La paysannerie est devenue très marginale et l’agriculture n’existe pas comme entité propre. Les paysans et ouvriers, ouvrières agricoles représentaient 10 millions de personnes en 1945, ils sont respectivement moins de 400 000 et 250 000, aujourd’hui.
Moins de 1 % des habitant·e·s de ce pays produisent ce qui est vital à 70 millions de personnes : la nourriture !
Jamais dans l’Histoire de l’humanité on est arrivé à cette situation d’extrême fragilité et d’hyper-dépendance. Qu’est ce qui permet de ne pas être en famine avec un si petit nombre de personnes qui travaillent la terre ? La mécanisation (avec de l’énergie quasi gratuite), des pesticides et des désherbants et une apparente rationalisation des espaces de cultures (remembrement, territoires spécialisés).
Bref, aujourd’hui toute notre alimentation repose très majoritairement sur la petro-chimie et avec les conséquences humaines et environnementales aux quatre coins de la planète que l’on connaît.
« Il fallait nourrir la France après la guerre » voilà l’argument récurent pour justifier tous ces changements qui ont fait disparaître la paysannerie. Pourtant avec le modèle tel qu’il était avant la guerre, il n’y avait pas de famines dans les années 1930 ! Celles et ceux qui mourraient de faim, c’était faute de pouvoir acheter pas par manque de produit.
On oppose l’agriculture intensive à l’extensive, et on assimile à tort la majorité de notre modèle agricole à un modèle intensif ! Le modèle extensif c’est par exemple l’élevage sur de très grandes surfaces avec peu d’animaux au km². A part quelques territoires montagnards cela n’existe pas en France. Le modèle intensif, c’est produire beaucoup sur peu de surface avec peu de calorie ou d’énergie. Ce sont les modèles qu’avaient réussi à faire, par exemple, les Vietnamiens sur de l’agriculture en terrasse.
Dans notre système agro-pétro-chimique, il faut énormément plus d’énergie fossile (mécanisation, serres, engrais, pesticides) que ce que cela va rapporter comme calories. Soit un TRE (taux de retour énergétique) complètement aberrant (entre 0.1 et 0.2)[1]. Et encore dans ce rapport on ne compte pas, les dégâts liés à l’extraction et aux flux sur l’ensemble du globe et ce serait d’ailleurs incalculable.
Or non seulement, il faut diminuer immédiatement et drastiquement, la consommation d’énergie fossile pour ralentir ou atténuer les catastrophes liées aux dérèglements climatiques, dont les sécheresses, mais de fait depuis 2008, la production des pétroles dits conventionnels est en baisse, et il semblerait que celle des autres pétroles (gaz de schistes, sables bitumineux) soit aussi en baisse depuis 2020. Bien sûr il reste énormément de ressources fossiles dans les sous-sols et sous la mer, mais leur extraction consomme quasi-autant d’énergie qu’elle en rapporte : toujours ce fameux TRE. Non seulement cela va être non rentable mais il ne faut surtout pas continuer à les extraire !
Notre système agricole est énergivore et peu productif. Il repose sur moins de 1 % de la population. Il détruit par la « non-naissance » ou « non vie », les populations d’insectes, de petits mammifères et d’oiseaux, la vie dans le sol, rendant encore plus nécessaire le recours à la chimie pour compenser les dégâts par cette même chimie. Alors pourquoi on continue ?
Une agriculture basée sur beaucoup de moins de petro-chimie existe bien sûr. Elle peut et doit encore se développer, qu’elle se nomme « bio », « permaculture », « naturelle » ou autres. Mais le changement climatique va la rendre de plus en plus difficile et la disparition de la vie dans les sols, à cause des intrants chimiques, demande des délais de plus en plus importants pour que les sols revivent.
Mais il y a surtout deux autres freins importants à la sortie générale de l’agriculture suicidaire qui nous fait vivre actuellement.
Le premier frein est l’aliénation des producteurs, hommes ou femmes de l’agriculture, par le crédit. Cet endettement est quasiment un modèle imposé et dès les années 50, ceux qui le refusaient étaient marginalisés. En dehors du système, avec de fausses coopératives et fausses banques coopératives mais vrais groupes capitalistes, point de terre, point de crédit, point de débouchés. Le système agro-chimique tolère une part de paysans qui prennent un autre chemin, cette tolérance fait croire à une liberté de façade mais refuse fermement que le gros des travailleurs de la terre lui échappe.
Les agriculteurs du système agro-chimique sont ainsi passés de paysans et ouvrier agricoles, en trois catégories : des agriculteurs véritables capitalistes de plus en plus puissants qui parfois ne voient jamais leur terre, des ouvriers agricoles qui ne sont plus attachée à une ferme mais à des entreprises et enfin des agriculteurs enchaînés à leur exploitation véritables forçats pour des revenus misérables et premières victimes des produits « phytosanitaires » ! Des dizaines de milliers d’entre eux qui travaillent 60 par semaine, bénéficient d’un complément RSA pour survivre !
Le deuxième est la propriété privée, des sols et des moyens de production. La première cause à cette exploitation des femmes, des hommes et de la nature est bel et bien le capitalisme. Soyons clair, jamais le système capitaliste ne changera de lui-même, si ce n’est à la marge. Au nom de la propriété privée il n’y aucune liberté d’installation. Toute la surface de la terre est propriété privée ou étatique, toutes les espèces et leurs gènes sont en passent de devenir aussi propriété privée.
Mais abattre le capitalisme ne suffira pas à mettre en place un système qui pourra tous nous nourrir. L’abandon obligatoire, progressif, de la pétro-chimie, impose d’autres sources d’énergie et il n’y a pas beaucoup de solutions. En effet l’éolien ou le solaire, ne feront pas tourner autant de tracteurs que le pétrole. L’éolien et le solaire ne fabriqueront pas les engrais ou les désherbants. L’électrification est une chimère, parce qu’il n’y a pas assez de matériaux pour les batteries à grand échelle et surtout elle implique une guerre de l’eau car l’extraction de ces matériaux en exige énormément. Par ailleurs le nucléaire, est une impasse, tout aussi génératrice de guerre que les fossiles et qui plus est dangereuse car incompatible avec une véritable démocratie du fait de sa centralisation. L’hydrogène est comme l’électricité, non pas une source mais un vecteur d’énergie. Son utilisation ne change rien à la question de fond.
La seule énergie disponible pour l’agriculture dans un système durable, à part quelques petites éoliennes et moulins à eau, c’est celle des femmes, des hommes et des animaux.
La sortie du capitalisme et des énergies fossiles imposent beaucoup plus de travail physique. Et la démocratie du travail impose que celui-ci soit le plus réparti entre nous toutes et tous. Il faut aussi combattre cette fracture dans la classe travailleuse entre le travail de force, physique, et celui des travaux moins « pénibles ». Bien sûr derrière un ordinateur on peut souffrir et être exploité, mais dans un monde avec moins d’énergie, il va falloir penser la répartition juste du travail de force. Une moissonneuse batteuse remplace des centaines de personnes. Sans pétro-chimie, ces centaines de personnes qui vont travailler dans les champs, ne vont pas travailler ailleurs. Il faudra faire des choix. Faire des études supérieures était un moyen d’échapper à l’usine, faire des études supérieures ne devra pas être un moyen individuel d’échapper au travail physique. La solution individualiste a toujours aussi été un moyen au système capitaliste de se maintenir, comme une soupape.
Une partie de la gauche, avec cette énergie fossile quasi gratuite, a pensé qu’on pouvait abolir le travail. Elle a confondu la critique de l’exploitation salariale avec la critique du travail.
Si personne ne travaille, personne ne mange ! L’invention de la hiérarchie avant le néolithique c’est l’invention des moyens d’échapper au travail en faisant travailler les autres. D’abord les femmes, les enfants, puis les hommes des autres territoires, par l’esclavage, le servage et enfin le salariat, voir aujourd’hui l’auto-entreprenariat. Toutes les dominations sont liées à un moment ou à un autre à l’infériorisation de celle ou celui que l’on veut faire travailler à notre place. Échapper à la condition paysanne a fait partie de ce refus du travail physique. La répartition du travail physique, qui sera de plus en plus nécessaire pour se nourrir, devra se faire de manière égalitaire et démocratique.
Que ce soit dans les champs ou dans les usines et les ateliers, c’est à nous de décider démocratiquement ce que nous voulons faire en fonction de ce qui est possible matériellement et supportable par les écosystèmes.
Qui décide quoi ? Comment répartir le travail et ses richesses ? tels sont les enjeux de l’anarcho-syndicalisme et du fédéralisme libertaire dans un monde débarrassé de toute forme de dominations.
[1] Quand le TRE d’une ressource est inférieur ou égal à 1, cette source d’énergie devient un « puits d’énergie ». cf Wikidepia