau International du Travail, ou aux discussions sur les conventions collectives nationales. Malgré la liberté laissée aux syndicats de se présenter à ces élections professionnelles, les organismes tels que les Comités d’entreprises sont condamnés.

En ce qui concerne l’organisation, déterminée par les statuts, la C.N.T. réunit les syndicats en congrès tous les deux ans. Pendant cette période, elle est administrée par une Commission administrative et par le Bureau confédéral qui s’occupe entre autres de la gestion du nouvel organe, le Combat Syndicaliste (n°1, avril 1947). Dans l’attente du congrès, les unions régionales et les fédérations se réunissent en comité confédéral national (C.C.N.). Ses statuts ont surtout un intérêt dans la mesure où ils rendent impossible une éventuelle prise de pouvoir au sein de l’organisation. Le Bureau Confédéral qui “est l’agent d’exécution et de liaison de la C.N.T.”, selon les statuts, ne peut en effet dépasser le rôle qui lui est attribué. S’il cherchait à imposer une quelconque ligne politique, “il peut être suspendu par un C.C.N.”. Ce C.C.N. consistant à réunir les Unions Régionales, un groupe qui chercherait à prendre le pouvoir devrait alors avoir conquis toutes les régions. La volonté de rendre impossible une prise de pouvoir est également affirmée par ce principe que “chaque Syndicat représenté au Congrès dispose d’une voix” quelque soit son nombre d’adhérents. Il ne suffit donc pas de conquérir les gros syndicats qui disposeraient de plusieurs voix pour avoir le pouvoir au sein de la C.N.T.

Pendant cette première année d’existence, la C.N.T. s’est consacrée principalement à son organisation, à sa structuration. Il faut attendre l’année suivante pour qu’elle connaisse une activité réellement syndicale, lui permettant de se développer.

c) Une croissance rapide (1947-1949)

Dès son congrès, la C.N.T. met en place une structure confédérale composée de sections d’entreprises, de fédérations, d’unions locales et d’unions régionales. Celles-ci montrent d’ailleurs que la C.N.T. est implantée sur tout le territoire national puisqu’elles sont au nombre de 22. Sur le plan géographique, la C.N.T. semble principalement implantée dans les régions parisienne, bordelaise et Midi-Pyrénées. Les soixante-trois syndicats représentés au deuxième congrès confédéral sont répartis sur trente-trois villes, dont treize dans le sud. A Paris, où la C.N.T. s’est le plus développé, on compte une douzaine de syndicats [20]. A ce même congrès, les principales villes après Paris, à savoir Bordeaux, Toulouse et Marseille comptent respectivement sept, cinq et quatre syndicats. Si dans quelques régions la C.N.T. connaît une solide implantation, son existence est en revanche éphémère dans certaines localités. Cela est parfois dû au fait que ces unions locales ont été créées par des exilés espagnols comme par exemple à Alger [21] et à Tours. Mais l’absence d’adhérents français a fait que ces espagnols ne purent continuer à animer seuls ces sections avec le risque d’expulsion.

Sur le plan professionnel, ce sont les secteurs des métaux, du bâtiment et des cheminots qui ont connu le plus grand développement. Toujours à ce congrès, sont représentés douze syndicats des métaux, dix du bâtiment et cinq de cheminots (les six de Paris étant considérés comme un). Ces trois secteurs ont d’ailleurs chacun leur presse. La Fédération des Travailleurs du Rail (F.T.R.) dispose du Rail enchaîné [22] (n°1, février 1947). Entre 1947 et 1949, Raymond Beaulaton est secrétaire de la F.T.R. et de l’I.T.R. (Internationale des Travailleurs du Rail, affiliée à l’A.I.T.). Selon Beaulaton [23], cette fédération aurait été la plus importante. Lors du conseil national de la F.T.R., le 16 mai 1948 à Paris, 110 syndicats sont représentés, chiffre qui serait encore inférieur à la réalité si l’on en croit le compte-rendu : “[…] s’étonne de ne voir que 110 syndicats représentés […]”. La fédération industrielle des métaux dispose quant à elle d’un organe trimestriel, C.N.T.-Métallurgie. En réalité, cet organe fédéral est soutenu par le syndicat industriel des métaux de la région parisienne (S.I.M.R.P.) qui est le principal syndicat de cette fédération. Le S.I.M.R.P. publie aussi un périodique, Action directe (n°1, avril 1947). Les secrétaires de cette fédération entre 1947 et 1950 sont successivement Jacquelin, Edouard Rotot et Rabret. Outre ces trois responsables, on peut également citer René Doussot, Le Bot et Maurice Joyeux qui appartiennent au conseil syndical des métaux. Enfin, la troisième fédération, celle du bâtiment, ne publie pas de journal confédéral. Seul le S.U.B. de Paris sort un bulletin, S.U.B., “mensuel du Syndicat Unifié du Bâtiment et des travaux publics de la région parisienne” (n°1, avril 1948). En 1950, ce journal n’est plus qu’un supplément du Combat syndicaliste. Si la C.N.T. a pu s’implanter dans certains secteurs professionnels, il faut préciser en revanche que de nombreux syndicats ne sont que des unions locales désignées comme telles ou comme intersyndicales et syndicats inter-corporatifs. Ces syndicats interprofessionnels sont au nombre de douze lors du congrès de 1948.

Cette implantation géographique et professionnelle ne permet pas pour autant d’évaluer les effectifs de la C.N.T. S’ils sont importants, il est en revanche excessif d’évaluer ses adhérents à 100 000 en 1947 et 200 000 pour 1948 [24]. Ces évaluations sont dues au “bluff” du bureau confédéral : “Le bureau confédéral est l’initiateur d’une politique de bluff […]. Exemple : le sous-secrétariat de l’A.I.T. […] a envoyé à l’A.I.T. un rapport officiel, dont JACQUELIN a reconnu être l’inspiration, et qui déclare officiellement que la C.N.T. dépasse 25000 adhérents pour la seule région parisienne. De tels procédés sont inacceptables et dangereux” [25]. Une autre évaluation, celle de Hamelet [26] semble plus réaliste : entre 45 000 et 125 000. Si les adhérents se comptent en milliers, il est probable que de nombreuses adhésions ne furent que passagères. Prenons l’exemple de la sixième U.R. (Midi-Pyrénées). Différents courriers ou compte-rendus de congrès régionaux témoignent de plusieurs milliers d’adhérents. En 1947, dans une lettre adressée à Mirande, secrétaire de cette U.R., l’U.L. de Carcassonne écrit ceci : “Cher camarade, comme suite à nos conférences tenues à Carcassonne, j’ai l’avantage de te demander 500 cartes […]. Veuille noter que ce chiffre est inférieur à nos effectifs et que nous comptons d’ores et déjà sur 3000 cartes pour 1947”.

Ces adhésions ne témoignent pas de convictions anarcho-syndicalistes, elles correspondent plus à un “feu de paille” et sont de courtes durées. Ces 3000 adhérents potentiels ne se retrouvent d’ailleurs pas l’année suivante. En effet, lors du troisième congrès de la 6ème U.R. tenu à Perpignan, le 19 décembre 1948, le rapport de la trésorerie fait état de 5400 cartes dont 4530 rien que pour le syndicat du bâtiment de Toulouse [27]. Ces deux indices montrent bien que les effectifs de la C.N.T. ne sont pas continus.

Les adhérents venus à la C.N.T. sont certainement des syndicalistes déçus par la C.G.T. Comme le note Xavier Frolan [28], “en 1946, un militant de gauche n’a le choix qu’entre deux organisations pour se syndiquer : la C.G.T.-de plus en plus prise en main par le P.C.- et la C.N.T. ! Tous ceux qui sont allergiques au P.C. […] ont tendance à rejoindre la C.N.T.”. Ces adhérents ne sont pas venus à la C.N.T. par adhésion aux idées anarcho-syndicalistes, mais par un anti-communisme d’une part, et d’autre part parce que la C.N.T. est la seule centrale à ne pas modérer ses revendications qui sont principalement le retour à la semaine des 40 heures dans un premier temps puis l’opposition à la prime au rendement et “attribution aux travailleurs d’un ravitaillement réellement vital”, propositions qui sont à cette période relativement bien reçues.

Ces nombreuses adhésions peuvent également trouver leur explication dans le climat social de 1947, année qui connut de nombreuses grèves auxquelles la C.N.T. a parfois participé. Les secteurs où l’on trouve des traces de la participation de la C.N.T. sont essentiellement ceux de la métallurgie et des cheminots. Dans la métallurgie, on peut noter les grèves aux usines U.N.I.C. en juin à Puteaux [29] (Hauts-de-Seine), mais surtout celle de la Régie Renault en avril. Selon un article du Mouvement social [30], la C.N.T. aurait été absente lors de cette grève. Elle se serait implantée à la R.N.U.R. seulement en novembre pour “faire un peu de publicité sur son syndicat”. L’auteur de cet article ne s’appuie que sur les archives de la R.N.U.R. qui témoignent en effet d’un dépôt de statuts pour créer un syndicat C.N.T. à la direction le 4 novembre par Rotot, secrétaire du S.I.M.R.P. Or dans Action directe de mai 1947 un article relate au contraire l’action de la C.N.T. pendant la grève d’avril. S’il n’existait pas en avril de syndicat C.N.T. en terme de statut à la R.N.U.R., les syndiqués C.N.T. travaillant dans cette usine ont en revanche participé à la grève avec comme mot d’ordre “unité d’action encore plus parfaite” tout en dénonçant le caractère politique de la C.G.T. liée au P.C.F.

La C.N.T a également participé aux grèves des cheminots de juin. Cette grève est née avec des arrêts de travail à Villeneuve-Saint-Georges où les “ouvriers qui n’avaient pas pu se procurer le pain pour leur casse-croûte eurent décidé de cesser le travail” [31]. Si Vincent Auriol a vu dans ces arrêts de travail spontanés l’action souterraine de militants anarchistes [32], cette suspicion paraît justifiée. On peut en effet penser que la C.N.T. est l’instigatrice de la grève. Cette hypothèse se vérifie si l’on prend en compte les témoignages de Raymond Beaulaton : “A l’été 1947, sous l’impulsion du petit syndicat C.N.T., les cheminots de Villeneuve-Saint-Georges se mettent en grève, grève qui devait rapidement s’étendre à tout le pays.” Cependant, il paraît difficile d’expliquer l’ampleur du mouvement par la seule action de la C.N.T. Cette ampleur tient plus au fait que “des cheminots de plus en plus nombreux se soient lassés de l’attitude attentiste de la C.G.T., qui a soutenu les exhortations gouvernementales en faveur de la production […]” [33]. La F.T.R. fit l’éloge de cette grève dans le Combat syndicaliste [34] et félicita l’action spontanée des cheminots qui ne se sont pas préoccupés des “bonzes et fonctionnaires cégétistes”. Dans ce même numéro, la F.T.R. dénonce aussi la tentative des communistes de politiser la grève : “Un des faits les plus caractéristiques de la grève des cheminots est l’attitude des politiciens, communistes et socialistes. Les premiers ne sont pas pour la grève. Ils étaient contre, en apparence du moins. Au fond, ils sont bien contents qu’elle gêne le gouvernement Ramadier. Ils espèrent même qu’elle servira à le jeter bas. Ils désirent l’exploiter dans les coulisses.”

Cette dénonciation de la politisation de la grève réapparaît lors des grandes grèves de novembre. Alors que la grève continuait à s’étendre pour devenir quasi-générale les 28 et 29 novembre, les cheminots de la C.N.T. signèrent avec la C.F.T.C., la C.G.C., le C.A.S. et le S.P.I.D. une déclaration commune pour protester contre l’utilisation à des fins politiques du mécontentement des cheminots et réclamer la liberté du travail. La C.N.T., au niveau confédéral, avait déjà pris position contre la grève politique avant que le mouvement ne prenne cette ampleur. En effet, dans une circulaire confédérale datée du 20 novembre 1947, le B.C. et la C.A. expliquaient les objectifs politiques de ces grèves pour la C.G.T. et le P.C.F. Elle ne s’oppose pas à la grève en tant que telle mais à sa politisation. Le mouvement de grève étant largement suivi par les cheminots, la C.N.T. se devait de nuancer ses propos afin de ne pas apparaître comme un syndicat de “jaunes”. Cette nuance se retrouve dans un tract signé avec F.O. (qui est encore une tendance de la C.G.T.), C.F.T.C. et la Fédération syndicaliste des P.T.T. ayant pour mot d’ordre “OUI à la grève revendicative, NON pour l’agitation politique”.

Si la C.N.T. parvient à s’implanter dans certains domaines, cela tient certainement plus à ses activités là où elle est implantée qu’à son discours jusqu’au-boutiste, refusant tout compromis.

d) Un discours radical

Les contenus des revendications et des mots d’ordres de la C.N.T. sont assez originaux dans la mesure où tout ce qui est considéré comme des acquis sociaux pour les travailleurs est rejeté par la C.N.T. Qu’il s’agisse des conventions collectives, de l’institution des comités d’entreprises ou bien encore de la création de la sécurité sociale, toutes ces réformes sont perçues comme des moyens pour l’État et le patronat d’intégrer les organisations syndicales dans leurs organismes de “collaboration de classes”, et qui en conséquence freinent toutes actions revendicatives.

Commençons par les conventions collectives. Ces dernières limiteraient toute action revendicative des travailleurs puisqu’elles résultent des négociations entre l’État, le patronat et les organisations syndicales. Étant le fruit de négociations au sommet, les conventions collectives échappent donc au contrôle de la base. A ces conventions collectives, la C.N.T. préférait “les conventions particulières”, c’est-à-dire des conventions propres à chaque entreprise. Ces conventions particulières étaient pour la C.N.T. “la conclusion d’un épisode restreint de la lutte des classes, sa matérialisation” [35]. Les différentes situations engendrées par des conventions propres aux entreprises, permettaient selon la C.N.T., de stimuler l’action ouvrière dans une entreprise pour atteindre une meilleure situation existant ailleurs. Ces différentes luttes constituent une “auto-éducation révolutionnaire des travailleurs” [36]. Le principal reproche que la C.N.T. adresse à ces conventions collectives, c’est qu’elles freinent la capacité révolutionnaire des travailleurs. Elles détournent ces derniers de l’action revendicative, dont la grève en est la manifestation, en intégrant les syndicats à la table des négociations. Or, pour la C.N.T., ces négociations autour des conventions collectives ne sont ni plus ni moins qu’une abdication des organisations syndicales face au patronat et à l’État. Dans l’esprit de la C.N.T. il est impossible de se dire révolutionnaire et d’accepter en même temps de négocier. Ces négociations représentent aux yeux des militants anarcho-syndicalistes la négation de la lutte des classes. Les conventions “n’ont pour but que la pérennité du régime capitaliste” [37], dans la mesure où elles légitiment le profit en fixant une parité entre ce dernier et les salaires.

L’autre réforme qui vise à limiter une hypothétique poussée révolutionnaire des travailleurs est l’institution des comités d’entreprises. Ces comités d’entreprises ne sont pour la C.N.T. qu’un instrument pour intégrer les syndicats à la gestion de l’entreprise. Or, dans une économie capitaliste, participer à la gestion d’une entreprise qui tire son profit du travail salarié traduit aux yeux de la C.N.T. la « collaboration de classes ». Par ailleurs, puisque les délégués au comité d’entreprise n’ont aucun pouvoir décisionnel, ils ne servent à rien, sinon à leurrer les travailleurs. Seules l’action directe et la grève peuvent exercer une pression sur l’employeur. Dans son article intitulé “A bas les comités d’entreprises !” [38], Henri Bouyé résume la vision de la C.N.T. : “Il n’y a pas de demi-mesures : ou bien la transformation sociale est réalisable par étapes, et alors le Comité d’Entreprise pourrait être une bonne chose, il faudrait y entrer. Ou bien, tout compromis avec la bourgeoisie possédante et l’État retarde cette transformation, et la Révolution demeure la seule voie de libération pour le peuple. Le syndicalisme révolutionnaire ne saurait emprunter une autre voie que cette dernière. Les militants n’iront pas se pourrir dans des organismes dont la constitution, en fin de compte, prolonge la durée d’une exploitation du travail à laquelle ils font la guerre.”. Cependant, au congrès de 1950, la participation aux Comités d’Entreprises est tolérée. Le congrès se prononce en effet pour une “participation circonstancielle laissée au contrôle des U.L.” [39]. Toujours à ce congrès, la C.N.T. se prononce par ailleurs pour la participation aux élections de délégués du personnel, ces élections ne constituant pas pour autant un but en soi et la participation à celles-ci ne devant donc pas être systématiques. Il est à noter enfin que dans les articles relatifs à ces comités d’entreprise il n’est jamais fait allusion aux comités mixtes à la production ou comités de gestion qui se sont instaurés à la Libération [40], excepté un article consacré aux Usines Berliet [41]. Les Usines Berliet ont été une des principales usines où a été établi un comité de gestion [42]. Or, dans cet article, la C.N.T. [43] nie l’idée selon laquelle il y aurait eu une gestion ouvrière. Le silence de la C.N.T. sur les autres expériences de comités de gestion pourrait s’expliquer par sa critique du modèle des Usines Berliet. Il est en effet possible que sa critique de ce modèle se généralise à tous les autres [44].

Enfin, la dernière et principale réforme de l’après-guerre à laquelle s’oppose la C.N.T., est la création de la sécurité sociale. En la critiquant, la C.N.T. se distingue des autres organisations ouvrières pour qui la sécurité sociale est une manifestation de la solidarité entre les travailleurs. Elle refuse l’intervention de l’État dans la gestion des caisses : celles-ci ne doivent être gérées que par les travailleurs. La C.N.T. s’oppose également à l’idée que les travailleurs devraient cotiser à ces caisses, ces cotisations devant être pour elle à la charge des employeurs.

L’attitude de la C.N.T. à l’égard de ces réformes témoigne de son refus de tout compromis avec l’État et le patronat. Elle adopte un discours radical qui exclut toute possibilité d’entente. Ce discours s’inscrit dans la continuité du rejet de l’idée d’intérêt général, qui sous-entend la possibilité, par le biais de négociations, de satisfaire les intérêts des employeurs et des travailleurs. Ces différentes réformes ne représentent donc en rien une amélioration ou un acquis social pour les travailleurs. Si la C.N.T. rejette ces réformes, elle n’oublie pas pour autant que le syndicalisme doit œuvrer quotidiennement pour l’amélioration des conditions de vie des travailleurs. Elle se positionne en effet pour le retour immédiat aux quarante heures (les horaires hebdomadaires pouvant atteindre parfois les cinquante heures, voire plus), et pour la semaine de trente heures un second temps ; pour une hausse des salaires, mais une hausse qui doit être uniforme, c’est-à-dire qui ne doit pas établir de hiérarchie entre les travailleurs. La hiérarchie des salaires est aussi un thème combattu par la C.N.T. Non seulement, elle est un facteur de division, mais d’un point de vue économique elle provoque une baisse du pouvoir d’achat des plus pauvres, suite à la hausse des salaires d’une partie des travailleurs qui engendre une hausse des prix. Cette hiérarchisation des salaires est un moyen de hiérarchiser les emplois entre eux. Or, selon les anarcho-syndicalistes, la hiérarchisation des emplois ne repose sur aucun critère. C’est dans cette logique que la C.N.T. réclame l’égalité économique qui ne peut se réaliser dans l’immédiat que par “des augmentations uniformes en fonction de l’indice des prix” [45].

Dans la mesure où, pour la C.N.T., le climat social de la fin des années quarante peut basculer à tout moment en crise révolutionnaire, la participation des autres syndicats à ces organismes constitue une capitulation et une trahison des buts poursuivis par le syndicalisme révolutionnaire tels qu’ils sont inscrits dans la charte d’Amiens, à savoir l’expropriation du capitalisme et la prise en main des moyens de production par la grève générale.

Malgré son discours radical, la C.N.T., dès sa création, a su s’implanter dans le champ syndical français, en sachant profiter du climat social, et de la situation syndicale puisqu’elle était la seule centrale syndicale révolutionnaire en dehors de la C.G.T. Elle espérait d’ailleurs -compte tenu de cette situation- attirer à elle les syndicats autonomes. Mais la naissance de la C.G.T.-F.O. changea la donne et posa à nouveau le délicat problème de l’unité syndicale.

2- Unité syndicale ou unité des syndicalistes révolutionnaires ? (1946-1950)

Il est important de consacrer une partie à ce thème de l’unité syndicale, dans la mesure où il anima la vie confédérale dès 1947 et plus particulièrement à partir de la fin de 1948. Le problème de l’unité syndicale se pose à la C.N.T. dans un premier temps avec les syndicats autonomes qu’elle espère intégrer. Mais la création de Force Ouvrière mit fin aux espoirs de la C.N.T. : elle étendra le problème de l’unité syndicale à tous les syndicalistes hostiles à la C.G.T. et se réclamant de l’indépendance du syndicalisme. Nous verrons alors que l’unité provoqua au sein de la C.N.T. des divergences théoriques, aboutissant même à des exclusions.

a) Rapports entre la C.N.T. et les autonomes (1947-1948)

Les syndicats autonomes se sont créés pour les mêmes raisons que la C.N.T. : ils refusaient la main-mise des communistes sur la C.G.T. Mais au lieu de se confédérer, ces syndicats ont préféré l’autonomie. Les principaux syndicats autonomes sont la Fédération syndicaliste des P.T.T. dirigée par Mourguès, le Comité d’action syndicaliste (C.A.S.) des cheminots créé en juillet 1947 avec Laurent, et le C.A.S. des métaux mené par Racine.

Le Comité Confédéral National (C.C.N.) du 2 novembre 1947 avait mandaté les membres du B.C. pour engager des pourparlers avec les autonomes. Ces entrevues n’aboutirent jamais à une adhésion de ces syndicats à la C.N.T. Selon l’U.L. de Bordeaux, “l’échec fut total” [46]. En effet, lors de la dernière entrevue avec la fédération syndicaliste des P.T.T., le 24 décembre 1947, celle-ci déclare qu’elle a donné son adhésion à F.O. Toujours dans ce même mois, le B.C. rencontra les représentants de la fédération autonome des cheminots ; rencontre qui n’aboutit à aucun résultat. Le seul fait positif serait une déclaration commune entre les représentants du syndicat C.N.T. des métaux, Rotot, Salembier et Coutelle, et ceux du C.A.S. des métaux, Kléhamer, Racine et Juliot, réunis le 24 décembre [47]. Dans un communiqué, ces représentants déclarent que “les délégués décident de consulter leurs organisations propres en vue de constituer un comité de coordination pour préparer et réaliser l’unité organique”. Or cette unité organique ne se réalisa jamais. Le B.C. avait cependant tenté de renouveler les pourparlers avec le syndicat autonomes des métaux de Paris, au mois de juillet 1948, mais “les relations sont en sommeil” [48]. Il semble bien que la scission de décembre 1947 qui donne naissance à la C.G.T.F.O. (bien que son congrès constitutif n’ait lieu qu’en avril 1948) ait encouragé la C.N.T. à multiplier les pourparlers avec les autonomes.

La conclusion de ces différentes entrevues est que ces syndicats autonomes ne veulent pas adhérer à la C.N.T. Ils préfèrent entrer à F.O. et demandent d’ailleurs à la C.N.T. de faire comme eux. Lors d’une entrevue qui eut lieu le 2 janvier 1948 entre la C.N.T. représentée par Jacquelin, Juhel, Snappe et Fontenis, et les autonomes Hervé, Juliot et Racine, ces derniers déclarèrent qu’“ils avaient la ferme intention de faire du syndicalisme révolutionnaire dans leur organisation, et qu’ils espéraient bien faire éclater la nouvelle centrale, et ils nous demandèrent de nous joindre à eux dans F.O. pour les aider dans cette tâche” [49]. L’objectif des autonomes, du moins ceux des métaux, était de constituer, avec la C.N.T., un pôle syndicaliste révolutionnaire au sein de la nouvelle C.G.T.-F.O. qui proposait une unité syndicale englobant la C.N.T. [50]. A cette proposition, les représentants de la C.N.T. répondirent en se référant à la charte de Paris qu’ils ne pouvaient “entretenir des relations, avec d’autres confédérations, et encore moins apporter notre appui à la création d’une autre centrale ouvrière”. Dans cette circulaire confédérale, le B.C. et la C.A. sont également persuadés que “d’ici le congrès de F.O., beaucoup d’autonomes seront menés à se diriger non vers un syndicalisme de réformistes bureaucratiques, mais bien vers la C.N.T. qui restera la seule centrale du syndicalisme révolutionnaire”. La réalité étant toute autre, la C.N.T. dut se résigner à modérer ses propos.

Le 19 juin 1948, la C.N.T. se réunit avec des autonomes et des membres de F.O., et ils décidèrent “de constituer un comité de coordination qui serait chargé de préparer une conférence nationale d’unité syndicaliste” [51]. Par la suite, la C.N.T. opta lors de son C.C.N. tenu les 28 et 29 août 1948, pour la création de “d’action” mais uniquement sur le plan de l’entreprise. Il s’agit de reprendre l’idée de la charte de Paris, à savoir l’unité à la base et non au sommet. Le deuxième congrès confédéral tenu à Toulouse les 24, 25 et 26 septembre 1948 s’inscrit dans la continuité du C.C.N. et invite “les organisations de bases […] à former un comité de coordination avec ces syndicats (les syndicats autonomes)”. Cependant, la manière dont la C.N.T. pose la question du regroupement syndical peut paraître ambiguë pour les autres organisations syndicales. Nous reproduisons ici l’“appel au regroupement syndical” voté à ce congrès : “Le 2ème congrès de la C.N.T. considérant les difficultés de l’heure et la confusion existant dans tous les milieux syndicaux, appelle tous les travailleurs à se réunir dans une centrale affirmant comme base essentielle la conception de la lutte des classes avec, comme base d’action directe, pour la disparition du salariat et du patronat et la substitution des organismes syndicaux aux organismes d’Etat, (le 2ème congrès) s’adresse spécialement à tous les syndicats autonomes et minorités syndicales d’accord avec ces principes et finalités, pour se réunir à la C.N.T. pour la constitution de cette centrale”.

Cet appel au regroupement syndical est en réalité un appel au regroupement des syndicalistes révolutionnaires. La C.N.T. se considérant comme la seule centrale syndicaliste révolutionnaire, elle suggère ainsi que la place des syndicalistes révolutionnaires ne peut être qu’à la C.N.T. Il s’agit donc un appel aux syndicalistes révolutionnaires pour qu’ils adhèrent à la C.N.T. Cette position de la C.N.T., premier pas vers son isolement, est un des obstacles au regroupement syndical qui était l’objectif du Cartel d’Unité d’Action Syndicaliste.

b) Le Cartel d’Unité d’Action Syndicaliste (1948-1950)

Le comité national de coordination des syndicats autonomes avait appelé à une conférence nationale sur le thème du regroupement syndical, les 20 et 21 novembre 1948. La C.N.T. était représentée par Edouard Rotot et Maurice Joyeux. Étaient également présents à cette conférence la minorité F.O. représentée par Le Bourre, la tendance trotskiste de l’Unité Syndicale avec Pierre Lambert et l’École Émancipée, tendance de la F.E.N. Dans le compte-rendu de cette conférence, Rotot et Joyeux dénoncent tout d’abord la tendance de certains autonomes, notamment Racine, à faire l’éloge de l’association capital-travail. Ils estiment par ailleurs que la majorité des autonomes est “naïve”, “inculte aux idées progressistes”, ou bien encore que bon nombre d’entre eux sont des partisans de de Gaulle tel que Clément du syndicat autonome du métro. Le bilan que dresse la C.N.T. de cette conférence est nuancé. Outre la critique qu’elle fait des autres syndicats, elle constate une forte influence de l’Unité Syndicale. Cette tendance aurait modifié l’ordre du jour de la conférence qui était de débattre du regroupement syndical : “il (Pierre Lambert) est pour un comité d’action parce que ceci, par le jeu des fractions, permet à son parti de réaliser la direction unique du mouvement ouvrier minoritaire” [52]. Cette proposition de constituer un comité d’action était accueillie favorablement par les autres courants : les autonomes “pour ne pas être absorbés par la C.N.T.” [53], la minorité F.O. pour maintenir ses attaches à sa centrale et l’École Émancipée pour rester à la F.E.N. Le point positif, en revanche, est que la plate-forme adoptée par le comité d’action (qui devient alors le Cartel d’Unité d’Action Syndicaliste) est très proche du syndicalisme révolutionnaire tel que l’entend la C.N.T. A l’issue de cette conférence, plusieurs comités locaux se mettent en place, en plus de ceux qui existaient déjà, auxquels la C.N.T. participe souvent.

Cependant, bien que des cartels régionaux se soient constitués, le Cartel d’Unité d’Action Syndicaliste manquait de finalité, étant donné que l’unité organique était exclue. Pierre Monatte montre l’origine de cette absence d’unité : “[…]au fond, les différents courants syndicalistes révolutionnaires ne désirent pas tellement s’unir et se fondre. Chacun- autonomes, C.N.T., partisans de F.O.- restent convaincus d’avoir pleinement raison et de constituer le pôle de rassemblement” [54]. Ce constat se vérifie en particulier pour la C.N.T. Bien qu’elle eût espéré absorber les autonomes, elle reste partisane de l’unité d’action et non pas de l’unité organique.

Ce cartel n’ayant pas d’issue, la C.N.T. décida lors de son C.C.N. du 29 mai 1949 de rompre avec celui-ci tout en maintenant ses activités dans les comités locaux. Le motif de cette rupture serait “qu’il a compromis sérieusement la vitalité et l’unité de notre organisation” [55]. La raison véritable est certainement que la C.N.T. ne peut s’unir avec des éléments qu’elle juge réformistes et qu’elle a dû renoncer à l’adhésion des syndicats autonomes, qui était peut-être sa seule motivation pour participer à ce cartel. Cette décision du C.C.N. provoqua néanmoins une crise au sein de l’organisation, puisqu’elle allait à l’encontre de celle qui avait été prise au congrès confédéral de Toulouse. La 8ème U.R. (région de Bordeaux) menaçait de ne plus payer ses cotisations et le syndicat des métaux de Bordeaux envisageait même de quitter la C.N.T. Pour résoudre cette crise, il fut donc décidé de convoquer un congrès extraordinaire pour les 30, 31 octobre et 1er novembre 1949. Deux tendances vont alors s’opposer au sujet du Cartel d’Unité d’Action Syndicaliste. Certaines sections comme la 6ème U.R. (Midi-Pyrénées) et la 8ème U.R. (région bordelaise) sont favorables au cartel, voire même à la création d’une centrale syndicaliste révolutionnaire, envisageant ainsi la fin de la C.N.T. Les partisans de l’unité et donc du cartel affirmaient qu’il fallait “envisager un regroupement syndicaliste révolutionnaire, sur des bases plus larges, pouvant être acceptées par tous les syndicalistes révolutionnaires” [56], autrement dit qu’il fallait faire des concessions. L’autre tendance qui est essentiellement celle de la 2ème U.R. (région parisienne) et de la C.A. et qui s’était prononcée pour le retrait de la C.N.T. du cartel, justifiait sa position par la faible présence de syndicalistes révolutionnaires au sein du cartel. Elle démontrait aussi l’inutilité du cartel, dans la mesure où l’unité organique envisagée était impossible pour la C.N.T. qui n’était favorable qu’à l’unité d’action à la base, celle-ci devant être de plus spontanée. Le congrès extraordinaire confirma la décision du C.C.N. de mai.

A la suite de ce congrès, certaines sections continuent leur activité au cartel (la 8ème U.R. et la F.T.R.) mais se verront obligés de le quitter. Seule la 8ème U.R. accepta de cesser ses activités au sein du cartel. Beaulaton et Robert, en revanche, en tant que représentants de la F.T.R., participèrent à la deuxième conférence nationale du cartel, les 12 et 13 novembre 1949. Cette participation témoignait d’une position opposée à celle de la C.A. La C.A. avait en effet décidé de déléguer à cette deuxième conférence nationale du cartel Samson du syndicat des transports et Toublet du syndicat des métiers d’art. Cette délégation avait pour mandat de “dénoncer la duperie que promet d’être la nouvelle centrale en gestation si jamais elle arrive à se constituer […]” [57]. Ainsi, lors du C.C.N. du 29 janvier 1950, les responsables de la F.T.R., Beaulaton, Robert, Pillerault et Regnault sont exclus de la C.N.T. pour non-respect des décisions votées lors du congrès confédéral [58]. Ces exclusions affaiblirent la F.T.R., puisque beaucoup de militants suivirent leurs responsables. Le thème de l’unité syndicale a donc divisé la C.N.T. et l’a certainement affaiblie. On peut supposer que des adhérents ont quitté la C.N.T. à cause de son intransigeance. Mais elle a été affaiblie aussi dans la mesure où elle s’est isolée du reste du mouvement syndical. Ce cartel lui avait en effet permis de nouer des contacts sérieux avec certains éléments. Pour des militants tels que Aimé Capelle, l’échec de l’unité est dû à l’intransigeance et à une position “anarchiste”, qui conduisent la C.N.T. à l’isolement.

3- La C.N.T. et l’anarchisme

Le syndicalisme révolutionnaire a toujours posé un problème : est-il anarchiste ? Ceux pour qui le syndicalisme révolutionnaire et l’anarchisme sont liés sont ceux qui ont créé auparavant la C.G.T.S.R. puis la C.N.T. [59]. Le caractère anarchiste est d’autant plus renforcé que beaucoup de militants cénétistes sont également à la Fédération Anarchiste (F.A.). Mais cette position ne faisant pas l’unanimité la C.N.T. fut divisée en deux tendances dès 1946.

a) Évolution des rapports entre la C.N.T. et la F.A. [60]

La F.A. manifeste son soutien à la F.S.F. puis à la C.N.T. dès son congrès de Paris, les 6 et 7 octobre 1945. Ce congrès qui regroupait toutes les tendances de l’anarchisme, tous “ceux qui se réclament de l’anarchisme et de l’anarcho-syndicalisme” avait pour objectif de donner une cohésion au mouvement libertaire dans son ensemble et de mettre fin aux discussions entre “des fractions qui hier, s’ignoraient ou se heurtaient” [61]. Lors de ce congrès, la F.A. demanda à ses militants d’adhérer à la F.S.F. Puis en 1946, alors que la F.A. avait été dans un premier temps hostile à la création de la C.N.T. qui mettait fin à l’unité des travailleurs, elle change d’attitude lors de son congrès qui se tient à Dijon les 13, 14 et 15 septembre 1946. Elle y affirme son soutien à la C.N.T. mais sans rendre obligatoire l’adhésion à celle-ci. Ce soutien se traduit entre autre par la rubrique syndicale du Libertaire largement ouverte à la C.N.T qui multiplia ses appels à quitter la C.G.T. pour venir la rejoindre. Cependant à partir de son congrès d’Angers qui se tient les 11, 12, 13 et 14 novembre 1948, la F.A. modifie sa position à l’égard de la C.N.T. La F.A. “s’affirme partisan de la réunion de toutes les organisations vraiment syndicalistes : C.N.T., syndicats autonomes, minorités F.O. ou C.G.T. […]”.

Si la C.N.T. a pu bénéficier dans un premier temps du soutien de la F.A., le départ de la C.N.T. du cartel provoque une prise de distance. Des militants de la F.A. tel que Maurice Joyeux [62] décident alors de quitter la C.N.T. pour adhérer à F.O. Les militants de la F.A. avaient en fait adhéré à la C.N.T. parce qu’elle était la seule centrale à se réclamer de la charte d’Amiens en dehors de la C.G.T. Ainsi, n’étant pas anarcho-syndicalistes, ils préférèrent adhérer à F.O. qui leur semble plus apte à réaliser l’unité des travailleurs tout en respectant l’indépendance du syndicalisme.

Mais la rupture intervient avec la montée du courant de Georges Fontenis. Le congrès régional du midi à Narbonne en janvier 1949 adopte des résolutions ne pouvant que provoquer la rupture : “la structure de la F.A. ne lui permet pas d’entraîner l’ensemble des travailleurs dans une action révolutionnaire. C’est à la C.N.T. que ce rôle est dévolu. C’est pour cette raison que les anarchistes doivent l’orienter et ne pas hésiter à prendre des postes responsables […]” [63]. Cette orientation dirigiste de la F.A. se confirme le 11 mars 1950 au congrès de la région parisienne : “Toute organisation para-anarchiste, non-affiliée statutairement à la F.A. devra, dans le cadre régional, être sous le contrôle direct du bureau de la région, son action influencée par les militants de la F.A.” [64].

Le soutien de la F.A. en faveur de la C.N.T. fut perçu de deux manières. Il est positif puisqu’il amena à la C.N.T. des adhérents de la F.A., et la C.N.T. pu bénéficier d’un outil de propagande à travers le Libertaire dans lequel elle multiplia les appels à quitter la C.G.T. pour venir la rejoindre. En 1947 et 1948, le Libertaire laisse en effet une large place à la C.N.T. La quatrième page traitant du syndicalisme est systématiquement consacrée à la C.N.T. avec des articles de militants de la C.N.T., des communiqués des U.L., des fédérations ou du Bureau Confédéral. La première page du Libertaire est parfois laissée à la C.N.T., notamment lors des grèves de novembre 1947. On peut également lire des appels tel que : “Adhérez à la Fédération Anarchiste ! Syndiquez-vous à la C.N.T. !” [65]. Même après la création de F.O., les articles restèrent favorables à la C.N.T. Ce soutien permit en revanche aux adversaires de la C.N.T. ou à ceux qui étaient réticents vis-à-vis d’elle, de l’identifier à la F.A. Ainsi, pourquoi quitter une C.G.T. entre les mains des communistes pour rejoindre une C.N.T. entre les mains des anarchistes ? Il était cependant faux d’affirmer que la C.N.T. était contrôlée par la F.A. Il est indéniable que certains responsables de la C.N.T étaient en même temps responsables à la F.A. (Joyeux, Jacquelin, Fontenis, Joulin,…). Parane affirmait au contraire que la C.N.T. et la F.A., c’était la même chose : “Il a fallu deux ans pour s’apercevoir qu’en bien des localités, les syndicats de la C.N.T. n’étaient en fait que des groupes anarchistes réunis dans un même local, animés par les mêmes copains, mais disposant d’un cachet supplémentaire”. [66]

Si identifier la C.N.T. à la F.A. est exagéré, les liens entre la C.N.T. et le mouvement anarchiste restent forts. Le paysage anarchiste de l’entre-deux-guerre se retrouve en effet à la C.N.T.

Ce qui divisa la C.N.T., ce fut la question de savoir si elle était une centrale syndicale anarchiste ou une centrale syndicaliste révolutionnaire. Autrement dit, la C.N.T. était-elle une organisation politique qui plaçait la fidélité aux principes anarchistes avant l’action syndicale ?

b) Divisions entre syndicalistes anarchistes et syndicalistes révolutionnaires

Le débat autour de la nature de la C.N.T. se manifeste essentiellement par rapport à l’article 7 des statuts. Cet article stipulait au départ que le syndicalisme était indépendant de tout parti politique, de toute secte philosophique ou religieuse. Les militants qui étaient adhérents à la F.A. refusèrent l’adoption de cet article. Henri Bouyé, lors du congrès constitutif, affirma que “si nous acceptons l’article 7 dans sa teneur actuelle, il est impossible à un camarade de la Fédération anarchiste d’être responsable de la confédération. Nous ne pouvons l’admettre.” Les responsables des provinces étant le plus souvent adhérents à la F.A., ils eurent la majorité et modifièrent cet article qui devint : “La confédération est indépendante de tout parti politique, sectes philosophiques ou religieuses ne se réclamant pas de la lutte des classes”, ce qui revenait à rompre l’indépendance de la confédération à l’égard de la F.A. Cette décision entraîna le départ d’un des fondateurs de la C.N.T., Julien Toublet. Dans une lettre adressée à la C.N.T. datée du 14 décembre, il écrit : “Ils (les délégués anarchistes) n’ont pas su résister à la tentation de faire de la C.N.T. naissante, une C.N.T. anarchiste”. Selon Toublet, l’article 7 a été rédigé de telle sorte que les responsables de la F.A. puissent concilier leur poste avec un poste responsable de la C.N.T. Cette décision ne peut que conduire la C.N.T. à l’isolement étant donné “la tradition syndicale dans ce pays, toute axée sur la notion de l’indépendance du syndicalisme”. Toublet décida alors de créer l’Union Fédéraliste du Syndicalisme Indépendant. Dans une seconde lettre, il écrit que “pas un minoritaire apolitique de la C.G.T. ne peut accepter le texte que vous avez adopté”. Ainsi, ce que Toublet affirme, c’est que la C.N.T. ne peut recruter que des adhérents déjà acquis aux idées anarcho-syndicalistes [67].

Mais au congrès de 1950, il est décidé de reformuler l’article 7 tel qu’il avait été présenté au congrès constitutif de décembre 1946. Cette modification de l’article peut s’expliquer par le départ de la C.N.T. de nombreux responsables de la F.A. à la suite du retrait du cartel, mais aussi de la génération qui était adhérente avant la guerre à la C.G.T.S.R., laissant alors la majorité à ceux qui se désignent comme syndicalistes révolutionnaires en opposition aux anarchistes syndicalistes. A ce congrès, il est aussi question de savoir s’il faut coller l’étiquette anarcho-syndicaliste à la C.N.T. Toublet affirme que le fait de coller l’étiquette anarcho-syndicaliste à la C.N.T. la viderait. Cette tendance syndicaliste révolutionnaire était plus modérée que celle des anarcho-syndicalistes ou “anarchistes syndicalistes”, puisqu’elle reconnaissait l’utilité de la représentativité de la C.N.T. dans les différents organismes. Pour ces adhérents catalogués comme “modérés” ou “réformistes”, le syndicat doit être révolutionnaire dans sa finalité, mais réformiste dans son action journalière. Ils étaient donc partisans de représenter la C.N.T. au sein des comités d’entreprises, des conseils des prud’hommes et des commissions paritaires. Mais seule la participation aux élections des délégués du personnel fut acceptée au congrès de 1950.

délégués du personnel fut acceptée au congrès de 1950.

A propos de la représentativité, Aimée Capelle indique que “En 46, nous avions reçu du Ministère du Travail des imprimés à remplir, sur l’activité de l’organisation pendant l’Occupation. Elle n’existait pas mais la C.G.T.S.R. existait. En somme, la C.N.T. était la continuation de la C.G.T.S.R. et elle avait la possibilité de demander la représentativité, au même titre qu’elle avait été accordée à la C.G.T. et à la C.F.T.C. […] Les imprimés n’ont pas été remplis”. On peut trouver naïf que certains aient cru que la représentativité puisse être accordée à la C.N.T., mais en l’occurrence la C.N.T. a tout simplement refusé de la demander.

Ainsi on peut observer deux tendances quant à la définition de la C.N.T. La première, anarcho-syndicaliste, qui a dirigé la C.N.T. entre 1946 et 1950, a certainement contribué à l’isolement de la C.N.T. par son attitude un peu puriste. La seconde en revanche, si elle est plus souple, va à l’encontre des principes anarcho-syndicalistes. Ce dilemme constitue le point faible de l’anarcho-syndicalisme et du syndicalisme révolutionnaire organisés dans une centrale se réclamant de ces courants.

On constate qu’après cinq années d’existence, du fait des luttes internes et des prises de position controversées, la C.N.T. s’est considérablement affaiblie. Dans son article intitulé “vivant” [68], Parane nous explique les raisons de cette courte apogée qu’a connu la C.N.T. entre 1946 et 1950 : “Souvenirs fumeux de la révolution espagnole, regrets imprécis de la C.G.T.S.R., envie d’être entre copains, croyance que les sursauts manifestés chez les cheminots, les postiers, les métallos supposaient des troupes prêtes à se grouper sous notre bannière, voilà quelques uns des éléments qui ont contribué à cette flambée d’enthousiasme. […]. Nous avons fait trop de syndicalisme de meeting et trop de syndicalisme théorique. Et les occasions que l’actualité nous présentait ont échappé à notre propagande et à notre action”.

NOTES

[1] Notons toutefois ce témoignage de Paul Lapeyre sur René Doussot : “…Pendant toute la durée de l’occupation, DOUSSOT réunit chez lui, chaque mois, la Commission administrative du S.U.B. (Syndicat unique du Bâtiment) passé à la C.G.T.S.R. et du S.U.M. (Syndicat unique des Métaux) et tint à jour les procès-verbaux de ces réunions, pour prouver que la C.G.T.S.R. avait continué d’exister. On peut en sourire aujourd’hui ; n’empêche : si la police avait découvert ces cahiers, DOUSSOT aurait été au moins déporté….”, Les anarchistes dans la résistance, volume 2, C.I.R.A.

[2] Appel aux Syndicalistes Révolutionnaires, C.I.R.A. de Marseille.

[3] Les témoignages de Aimé Capelle sont extraits de l’ouvrage de CAROUX-DESTRAY Jacques. Un couple ouvrier traditionnel. La vieille garde autogestionnaire. Paris, Anthropos, 1974, pp. 189-212 (Aimé Capelle est présenté sous le nom d’Amédée Domat dans ce livre, mais un recoupement avec les archives de l’organisation permet de l’identifier).

[4] Statuts de la Fédération Syndicaliste. Archives de la C.N.T. de Toulouse.

[5] BIARD Roland. Histoire du mouvement anarchiste. 1945-1975. Editions Galilée, 1976, p. 92. Contrairement ce qu’affirme Biard, ce n’est pas cette prise de position des dirigeants cégétistes qui provoqua la scission.

[6] Nos Cahiers. Bulletin mensuel du Comité d’Etudes Techniques Economiques et Sociales. N°13, 1er octobre 1946. Il s’agit d’une revue publiée par des adhérents de la C.G.T. se réclamant du syndicalisme révolutionnaire.

[7] Après la création de F.O., ils formeront la tendance “Unité syndicale”.

[8] Ce titre fait référence à la création de la CGT-U en 1921. Lors de ce congrès, les exclus de la CGT ou les déçus (communistes, syndicalistes révolutionnaires de la tendance de Pierre Monatte, anarcho-syndicalistes, même si ce qualificatif n’est pas encore utilisé, de la tendance de Pierre Besnard et anarchistes) se réunissent pour fonder une CGT unitaire en opposition à la CGT devenue trop réformiste. Mais la position des syndicalistes révolutionnaires fera de cette nouvelle CGT un outil aux mains du tout nouveau PCF (encore appelée SFIC). Ainsi, tout comme en 1921, ce congrès de 1946 fait de la CGT un instrument du PCF. Sur cette scission de 1921, cf. l’ouvrage assez vieilli mais bien complet de Maurice LABBI. La grande division des travailleurs. Première scission de la CGT : 1914-1921. Les Editions ouvrières, 1964.

[9] On peut se demander, étant donné la nature de cet appel à la conférence qui décide avant même son déroulement la constitution de la C.N.T. et son adhésion à l’A.I.T., si le regroupement des anarcho-syndicalistes au sein de la F.S.F. et des C.D.S. n’avait pas comme objectif de préparer la constitution d’une centrale anarcho-syndicaliste, comme ils l’avaient déjà fait en 1921 avec le pacte secret de Pierre Besnard. Les anarcho-syndicalistes devaient bien avoir conscience de ne jamais pouvoir peser sur les orientations de la C.G.T. Cette hypothèse est d’autant plus probable que lors des assises du mouvement libertaire tenues les 6 et 7 octobre 1945, la F.S.F. avait déclaré : “Il est urgent de créer la force du syndicalisme véritable qui s’opposera à celle de la C.G.T. communiste […]”, façon indirecte d’annoncer la création prochaine de la C.N.T. Compte-rendu des “Assises du mouvement libertaire et du congrès de la F.A. (6 et 7 octobre et 2 décembre 1945)”, cité par D’OVIDIO Pierre. Les anarchistes en France de 1945 à la veille de mai-juin 1968. Mémoire de maîtrise, sous la direction de Jean Maitron et Jacques Droz. Paris I, 1974, p.109.

[10] En effet, la C.G.T.S.R. n’a pas connu un grand succès. Le nombre des adhérents étant très faible, certains anarchistes l’appelaient la “C.G.T.-Sans Rien”.

[11] Ordre du jour qui reste assez vague, certainement pour attirer le plus de monde possible parmi les syndicalistes déçus par la C.G.T. L’orientation ouvertement anarcho-syndicaliste aurait pu provoquer une certaine réticence chez les syndicalistes.

[12] Pour Besnard, la lutte des classes ne devait pas se restreindre aux lieux de travail et devait prendre en compte les problèmes du quotidien, l’homme n’étant pas qu’un producteur mais aussi un consommateur.

[13] Il se situera à partir de 1947 au 39, rue de la Tour d’Auvergne dans le 9ème. Ce local est toujours utilisé par les compagnons de la “C.N.T. 2° UR”, cf plus loin.

[14] “Rapport sur l’activité de la Commission administrative et du Bureau confédéral du 6 mai 1946 au 13 octobre 1946” rédigé par Eugène Juhel, alors secrétaire à la propagande.

[15] Il s’agit du total des souscriptions parues dans L’Action Syndicaliste entre mai et novembre 1946.

[16] Circulaire confédérale n°5, s.d.

[17] Par copie conforme, nous entendons mot pour mot, excepté quelques détails qui ont été supprimés ou ajouté du fait du contexte historique. Les statuts des deux organisations sont également très proches. Il n’y a aucune différence dans le fond.

[18] Il est intéressant de voir l’importance de la charte d’Amiens pour les organisations syndicales. Se référer à celle-ci sert à se donner une légitimité et à se présenter comme la vraie incarnation du syndicalisme. La C.G.T. de 1906 devient alors le référant et l’idéal type du syndicalisme.

[19] Nous reviendrons sur ce thème de l’unité qui divisera la C.N.T.

[20] Il s’agit des syndicats des métaux, transports et manutention, textile, bois-ameublement, cuirs et peaux, employés, métiers d’art, S.U.B., fonctionnaires et santé publique, service santé, H.C.R.C. et cheminots (ce syndicat compte 6 sections, mais après discussion ces 6 sections comptent comme un syndicat).

[21] Après la victoire des franquistes en 1939, les Espagnols du sud ne pouvant plus rejoindre la France métropolitaine se sont exilés au Maghreb français.

[22] L’organe de la F.T.R. prendra successivement le titre de Rail enchaîné, puis à partir de juin 1947 Le Cri du cheminot et enfin après son congrès fédéral de septembre 1948 Rail-C.N.T.

[23] BEAULATON Raymond. Contribution à l’histoire de la C.N.T. (1945-1950). s.d., 11 p.

[24] DOLLEANS Edouard et DEHOVE Gérard. Histoire du travail en France. Mouvement ouvrier et législation sociale. T.2 : de 1919 à nos jours. Editions Domat Montchrestien, 1955.

[25] Contre-rapport sur le rapport moral de l’U.L. de Bordeaux pour le congrès confédéral de septembre 1948.

[26] HAMELET Michel P. “où va le syndicalisme français ?”, Revue de Paris, janvier 1949.

[27] Le 31 octobre 1947, sur 1293 cartes vendues, on compte 479 pour le S.U.B. Ainsi, en un an, le nombre d’adhésion de ce syndicat aurait été multiplié par 9,45. Probablement un autre « feu de paille ».

[28] FROLAN Xavier. Notre place dans le mouvement ouvrier français. Ed. C.D.E.S. (Centre de Documentation et d’Etudes Sociales), s.d., 26 p.

[29] BIARD Roland relève dans cette même usine une grève “à direction C.N.T.” en décembre 1946.

[30] FALLACHON P. “grèves de la Régie Renault en 1947”, Mouvement social, n°81, 1972.

[31] Témoignage d’un cheminot fait le 9 juin, rapporté dans le numéro de juillet 1947 de la revue Esprit.

[32] AURIOL Vincent. Journal du septennat. 1947-1954. T.1. : 1947. Armand Colin, 1970.

[33] COURTY-VALENTIN Marie-Renée. Les grèves de 1947 en France. Thèse de 3ème cycle, sous la direction d’Antoine Prost, I.E.P. de Paris, 1981, p. 244.

[34] Le Combat syndicaliste, N°3, juin 1947.

[35] Le Combat syndicaliste, n°9, 13 janvier 1949.

[36] Le Combat syndicaliste, n°21, janvier 1950.

[37] Le Combat syndicaliste, n°21, janvier 1950.

[38] Le Combat syndicaliste, n°14, 1er juin 1949.

[39] Compte-rendu du congrès de 1950.

[40] Ces comités mixtes à la production ou comités de gestion étaient constitués par les travailleurs dans certaines usines dont le patron avait collaboré avec l’Allemagne. ANDRIEU C., LE VAN L., PROST A. (sous la direction de). Les nationalisations à la Libération. De l’utopie au compromis. F.N.S.P., 1987, 392 p.

[41] Le Combat syndicaliste, n°14, 1er juin 1949.

[42] Voir à ce sujet le témoignage de PEYRENET Marcel. Nous prendrons les usines. Les usines Berliet à Lyon. Garance, 1980.

[43] Des militants de la C.N.T. travaillaient dans ces usines Berliet.

[44] On peut également envisager tout simplement, qu’étant absente des autres usines où ont été constitués des comités de gestion, elle préfère ne pas se prononcer sur ces expériences.

[45] Le Combat syndicaliste, n°9, 13 janvier 1949.

[46] Contre-rapport au rapport moral présenté par l’U.L. de Bordeaux à l’occasion du congrès confédéral de septembre 1948.

[47] BEAULATON Raymond. Contribution à l’histoire de la C.N.T. 1945-1950. s.d., p. 3.

[48] Contre-rapport de l’U.L. de Bordeaux.

[49] Circulaire confédérale n°19, non datée.

[50] On retrouve lors du congrès constitutif de F.O. tenu les 12 et 13 avril 1948, plusieurs déclarations appelant à la constitution d’une centrale qui permettrait un large regroupement syndical. Certaines déclarations montrent une certaine sympathie pour la C.N.T. ; certains proposèrent même l’adhésion à l’A.I.T. et non à la F.S.M.

[51] BEAULATON Raymond. op. ci t. p. 4.

[52] Bulletin Intérieur de novembre 1948.

[53] Ibid.

[54] Révolution prolétarienne, n°327, mars 1949.

[55] Circulaire confédérale n°11, juin 1949.

[56] Lettre de Arthur Guiller, adhérent de la 4ème U.R., envoyée au bulletin intérieur

[57] Bulletin intérieur, n°12, novembre-décembre 1949.

[58] Beaulaton et Robert créent par la suite l’A.S.C.A. (Alliance Syndicale des Cheminots Anarchistes) dont l’organe est le Rail enchaîné (n°1, avril 1953). Ils prévirent pour 1954, la création d’une “Confédération syndicale des travailleurs anarchistes avec l’Alliance anarchiste des P.T.T. et l’Alliance syndicale anarchiste de la R.A.T.P.”. Cette confédération ne naîtra jamais, ou peut-être qu’il s’agit de l’Alliance Ouvrière Anarchiste (A.O.A.) créée en 1956.

[59] Les anarcho-syndicalistes français ont d’une certaine manière repris le modèle espagnol. La C.N.T. espagnole était en effet ouvertement anarchiste puisqu’elle s’était dotée d’une organisation politique anarchiste, la F.A.I. (Fédération Anarchiste Ibérique). Or le succès du modèle espagnol s’explique par des raisons historiques qui ne sont pas les mêmes en France. En Espagne, l’anarchisme dominait le mouvement ouvrier, alors qu’en France, il n’était qu’une composante minoritaire de celui-ci.

[60] En prenant un échantillon de militants qui ont participé à la création de la C.N.T. (par exemple en se référant au Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier), on voit clairement que la C.N.T. a principalement été crée par des anarchistes de l’entre-deux guerres.

[61] Le Lien, bulletin intérieur de la F.A., N°3, janvier-février-mars 1946.

[62] Maurice Joyeux quitte la C.N.T. pour rejoindre la C.G.T.F.O. à laquelle il adhère jusqu’à sa retraite. Son départ de la C.N.T. pour F.O. est cependant assez contradictoire puisqu’il s’opposait à une unité entre la C.N.T. et la F.O. Il est également étonnant que dans ses ouvrages autobiographiques, Maurice Joyeux ne fasse jamais allusion à son passage à la C.N.T. qu’il a pourtant contribué à fonder. D’après Raymond Beaulaton, certains militants avaient la double appartenance C.N.T. et F.O.

[63] Citation extraite de BIARD Roland. Histoire du mouvement anarchiste. 1945-1975. Editions Galilée, 1976, p. 97.

[64] Ibid. Notons que le courant de Fontenis ne faisant pas l’unanimité fut à l’origine d’une scission à la F.A. Fontenis créa alors la Fédération Communiste Libertaire (F.C.L.).

[65] Première page du Libertaire du 12 juillet 1947.

[66] PARANE S. “vivant”, Etudes anarchistes, n°6, mai 1950.

[67] Toublet revient néanmoins à la C.N.T. en 1950 et est nommé responsable du C.S., après l’exclusion de Fernand Robert. Il quittera par la suite une nouvelle fois la C.N.T.

[68] PARANE S. “vivant”, Etudes anarchistes, n°6, mai 1950.