Les fonds d’investissement et le marché des écoles du numérique en France

Les fonds d’investissement et le marché des écoles du numérique en France

 » Le numérique, considéré comme un véritable relais de croissance, devrait, d’ici 2015, contribuer au PIB à hauteur de 5,5% et créer 450000 emplois en France, serait le nouvel eldorado de l’économie « .
C’est une des conclusions d’un rapport publié en 2011 par le cabinet américain McKinsey & Company [1], avec le soutien de Google, et intitulé : « Impact d’Internet sur l’économie française », sous-titré « Comment Internet transforme notre pays ». [2]

Impact d’Internet sur l’économie française : vidéo internet-impact.fr

Il n’en fallait pas plus pour que des structures financières s’engouffrent dans le créneau, rachètent ou montent des écoles pour répondre à un besoin (celui-ci bien réel), d’entreprises recherchant des spécialistes du web et prendre à la source leur part du gâteau. Le prix moyen de la scolarité annuelle oscille entre 6.000€ et 8.000€ par élève.
À titre d’exemple, Bregal Investment, fonds d’investissement basé en Suisse, détient, en France, depuis novembre 2007, un groupe financier, qui forme 14 000 étudiants dans ses écoles de commerce (Ecole de management Paris ESG, 6000 étudiants), de multimédia (Ecran, Digital Campus, 3 000 étudiants à Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Aix-en-Provence) et d’arts appliqués (Conservatoire Libre du Cinéma Français, Ecole des Métiers du Numérique, Hetic (internet), Institut d’Etudes Supérieures des Arts)… [3]

Tout comme les marchands de pelles qui, au XIXe siècle aux États-Unis, fournissaient aux mineurs les instruments pour participer à la ruée vers l’or et qui firent fortune, ces entrepreneurs qui ont investi le marché de l’apprentissage du numérique gèrent leurs écoles selon les lois du Marché selon un schéma de rentabilité éprouvé. Les clients sont roi et la pédagogie est au service du business. Les enseignants sont des employés ou des variables d’ajustement.

Les clients sont rois dans une pédagogie du business

Les investisseurs doivent gérer deux types de clients.
Tout d’abord leurs partenaires, c’est à dire les entreprises avec qui ils s’allient et qui, en contre partie ou en échange de leurs investissements financiers, « demandent » à ce que les programmes pédagogiques, comme les travaux ou projets que les élèves devront réaliser, ne soient pas tant jugés sur une valeur d’apprentissage que pour leur application/exploitation directe sur un marché concurrentiel… L’élève apprend alors à devenir un employé modèle qui met en forme la demande de son client.

Mais, « d’employé », l’élève devient « client » quant, au prétexte qu’il paie pour sa scolarité, il est sollicité pour juger, voire sanctionner un intervenant qui, selon lui, ne lui n’aurait pas fourni ce qu’il était « en droit » d’attendre contre son chèque.
Ainsi, un professeur s’est vu notifié qu’il ne serai pas renouvelé pour l’année suivante au prétexte que « des élèves s’étaient plaints qu’il leur faisait trop souvent refaire des travaux quand il n’était pas conformes [4] et que pour certains d’entre eux, il avait refusé de leur donner leurs diplôme… alors qu’ils avaient déjà payé leur scolarité pour continuer l’année suivante dans une autre formation ». [5].

Les enseignants comme variables d’ajustement

Contrôle de la « concurrence »
Pour les enseignants contractuels, il faut souvent multiplier les employeurs pour « gagner sa vie ». Toutes les écoles n’ont pas la même « côte » sur le marché et il n’est donc pas toujours apprécié qu’un enseignent travaille « pour la concurrence ». Bien que son contrat ne stipule aucune clause de concurrence ni ne donne droit à une rétribution en relation, un intervenant peut être « remercié » pour ce seul motif, même s’il n’est pas dit ainsi.

Plannings de production
Pour certaines écoles, les plannings, les cours et les interventions paraissent issus d’un algorithme de rationalisation/productivité digne d’une chaine industrielle. D’un côté, la matière première (les contenus, les intervenants) et de l’autre, le marché (les volumes, les marges). Dans cette matrice, où le contrôle des coûts doit permettre au groupe financier de rentabiliser ses investissements, les plannings d’interventions peuvent changer et sont notifiés aux enseignants sans les consulter ou tenir compte de leurs agendas personnels.

5h de travail payées 4h30
De 11h00 à 17h00, si on enlève le temps du repas, il reste logiquement 5h de travail rémunéré. Mais dans la logique industrielle, les vacataires (et les élèves) qui font généralement deux pauses d’1/4h ne travaillent donc pas pendant 1/2h… le vacataire ne sera alors payé que pour ses heures « réellement » effectuées, soit 4h30…

Les écoles privées, un filon pour les investisseurs.

Mais au delà du « cas » numérique, les fonds d’investissement qui s’attaquent au système éducatif y arrivent également par des biais du mécénat. C’est le cas par exemple pour « Orchestre à l’école » [6], développé « grâce » à Axa, Bouygues, LVMH, Vivendi… etc., « qui permet aujourd’hui l’installation de dizaines de classes orchestres dans les écoles de l’Hexagone », nous dit la fondation. Pour les investisseurs, c’est de la « communication » et de l’image à moindre coût…

La marchandisation de l’éducation qui aiguise les appétits de fonds de pension prêts à acheter ou à vendre des établissements en fonction d’un taux de rentabilité qu’ils espèrent à deux chiffres, ne fait plus référence à une éducation considérée comme un bien public. La valeur des diplômes déterminée par l’État qui accorde les visas, les reconnaissances ou les grades des masters, ne les « concerne » plus. Ils s’en passent car ils font reconnaître les leurs dans les réseaux/partenariats qu’ils ont tissé.

H. Robert. Ex-enseignant en technologies de l’information et de la communication.

Notes

[1] http://internet-impact.fr/

[2] Sa contribution directe au produit intérieur brut (PIB) français est évaluée à 60 milliards d’euros en 2009, soit 3,2% du total, et 72 milliards d’euros en 2010, soit 3,7% du PIB annuel, selon cette étude en grande partie financée par Google. Ce PIB internet devrait croître de13% par an pour atteindre 129 milliards d’euros en 2015, soit environ 5,5% du PIB.
À cette contribution de la filière internet s’ajoutent les effets indirects du web, c’est-à-dire les achats réalisés dans les réseaux physiques de distribution, mais facilités, préparés ou déclenchés par une recherche préalable en ligne. Selon l’étude, ils étaient estimés à environ 28 milliards d’euros en 2009.

[3] Le Monde, 26 mars 2012. http://lemonde-emploi.blog.lemonde.fr/2012/03/26/les-principaux-fonds-dinvestissement-presents-en-france-dans-le-systeme-educatif-dans-campus/

[4] Cas relevé dans une école de « multimédia » de Paris où un enseignant fut remercié pour avoir « trop poussé » des élèves à peaufiner leurs projets avant un rendu devant un jury de fin d’année…

[5] Exemple rapporté d’une école du Sud de Paris, initialement spécialisée dans l’audio et l’internet, où les formations sur 3 ans sont facturées 6000€/ an et où la « directrice pédagogique », trop occupée à trouver des entreprises partenaires pour l’école, impose aux professeurs de faire travailler les élèves sur des sites ou des projets qui seront réalisés et mis en place gratuitement… pour répondre aux besoins des clients des entreprises partenaires.

[6] http://mecenes.orchestre-ecole.com/?page_id=17