Suite au rapport Mathiot présenté à J.M Blanquer, le 24 janvier, ce dernier a annoncé son grand projet de réforme du lycée et du bac, le 14 février. A ce texte, c’est rajouté un rapport sur les lycées Professionnel, présenté le 22 février. Avec ParcoursSup, nouvelle organisation de l’accès à l’enseignement supérieur adoptée cette année, c’est un dispositif complet, dans la droite ligne des préconisations du Medef depuis de nombreuses années, qui va encore renforcer les inégalités scolaires.
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Une orientation de plus en plus précoce
La fin progressive des séries est présentée comme une modernisation, il s’agit en fait d’un artifice assez prévisible permettant, dans les années à venir, de regrouper des classes, de réduire les heures d’enseignement, de supprimer des postes et ainsi faire des économies …. Rappelons que lorsque Blanquer était à la tête de l’administration du Ministère sous Sarkozy, il avait collaboré activement à la suppression de dizaine de milliers de postes et au saccage de la formation initiale des enseignant-e-s. Mais il ne s’agit pas seulement de cela : les disciplines de spécialité permettent d’évaluer les « attendus » envisagés par la réforme Vidal, évaluation avancée au printemps pour une prise en compte par Parcoursup. Les élèves entrent donc dans une logique d’orientation de plus en plus précoce.
A ce petit jeu, nul doute que les classes sociales les plus impactées seront celles des quartiers les plus pauvres. Il n’y avait déjà pas beaucoup d’enfants issus de la classe ouvrière à la faculté, le gouvernement Gattaz n’en veut plus du tout ! Alors qu’au pays de « l’égalité des chances » , l’État investit aujourd’hui déjà deux fois plus de moyens pour un étudiant de classe préparatoire que pour sa camarade inscrite en licence, seul 1 étudiant sur 10 à l’université est enfant d’ouvriers. Qui mesure encore ce que signifient ces chiffres ? A quel point cela dit la panne d’ascension sociale que devait permettre l’école; à laquelle la prochaine contre-réforme tourne définitivement le dos.
Un lycée « modulaire » et des parcours « personnalisés »
Cette précocité d’orientation répond également à une demande patronale : celle de développer l’apprentissage et de pousser des élèves de plus en plus jeunes à devenir apprentis. A termes, c’est la fin du Lycée Professionnel, projet qui avait pour but d’élever et d’émanciper les enfants d’ouvriers. Ce lycée qualifié de « modulaire » s’appuie sur des parcours dits « personnalisés ». Ainsi le lycée n’est plus vu comme un établissement accueillant une communauté mais plutôt un lieu dans lequel des individus vont devoir élaborer des stratégies afin de se construire le chemin le moins labyrinthique possible vers l’enseignement supérieur ou le monde du salariat. Mais attention aux culs-de-sac et aux voies de garage ! L’apprenant se transforme donc peu à peu en « auto-entrepreneur » de son parcours, dans le cadre d’une éducation überisée voulue par le duo Gattaz-Macron. Il est donc responsable de ses choix et sera considéré comme individuellement responsable de ses réussites … et de ses échecs, dans le plus grand déni des obstacles liés aux CSP d’origine !
Un bac « localisé » et inégalitaire
Les LP servant souvent de laboratoires au Ministère, le nouveau Bac entend réserver une bonne part de la notation dans le contrôle continu (à l’image des contrôles en cours de formation, en CAP et Bac Pro). Ce sont donc les enseignant-e-s qui auront la main sur une majeure partie des notes servant à valider le diplôme. Il n’est pas question pour nous de jeter le discrédit sur nos collègues mais de remettre en cause ce procédé pour sa finalité : des économies au détriment d’une certification nationale. Il semble évident que cette « localisation » du diplôme contribuera à une atomisation du bac, qui n’aura pas la même valeur suivant la « réputation » du lycée dans lequel il aura été obtenu. Cette orientation libérale revient donc sur un des fondamentaux du Bac : la certification de garanties collectives. Rien d’étonnant à ces logiques inégalitaires, puisqu’il s’agit d’associer la future main d’œuvre à une population active privée de son code du travail depuis peu, par ce même gouvernement !
Pour un lycée de l’égalité et de l’émancipation
Malgré nos critiques, nous n’avons jamais été les farouches défenseurs du sacro-saint baccalauréat, auquel il ne faudrait pas toucher. Nous ne sommes pas non plus dans le camp des conservateurs ou réacspublicains nostalgiques d’une école de la IIIème république mythifiée ! La CNT-SO porte un projet révolutionnaire pour l’école, dans la lignée des pédagogues militants tels que Célestin Freinet, pour qui l’école devait devenir instrument d’émancipation et non de soumission à l’ordre établi.
Nous ne sommes ni des archaïques, ni des ultra-libéraux; l’école est un sujet trop sérieux pour la laisser aux ennemis de la jeunesse ! Le lycée et la période de l’éducation doivent permettre à tous-tes de trouver les outils nécessaires pour construire son esprit critique, un projet personnel, une réflexion libre de toutes tutelles.
Contre une école qui se donne pour mission essentielle, malgré les discours de vitrine, de classer, trier et adapter l’élève au monde économique local, nous voulons une école qui épanouisse, qui garantisse à chacun la possibilité de se dépasser et de dépasser les conditions sociales dont il est issu.
Nous sommes donc contre l’école de Blanquer et du Medef car nous sommes favorables à :
– une école pour tous-tes, une école de la tolérance, où l’égalité soit effective,
-une école qui construit l’esprit critique, la réflexion personnelle, une véritable autonomie intellectuelle loin des diktats de la société capitaliste et des compétitions qu’elle engendre,
– une éducation polytechnique, qui revalorise l’expression physique, manuelle et artistique,
– une école démocratique et coopérative, qui dégomme les dogmes et les murs qui sont dans les têtes,
– une école qui permet à chaque enfant de trouver une place épanouissante dans la société de demain, sans écraser son prochain !
La fin du Lycée Professionnel ?
Autre rapport présenté au ministre le 22 février, celui sur l’avenir de l’enseignement professionnel. Rédigé par Céline Calvez et Régis Marcon, celui-ci concentre la novlangue ultralibérale chère au président de la « strat-up nation ». Nulle doute que l’offensive menée par les milieu patronaux depuis des années en faveur de l’apprentissage touche à son but…
Le Lycée aux ordres de l’Entreprise ?
Il suffit de jeter un œil, même rapide, sur le rapport en question pour en deviner les intentions. Dans une rhétorique volontairement positive, les rédacteurs n’hésitent pas à démontrer que l’avenir de l’enseignement professionnel passera par la mise au pas, pardon l’« adaptation » du monde scolaire au monde de l’entreprise. Ainsi il faudra à l’avenir renforcer «les liens entre le monde de l’économie (sic) et le monde de l’éducation». Pour cela des outils existent déjà : les «mini-entreprises» encouragées depuis des années par les officines du Medef : BGE et «Entreprendre pour apprendre». On assiste à la naissance de nouvelles structures qui pourraient à terme se substituer aux réalités académiques. Ainsi on peut entrevoir une nouvelle organisation scolaire : création de «campus des métiers» pour chaque «réseau d’établissements» piloté par des «conseils d’orientation stratégiques» qui aboutirait à des «Comités Locaux Écoles-Entreprises» !
La précarité de nouvelles certification ?
On retrouve dans ce rapport l’idée d’individualiser («personnaliser») les parcours des apprenants, autrement dit il ne s’agit plus du tout de la progression d’un groupe-classe dans le cadre d’un LP mais de la multiplication des passerelles vers l’apprentissage. Par soucis d’économie (comme toujours lorsqu’il s’agit de service public) il est envisagé de «réduire le nombre de spécialités» autour d’un «socle de compétences communes», la seconde professionnelle servirait donc de tronc commun autour d’une «famille de métiers», l’orientation se spécialiserait au cours de l’année de première. Mais le clou reste la remise en cause de la certification nationale (gage d’égalité) que permettaient les diplômes du CAP et du Bac Pro. Le rapport parle de «construction plus souple des diplômes»… Ainsi la «systématisation des blocs de compétence» permettra l’ «adaptation territoriale des disciplines professionnelles». Autrement dit à chaque territoire, ses besoins de main d’œuvre et les diplômes qui iraient avec… Cette destruction de l’égalité des qualifications s’accompagnant d’un «encouragement» multiplié à la «mobilité culturelle et géographique» des futurs apprentis ! Le futur travailleur bientôt contraint à une Tour de France diplômant ?!
Et nos idées on en parle ?
Le ministre nous a ostensiblement insulté à la télévision en osant dire que nous avions la «religion des moyens». Non M. Blanquer, pour nous il ne s’agit pas de dogmes ou de vérité révélé ! Il s’agit de nos conditions de travail et de la réussite de nos élèves. Effectivement nous avons besoin de moyens : pour dédoubler les classes, pour rétablir l’éducation prioritaire dans la majorité des LP qui accueille la majorité de la jeunesse précarisée. Si l’apprentissage permet de donner une certification efficace à de nombreuses personnes celui-ci ne doit pas remplacer le Lycée Professionnel. Son rôle ne se limite pas à former de simples éxecutante-s. Le lycée, avec l’enseignement général permet également la formation du citoyen et de l’être sensible. Des moyens nous en avons donc besoin et nous sommes même pour un enrichissement de l’enseignement général au LP : cours de philosophie, éducation musicale et artistique par exemple. Le lycée Professionnel est un acquis historique du mouvement ouvrier, il faut donc le défendre et ne pas le laisser aux logiques mortifères du patronat !