L’éducation est une véritable obsession historique pour les extrêmes-droites car qui veut contrôler la société doit contrôler l’école. A l’occasion des élections présidentielles, le programme « éducatif » du FN tente de faire la synthèse de toute une nébuleuse réactionnaire. Alors que ce parti se prétend être le défenseur des faibles contre les puissants, il promeut une école autoritaire et ségrégative dont le seul objectif est de fonder une société dans laquelle chacun-e reste à sa place. S’appuyant sur les dysfonctionnements du système scolaire, il propose un programme qui foule aux pieds les droits des enfants.
La fin de l’éducation pour tous
Au premier rang des mesures abjectes que prendrait le Front National s’il arrivait au pouvoir, figure la proposition de mettre fin à la scolarité gratuite des enfants étrangers. Le FN ne rêve ni plus ni moins que d’une école discriminatoire fidèle à ce que ce parti essaye d’imposer à tous les niveaux de l’Etat à travers son programme de la « préférence nationale ». Les enfants d’étrangers en situation régulière devraient s’acquitter d’une « taxe » après un délai de carence d’un ou deux ans.
Mais le FN ne s’arrête pas là et réserve un sort pire encore aux enfants de personnes en situations irrégulières puisque ces-derniers seraient purement exclus de l’accès à l’éducation. Il est juste question ici de remettre en cause un des principes les plus fondamentaux de notre constitution, de la convention internationale des droits de l’enfant et de nombreux autres textes de loi : le droit à l’éducation.
Jusqu’à présent, tous les enfants de 6 à 16 ans bénéficient du droit à être scolarisé quelle que soit la situation de leurs parents dont ils-elles ne peuvent être considéré-es comme comptables. Ce serait donc un retour en arrière considérable et sans équivalent à l’étranger. On commence à s’attaquer aux enfants dont les parents sont en situation irrégulière, puis aux enfants étrangers et ensuite… Les débats autour de la déchéance de nationalité ont montré que dans ce domaine, de nombreuses digues avaient sauté. Malgré le caractère évidemment raciste d’une telle mesure, le FN avance un tout autre prétexte pour justifier une proposition aussi lâche : « la nécessité de faire des économies ».
Et c’est bien là une autre constante du discours du FN. Dans ses propositions et ses interventions, à demi-mot ou pas, le parti de Marine Le Pen a toujours défendu la poursuite voire l’accentuation de la politique d’austérité économique. Contrairement à ce qu’elle aimerait faire croire, il n’a jamais été question pour l’extrême-droite de partage des richesses et de justice sociale. La dette, même injuste, doit être payée. Il n’y a qu’à voir les mesures prises dans les municipalités gérées par le Front National pour s’en rendre compte. Nulle part les maires du rassemblement bleu marine n’ont dépensé le moindre centime pour rénover une école ou apporter une aide financière.
Apprends et tais-toi !
Pour le FN, il faut centrer l’école primaire sur les fondamentaux, à savoir « le français, les mathématiques et l’Histoire ». Les « activités ludiques » comme « les arts plastiques, l’éducation musicale ou l’éducation physique et sportive » prendraient trop de place et devraient donc être reléguées au second rang, quitte à disparaître. Le Front National y voit là le remède à une « baisse généralisée du niveau » des élèves. Ce discours « décliniste » sur l’école est caractéristique de la droite et de l’extrême-droite qui voient là une explication à la perte fantasmée des valeurs morales de notre société. La réalité est toute autre puisqu’à l’école primaire les programmes officiels préconisent près de 10 heures d’apprentissage du français, soit presque la moitié de leur temps scolaire. En réalité ce qui importe pour l’extrême-droite ce n’est pas tant « le déclin » des savoirs fondamentaux que celui des principes éducatifs qui y sont attachés : « la mémorisation, la récitation, l’effort et la discipline ». Il ne s’agit pas de comprendre et de s’approprier, il s’agit d’emmagasiner et de restituer des savoirs sans autre forme de réflexion. Vous l’aurez compris, pour le FN l’école n’est pas vraiment là pour développer l’esprit critique des élèves et son expression. Il ne faudrait quand même pas qu’elle puisse former de futur-es individu-es libres , indépendant-es et capables de remettre en cause et de transformer la société dans laquelle ils-elles évoluent.
C’est dans cette logique qu’il faut comprendre la volonté de retour à l’enseignement du « roman national ». Il s’agit d’une version mythifiée de l’histoire nationale présentant la France comme ayant été « toujours déjà là », valorisant les « grands hommes » et leur rôle. Ce roman national n’est en rien de l’Histoire, puisqu’il s’agit au contraire d’une manipulation du passé à des fins idéologiques. On y présente le pays comme le fruit d’une histoire univoque, construit dans la continuité et l’unité alors qu’il est en réalité le résultat de ruptures constantes alimentées par des apports multiples venus d’horizons variés. Cette histoire a un objectif : promouvoir une vision fantasmée, uniforme et éternelle de l’identité et rompre avec l’idée que nous sommes tous-tes des acteurs-trices du changement. Pas de place alors pour ce que les mêmes personnes qualifient de « repentance ». On passe sous silence les heures les plus sordides de l’histoire française : l’esclavage, la colonisation, la collaboration sous le régime de Vichy ou la torture en Algérie… Pour eux-elles l’histoire ne doit pas servir à éveiller la curiosité des enfants, à se forger une opinion, à interroger des différences, ou à s’ouvrir à d’autres cultures pour comprendre la complexité du monde, mais bien à créer la docilité et une adhésion patriotique totale et incontestable.
Une autre caractéristique de la vision éducative du FN, c’est sa haine de la pédagogie. Celles et ceux qui réfléchissent aux sciences de l’éducation sont responsables de tous les maux de l’école. Les pédagogues sont présenté-es comme des « savants fous » qui livreraient leurs élèves aux expériences les plus folles. Par leurs actions l’école serait devenue le terreau de la décadence des mœurs et d’une société laxiste qui irait vers son naufrage. Mais de quoi parle-t-on ? La pédagogie regroupe l’ensemble des méthodes, des réflexions et des actions éducatives pratiquées par les enseignant-es pour permettre à chaque enfant de s’épanouir intellectuellement et de développer son potentiel en prenant généralement en compte les différences et les particularités de chacun-e. Ce terme regroupe donc toute une variété de pratiques plus ou moins élaborées et plus ou moins novatrices mais pratiquées par l’ensemble des enseignant-es. Ce que refuse l’extrême-droite à travers son rejet de la pédagogie, c’est justement l’idée que les enfants soient au centre de leurs apprentissages et que le savoir puisse s’élaborer en interaction avec l’enseignant-e et/ou avec ses pairs. Pour l’extrême-droite l’enseignant-e est un-e instructeur-trice pas un-e éducateur-trice, « le maître sait, l’élève lui doit le respect et l’obéissance pour apprendre grâce à l’effort évalué par la notation ». C’est ce que le FN appelle « l’autorité du maître ». L’enfant est ainsi considéré comme un être servile dénué de personnalité. Il faut le façonner à l’image de la société autoritaire, hiérarchisée et inégalitaire que l’extrême-droite veut bâtir.
Travail des enfants et darwinisme social
Derrière la haine de la pédagogie se cache en réalité la haine de l’égalité. Pour le FN, pas question d’émanciper l’ensemble des élèves ni de les amener le plus loin possible. Dans un monde de compétition, il y aurait des « perdants » et des « gagnants », des « méritants » et des enfants « qui ne le sont pas » et peu importe que ce soit toujours les mêmes, il faudrait l’accepter comme un fait naturel. Il y a celles et ceux qui auraient certains dons et d’autres qui n’en n’auraient pas, il y auraient les « manuels » et les « intellectuels », et que chacun reste à sa place ! Dans le projet binaire du FN, aucune place n’est faite aux particularités des un-es et des autres pas plus qu’aux déterminismes sociaux qui, nous le savons tou-tes, renforcent les inégalités scolaires et in fine la reproduction des inégalités sociales. Mais les manipulations de l’extrême-droite ne peuvent pas masquer les faits : un enfant d’ouvrier a 6 fois moins de chances d’obtenir le Bac qu’un enfant issu des catégories sociales supérieures.
Dans le programme de Marine Le Pen cela se traduit par la fin du collège unique, la mise en place d’un premier tri scolaire dès la fin de la 5e et l’apprentissage à partir de 14 ans. Ce serait donc la fin de l’école obligatoire jusqu’à 16 ans, le retour déguisé du travail des enfants et la fin de la démocratisation du système scolaire. Des enfants qui n’auront eu pour seul « enseignement », qu’un bourrage de crâne sur des savoirs rudimentaires se retrouveront livrés au monde du travail. L’école ne sera dès lors plus qu’un instrument au service de l’entreprise et d’un capitalisme national rêvé par l’extrême-droite. Elle ne serait plus qu’une succursale prompte à formater des producteurs-trices et des consommateurs-trices obéissant à une élite économique blanche qui aura tout le loisir de se perpétuer. Fini l’idéal, même imparfaitement réalisé, d’une éducation émancipatrice chargée de former des individus conscients des enjeux de la société et capable d’y agir pour la transformer, place au darwinisme social de l’extrême-droite.
Uniformiser les corps
Le FN veut également discipliner les corps. C’est dans cette logique que ce parti propose d’établir un uniforme à l’école. Les éléments avancés pour défendre cette vieille proposition sont multiples et parfois partagés, du moins en partie, par certain-es collègues et parents d’élèves. Parmi les arguments maintes fois entendus, figure en bonne place celui de la cohésion sociale. Comme par magie, selon ses promoteurs l’instauration d’un code vestimentaire ferait défini,tivement disparaître, les « tenues inadaptées », le racket, les moqueries, les « phénomènes de mode » et jusqu’aux inégalités sociales ! Dans les faits, cette mesure ne réglera pas grand choses puisque la discrimination sociale continuera à s’exprimer à travers d’autres éléments comme les fournitures scolaires, les accessoires ou les cartables.
Dans le fond, et c’est le plus important, l’uniforme est une solution parfaitement hypocrite et cynique. Il ne s’agirait là que d’une simple tentative de masquer les inégalités sociales sans que rien ne soit fait pour y mettre fin. Il n’est pas étonnant que de constater que rien n’est proposé par le FN pour mettre fin aux inégalités sociales, bien au contraire, elles sont pour l’extrême-droite presque naturelles. Pour elle, le riche et le pauvre ont chacun leur place dans la société, ils sont unis dans la nation et il ne faut surtout pas bouleverser l’ordre social. Les inégalités sociales ne sont gênantes que si elles se voient. Or pour nous, le combat est bien entendu ailleurs car nous ne voulons pas « cacher la misère », nous voulons tout bonnement y mettre fin.
L’objectif est bien entendu ailleurs. Ce que déteste par-dessus tout les Le Pen ce ne sont pas les inégalités mais simplement les différences. Il ne faut pas se leurrer, le projet du FN est un projet totalitaire par essence et la question de l’uniforme en fait partie intégrante. Rien ne doit dépasser, tout doit correspondre à la norme imposée, l’école est un moule qui doit conformer, contraindre et assimiler. Et tant pis si les enfants ont besoin à travers leur apparence extérieure de se construire une personnalité propre et d’exprimer leurs individualités dans un incessant aller-retour entre différenciation et normalisation : ils-elles ne sont de tout façon pas là pour exprimer quoi que ce soit.
Éloignement des parents
Dans cette école, les enfants n’ont pas leur mot à dire, mais les parents non-plus. Pourtant représentant-es légaux des élèves, ils-elles seront tout simplement poussé-es vers la sortie par l’extrême-droite. Toute référence à la « communauté éducative » sera désormais proscrite. Pour le FN et son collectif d’enseignant-es « Racine », les parents doivent être mis à l’écart et ne peuvent participer à aucune instance décisionnelle.
Ils devront juste se contenter de livrer leurs enfants à l’école, point barre ! La présence et l’investissement des parents est pourtant essentielle dans notre système scolaire tant pour l’apprentissage et la réussite des élèves que pour l’ensemble des personnels. L’école du FN c’est une école recroquevillée sur elle-même à des années lumières de celle ouverte sur le monde pour laquelle nous nous battons.
Judiciarisation des sanctions scolaires
Qui dit école-caserne, dit aussi loi martiale. En matière de sanction, le Front national prétend instaurer la « tolérance zéro ». Dans les faits cela se traduit par la judiciarisation des sanctions scolaires. « Surveiller et punir », voici l’autre devise de l’école version Marine Le Pen. Pour le FN, les enfants doivent être traités avec une fermeté proche de celle des adultes. En fonction des situations, mais sans vraiment fixer de limites, des poursuites pénales pourront être engagées par l’institution. Les parents d’élèves seraient également sanctionnés et se verraient privés des allocations familiales. Pour les familles les plus pauvres, ce sera donc la double peine ! Tel un tribunal, le conseil de discipline se verrait ainsi doté de prérogatives extrêmement importantes sans qu’un réel contrôle ne puisse s’opérer. Mais le collectif « Racine », est loin de vouloir s’arrêter là ! Il est allé jusqu’à proposer le placement des enfants les plus perturbateurs dans des établissements situés à plus de 100 km de leur domicile. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’une forme d’internement déguisé.
Ne pas laisser faire et riposter !
Pour le FN et toute une nébuleuse réactionnaire, l’école est responsable de tous les maux de la société et celles et ceux qui la composent en sont les complices. Mais qui sont ces responsables que dénonce tant l’extrême-droite ? Est-ce que ce sont ces enseignant-es qui pratiquent des formes différentes de pédagogies et qui soumettent ainsi les enfants à « d’effroyables expériences » comme s’ils étaient de vulgaires « cobayes » ? Est-ce votre collègue de la salle d’à-côté ou bien vous-même ? Est-ce que ce sont ces enfants « sans aucune éducation ni respect », ces « mauvais élèves » peut-être qui font baisser le niveau, ou bien tout simplement les enfants d’immigré-es ? S’agit-il de votre enfant ou bien de celui du voisin ? Est-ce que ce sont ces parents d’élèves qui « ont toujours leurs mot à dire » et briment la « liberté pédagogique » des enseignants ? Finalement, pour le FN, le responsable c’est peut-être bien vous ! La stratégie de l’extrême-droite est ainsi faite. Elle repose sur la division et la guerre de tou-tes contre tou-tes pour imposer son idéologie autoritaire, inégalitaire et liberticide. Tour à tour, chacun-e des acteurs-trices de l’école est tantôt considéré-e comme une victime, tantôt comme un bourreau, mais sur l’autel de la dénonciation tous-tes sont systématiquement suspect-es.
Le FN joue sur les peurs et attise le sentiment de revanche. A travers son discours sur l’école, il cherche à tourner la tête de celles et ceux qui ont été les perdant-es du système scolaire ; il tente de dévoyer une partie des enseignant-es fragilisé-es et en perte de repères face aux injonctions contradictoires de leur hiérarchie ; il joue sur le recul des conditions de travail et sur les conséquences de nombreuses années d’austérité économique ; il fait son fonds de commerce sur la crainte que l’avenir suscite chez de nombreux jeunes et chez leurs parents.
Mais quelles sont les solutions apportées par l’ED ? Il s’agit de mesures simplistes qui jouent sur la nostalgie d’une école au passé fantasmé et dont les principes reposaient sur la ségrégation sociale. L’école produit des inégalités ? Et bien mettons fin à la démocratisation du système scolaire ! Les enseignant-es sont en souffrance ? Il suffit de mater les élèves en rétablissant « l’autorité du maître » grâce à un arsenal de sanctions ! Il faut protéger les enfants ? Protégeons les d’abord d’eux-mêmes en les privant de leurs droits !
Oui l’école est encore inégalitaire, oui elle laisse encore trop d’élèves sur le carreau, oui elle maltraite ses personnels, mais nous sommes encore nombreuses et nombreux à penser que nous ne pouvons pas nous résigner, ni même nous tromper de colère. Notre espoir demeure intact et doit continuer à se manifester tous les jours dans nos classes, auprès des élèves et de leurs familles, dans nos salles des profs, dans nos combats syndicaux, dans la confiance que nous portons en notre capacité collective à créer des alternatives. Notre ambition doit continuer de résider dans la certitude que le savoir, la culture et l’esprit critique sont les piliers de notre avenir et que la pédagogie participe de cette construction. Nous restons persuadé-es qu’il n’y a pas d’élèves perdus d’avance et que l’école n’est pas vouée à rester cette machine à trier et à exclure.
N’attendons pas que les transformations viennent des gestionnaires « d’en haut », reprenons en main notre travail, construisons ensemble et à la base les outils qui permettront à tous-tes nos élèves de s’émanciper. Changeons l’école, changeons la société !