Cinq ans après leur entrée en vigueur, le temps du bilan des ordonnances « Macron » est venu.
L’examen reste toutefois délicat, compte tenu de la diversité des domaines investis par cette énième réforme du droit du travail et de l’équivoque entourant certains des objectifs défendus par l’exécutif. Selon leurs promoteurs, les ordonnances s’inscrivaient dans «un projet global de transformation du code du travail, destiné à libérer les énergies et offrir de véritables protections aux salariés, en renforçant la négociation avec les salariés et leurs représentants ainsi que la sécurité juridique attendue», rien que cela.
Les changements introduits furent nombreux. Il est possible de les rassembler autour de deux principales thématiques :
- la mise en place du CSE,
- la révision des règles applicables au licenciement.
D’autres thèmes n’en conservent pas moins leur importance, tels le nouveau cadre juridique du télétravail (avant la crise sanitaire) ou celui de l’inaptitude professionnelle. Il convient par ailleurs d’ajouter l’adoption de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE, la réforme de la formation professionnelle et celle de l’assurance-chômage, entrée pleinement en vigueur le 1er décembre 2021, qui , pour cette dernière, a des effets dévastateurs sur les salariés les plus précaires
Les ordonnances Macron et les Institutions Représentatives du Personnel
Le temps passe vite, mais comment ne pas se souvenir que les réformes dites Macron de 2017, sont passés par ordonnances, ce qui constitue un léger paradoxe quand on souhaite introduire le soit disant « dialogue social ».
Le nouvel article L. 2311-2 du code du travail a opéré une fusion des anciennes instances représentatives du personnel (IRP). Ainsi, la délégation du personnel, le comité d’entreprise et le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) disparaissait au profit d’une instance unique, le comité social économique (CSE). Il s’agit alors pour les promoteurs de ce retour en arrière de mettre en place un « dialogue social simplifié ».
Il ne fallait pas être devin pour anticiper que la disparition d’instances spécialisées, tel l’ancien CHSCT, couplée à la multiplication des réunions d’information/consultation, sans que le plancher légal des heures de délégation augmente en proportion, entraverait l’action des représentant-es du personnel, au profit du patronat.
L’objectif des pouvoirs publics de rationalisation des procédures de consultation des IRP via l’instauration du CSE semble avoir été atteint dans son aspect objectif « quantitatif » en se traduisant par moins de réunions. Cela étant ce « succès » contestable s’effectue au prix d’une dégradation des capacité des représentant-es des salarié-es à exercer leur mission, leur nombre étant réduit, ce qui, mécaniquement abouti à une thrombose par une surcharge des missions à défaut d’avoir augmenté les moyens qui s’y attachent.
L’exemple du « verdissement » du dialogue social témoigne de cet aspect. Le CSE est appelé depuis peu à être consulté sur les nouvelles problématiques environnementales (Loi Climat et Résilience n° 2021-1104 du 22 août 2021), ce qui pourrait à minima être considéré comme un léger acquis, mais faute de nouveaux moyens, notamment de formation et de temps disponible, le CSE se voit réduit à un rôle purement formel et « consultatif ». Il est plus que probable que le CSE dans ce contexte ne serve que de faire-valoir, comme cela est déjà trop souvent le cas en matière de responsabilité sociétale des entreprises (RSE).
Par ailleurs, de nombreuses entreprises ont choisi la voie de la négociation collective pour mettre en place le CSE, mais combien d’accords se sont contentés de mettre en œuvre de manière purement formelle les ordonnances ? Et combien d’entreprises de petite ou moyenne taille n’ont pas souhaité ou n’ont pas pu, faute d’interlocuteur syndical, négocier ? En définitive la situation ne change rien : seuls ou presque les salariés des grandes entreprises se retrouvent avec le droit d’être représentés et défendus dignement.
La CNT-SO, syndicat de lutte des classes, ne défend pas par principe le « dialogue social ». Nous continuerons à utiliser cependant offensivement tous les mandats dans les IRP, pour protéger les militant-es, mobiliser les salarié-es, défendre nos droits, exprimer nos voix et revendications face aux employeurs !
Aujourd’hui, comme hier la démocratie sociale dans l’entreprise reste une figure de style, voire une chimère incantatoire qui n’a aucune une traduction dans la réalité ! Il nous faut aller vers l’autogestion des moyens de production : ce sont les travailleur-euses qui produisent c’est à eux seuls de décider !
Le barème des indemnités en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse et l’évolution relative à l’assouplissement de certaines règles relatives au licenciement
Depuis plusieurs années, l’ambition des différents partis qui se sont succédés à la tête de l’État est d’affaiblir institution prud’homale et par ce biais la capacité de défense des salariés face à leur employeur. Cette crise organisée de cet instance se caractérise par une diminution continue du contentieux prud’homal. Cela peut s’expliquer par au moins trois facteurs : le recours accru aux ruptures conventionnelles, le barème des indemnités prud’homales, les délais judiciaires et la modification de la procédure prud’homale.
Aussi, l’instauration du barème prud’homal des indemnités de licenciement constitue une véritable arme de dissuasion massive pour les salariés ayant perdu leur emploi, si l’on en juge par la très forte décrue des saisines (- 32 % entre 2016 et 2020) accentuée par le recours à la rupture conventionnelle (- 55 % entre 2009 et 2020).
Ce barème fort heureusement n’a pas été une simple sinécure (et vient en partie d’être critiqué par l’organisation international du travail -OIT-), notamment du fait de la résistance de certains tribunaux à l’application de celui-ci. Son introduction a eu des effets sur deux aspects.
- Cela a généré d’une part l’explosion des demandes salariales en sus de la seule revendication du caractère dénué de cause réelle et sérieuse alléguée au licenciement : rappel de salaires, heures supplémentaires, avantages divers.
- D’autre part des demandes au titre d’atteintes aux droits fondamentaux se sont développées : qu’il s’agisse de harcèlement, de discrimination, d’atteinte aux données personnelles, ou à la liberté d’expression ou encore le contentieux propre aux alertes, les motifs ne manquent pas. Ces motifs sont très fréquemment justifiés mais cette situation vient complexifier des dossiers qui nécessitent à leur tour des traitements allongés.
Il est par ailleurs à noter que la réduction drastique des délais de prescription, se place à contre-courant de l’évolution moderne des droits de la défense et les grands perdants à cette situation sont les salariés disposant de petites anciennetés ! Le barème leur a fait perdre le plancher de six mois de salaires.
Plus fondamentalement cette réforme et ses effets pose la question de la « réparation » d’un préjudice. Rompre un contrat de travail relèverait désormais de la seule gestion du risque comme pour la rupture d’un contrat ordinaire… de droit commun (à l’image du système assurantiel de responsabilité). Comme si perdre son emploi se réduisait à la seule perte d’un salaire. Au fond, l’employeur ne serait plus responsable d’une faute à l’origine d’un préjudice causé du fait de sa décision prise en vertu de son pouvoir de gestion et de direction. L’entreprise ne serait plus «responsable» et encore moins «coupable». Dans ce contexte, on pourrait tout à fait imaginer demain un employeur se faire rembourser l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sur la base d’un bon contrat de responsabilité civile.
L’assouplissement des règles relatives au licenciement constituait pour les ordonnances Macron la pierre angulaire des mesures destinées à «libérer la création d’emplois dans notre pays», en particulier «dans les très petites et moyennes entreprises». Mais à ce jour aucune étude n’a jamais démontré qu’un droit du travail moins protecteur des salariés permettrait de réduire le niveau de chômage.
Ce détour par le droit social montre à quel point le capitalisme et ses relais politiques s’ingénient à déstructurer et déconstruire les protections individuelles et collectives au travail. Et c’est un leurre de penser que les prétendants aux élections présidentielles, puis législatives tenteront d’empêcher ces évolution néfastes. Qu’on le veuille ou non, seuls les travailleurs, avec leurs organisations syndicales seront en capacité d’endiguer ces reculs et de gagner de nouveaux droits ! Organisons-nous !